Vendredi 13 : Quand les monstres du fantastique deviennent des monstres ordinaires

Début des années 40, les studios Universal viennent de connaître une décennie remplie de succès avec ses monstres devenus mythiques. Entre Dracula, la créature de Frankenstein, la Momie ou encore l’Homme Invisible, les studios arrivent en panne d’inspiration. Que faire pour rester dans la course ? Deux solutions se sont ouverts à eux. La première a été d’offrir moult suites à leur succès. Des suites qui, pour la plupart, seront d’une qualité moindre par rapport à leurs modèles. La seconde a été la recherche de cross-over des genres. Vendredi 13 fait unanimement partie de cette seconde catégorie. Réunissant deux des acteurs les plus célèbres des studios, Boris Karloff et Béla Lugosi, le film est confié à jeune réalisateur, Arthur Lubin (celui qui offrira le premier cachet professionnel à Clint Eastwood, rien que ça).

Le docteur Ernest Sovac, afin de sauver son ami, le professeur George Kingsley, tente une opération de la dernière chance : lui retirer la partie de son cerveau dangereusement atteinte et lui transplanter cette même partie du cerveau. Toutefois, le seul cerveau intact dont il dispose est celui d’un dangereux criminel. L’opération semble, à première vue, un succès total, mais petit à petit la personnalité du criminel réapparaît…

Vendredi 13 est un film à la croisée des genres. Il emprunte des éléments du cinéma fantastique et les réunit avec tous les archétypes du film de gangster. Beaucoup plus noir qu’horrifique, le film nous fait une promesse qu’il ne tiendra jamais. A l’origine, Boris Karloff devait jouer le rôle du professeur Kingsley, l’homme à la double personnalité, et Béla Lugosi devait être son ami, le docteur Sovac. Plusieurs rumeurs courent quant au remaniement des rôles. Quoi qu’il en soit, Karloff prend finalement le rôle de Sovac et Lugosi celui de Marnay, le chef des gangsters du film. Ainsi, par cette réattribution de rôles, Karloff et Lugosi ne se croiseront jamais du film. A l’instar d’un Heat bien avant l’heure, Vendredi 13 nous promet la rencontre de deux monstres du cinéma sans jamais nous l’offrir. Cela gâche-t-il le film pour autant ? Absolument pas. Même si Lugosi tient un rôle secondaire et que Karloff occupe les 2/3 de l’œuvre, Vendredi 13 est un film qui possède beaucoup de ressources et n’a pas besoin de ne compter que sur ses vedettes au casting. On sera, tout d’abord, surpris par le dynamisme du montage. Arthur Lubin expose ses lieux avec une aisance déconcertante. Le rythme est effréné, on ne laisse jamais le temps au spectateur de s’ennuyer. Le prologue du film expose en moins de cinq minutes toute la situation de manière extrêmement « cutée ». Tel un énorme sac de nœuds, Lubin viendra, ensuite, démêler le tout au fil d’un récit efficace et tonique. Le scénario de Curt Siodmak (Le Fils de Dracula, Le Loup-Garou) est poignant et haletant. Avec un récit aussi dense, il fallait une mise en scène en conséquence. Pourtant, la Universal n’attendait pas grand chose de ce projet. Les studios étaient à l’aube d’une nouvelle décennie et, quelque part, en pleine crise identitaire. Les studios expérimentaient et cherchaient comment garder le public dans leur poche. Et ce fut un pari réussi, le film attira le public pour les gros noms au générique. L’appréciation, à l’époque, resta quelque peu mitigée, mais Vendredi 13 n’a pas à rougir de ses qualités et il préfigure même ce que seront les grands films noirs américains des années 40.

Le film fera inéluctablement penser au mythe du Docteur Jekyll et Mister Hyde à la différence que Kingsley et Red Cannon (le criminel dont on a implanté le cerveau) ne partagent pas la même conscience. Nous avons deux individus qui se battent au sein du même corps. L’un ne sait pas ce que l’autre fait. Nous sommes proche d’une pathologie schizophrène avec dédoublement de personnalité qu’un vrai sujet fantastique. D’ailleurs, le film n’aura de fantastique que l’opération chirurgicale et la suspension d’incrédulité qui vient avec. Pour le reste, Vendredi 13 est, avant tout, un film de gangster. Et il faut souligner l’excellente interprétation de Stanley Ridges dans le double-rôle Kingsley/Cannon qui offre un jeu qui va bien au-delà du simple maquillage (très réussit au passage) qui nous permet de distinguer immédiatement à qui nous avons affaire. Son jeu englobe des mimiques, des gestes et postures bien distinctes. C’est un vrai numéro d’acteur qui s’offre à nous. D’autant que Lubin confère à ses personnages des lieux de jeu exaltants. L’éclairage et la mise en scène font corps avec une beauté sans pareil. C’est un vrai régal pour la rétine.

Vendredi 13 est un film en avance sur son temps. On y retrouve tous les codes qui feront le succès des films noirs. Les acteurs sont formidables et le scénario est dynamique et va directement à l’essentiel. On ne s’ennuie pas une seconde. Le film a bénéficié d’une ressortie en DVD et Blu-Ray dans la collection Cinema Master Class chez Elephant Films dans une copie superbe. C’est un must have pour tous les amateurs de films noirs.

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