Antebellum : De l’anti racisme d’extrême droite

Il y a des jours où la vie d’un modeste rédacteur cinéma peut s’avérer difficile. Là où trouver un angle d’attaque pour la majorité des films traités est généralement assez évident, quel que soit le genre, il peut arriver de tomber sur un spécimen dont on est persuadé en allant le voir que ce sera du gâteau, pour se retrouver dans un état de perplexité tel que l’on se pose sérieusement des questions sur la manière dont on va pouvoir l’exposer de la manière la plus pertinente possible sans se faire taper sur les doigts par quelque lecteur mécontent. Ce film fait évidemment partie de cette catégorie d’œuvres dites « importantes » par le sujet abordé, et qui par leur démarche et leur point de vue unilatéral devraient fermer le clapet à toute tentative de critique, de par le fait que l’époque dans laquelle elles débarquent serait particulièrement propice à ce type de discours. Et précisions d’emblée que par principe, un film s’en prenant aux fondations de l’Amérique et à ce cycle éternel consistant à répéter sans cesse les mêmes erreurs, sous un angle métaphorique se servant du film de genre (même si cette appellation, dans le cas présent, n’est pas franchement appropriée) pour interpeller plus facilement la jeune génération, nous donne envie de le défendre rien que sur sa note d’intention. Seulement voilà, il arrive un moment où l’honnêteté intellectuelle nous oblige à décrypter le plus objectivement possible ce sur quoi repose l’œuvre en question, et dans certains cas, malgré toute la sympathie que l’on pouvait avoir pour le projet de base, il arrive un moment où l’on se dit qu’il y a eu vice de fabrication. Inutile de tourner davantage autour du pot, le film en question appartient à cette dernière catégorie et nous avons bien conscience, rien qu’en affirmant ceci, de marcher sur un terrain miné propice aux raccourcis douteux…

Et pourtant, cela débutait bien. Nous projetant d’emblée dans une atmosphère violente, sans que l’on sache encore trop de quoi il s’agit (même si la bande annonce dévoilait déjà un gros aspect du film), le point de vue adopté nous oblige à subir en même temps que ses personnages l’horreur des plantations du Sud des États-Unis, en pleine guerre de Sécession. Et force est de constater que l’efficacité est de mise, notamment lors d’une scène d’introduction très stylisée où l’on découvre le décor progressivement en un plan-séquence filmé au ralenti, sur une musique grandiloquente comme il faut. Nous sommes donc disposés d’emblée à vivre cette épreuve en même temps que les protagonistes et à nous révolter face à leur sort, surtout qu’il est évident dès le départ que ces derniers vont tout faire pour s’échapper et retrouver leur vie d’avant … Construit en 3 parties distinctes, il est difficile d’en dire plus sans déflorer ce qui constitue le mystère général. Cependant, il sera difficile d’expliquer plus en avant ce qui nous contrarie ici en restant vague, donc les personnes souhaitant découvrir le film totalement vierges de toute information savent à quoi s’en tenir en poursuivant la lecture.

La promotion a beau miser sur ce mystère que l’on ne doit surtout pas se faire dévoiler, la mèche a déjà été en partie vendue par la bande annonce peu subtile. Cependant, même si l’on savait tout de suite que les protagonistes étaient prisonniers d’un monde qui n’est pas le leur, cela restait tout de même assez opaque, et il était difficile de comprendre concrètement le concept au vu de ce qui nous en était montré. Il faut donc savoir que dans un premier temps, il est permis de prendre le film au premier degré, comme une plongée dans un passé pas si lointain, dont il suffirait de peu pour qu’il resurgisse aujourd’hui. Il serait d’ailleurs tout à fait possible d’envisager les mêmes situations dans un film plus académique, ayant avant tout pour vocation à éduquer le public sur cette tragédie, afin de le sensibiliser et lui faire comprendre que tout est toujours à refaire pour ne pas retomber dans ses vieux démons. Et cela pourrait tout à fait nous suffire, même si de nombreux films ont déjà été faits sur la question.

Toujours est-il qu’une bonne piqure de rappel ne fait jamais de mal, du moins si l’on est pas du genre sensible sur la question. Seulement on sait que l’on est venu voir ce qui est annoncé comme un thriller quasi surnaturel, dont l’ambiance et le sens du surréalisme pourraient dans un premier temps nous amener du côté du cinéma de Shyamalan. Car très rapidement, des éléments semblent ne pas coller, des petites choses incongrues que l’on ne dévoilera pas ici mais qui nous font comprendre définitivement que le film jouera sur des notions temporelles, décidément très à la mode en ce moment. Ce qui nous amènera donc à cette seconde partie à partir de laquelle le film commencera sérieusement à changer de bord et à atteindre ses limites.

Nous nous retrouvons donc à notre époque, avec le même personnage que l’on suivait jusqu’alors, partageant sa vie entre une famille aimante, et un job d’activiste nous aidant à mieux cerner le personnage jusqu’alors bien passif. A ce moment-là, il y a deux solution, soit on se dit qu’il s’agit d’un double du personnage évoluant en parallèle dans notre monde, soit on est retournés en arrière, pour nous faire comprendre comment celle-ci s’est retrouvée plongée dans ces années sombres. Et le film semble clairement nous mener en bateau à ce niveau, même si la seconde solution semble clairement la plus évidente. Le tout consistant donc à nous interroger sur le pourquoi du comment. A nous faire accepter l’improbable, mais après tout, nous avons vu suffisamment de films parlant de voyages dans le temps pour accepter ce genre de postulat. Sauf qu’à partir de là, le film ne saura plus du tout se focaliser sur un aspect en particulier, préférant s’éparpiller entre fausses pistes ne débouchant sur rien, effets consistant à nous mettre volontairement sur la piste du surnaturel, et de longues scènes familiales à la limite du hors sujet, associées aux scènes politiques ressemblant davantage à un meeting activiste qu’à un film à proprement parler. Dès lors, celui-ci ne sera plus capable de raconter son histoire de manière efficace, nous perdant progressivement jusqu’à un point de non-retour.

Mais tout ceci serait finalement bien inoffensif si ce n’était pas associé à un discours devenant de plus en plus enflammé et ambigu, pour largement atteindre l’intolérable sur sa dernière ligne droite, lorsqu’il est temps de balancer son ultime twist. Et là, autant dire qu’il y aura de quoi rester stupéfait devant la bêtise profonde du résultat, le tout consistant à nous abrutir de cet éternel discours ne connaissant pas le sens de l’expression demi-mesure, où le sens unique semble être la seule solution , et croyant encore que pour faire passer un message anti racisme, il suffit de voir le monde en deux catégories avec comme seule solution pour revenir sur des bases saines une pourtant très discutable loi du talion. Il nous est difficile encore une fois, de décrire plus en avant en quoi le discours nous semble néfaste, voir dangereux, sans dévoiler ce qui constitue la base scénaristique du film, donc nous nous contenterons de déplorer la direction prise par un scénario dont on se demande sérieusement comment quelqu’un a un jour pu avoir l’idée de le coucher sur papier, et ensuite comment il a pu passer tranquillement toutes les étapes du production.

Après tout, il ne s’agit même pas de bien-pensance, et nous pouvons tout à fait apprécier des films bien fachos légitimant la justice expéditive. Il est tout à fait facile de concevoir l’effet cathartique qu’un pareil discours peut produire sur le spectateur, plus particulièrement sur un tel sujet, et on peut tout à fait se révolter et jouir de cette violence expiatoire sans se poser de questions. Là où le film pose souci, c’est bien dans son terrifiant premier degré voulant à tout prix éveiller les consciences, dans un souci de fédération populaire. Les réalisateurs affirment avoir voulu lancer des débats sains autour du sujet abordé, mais comment peuvent-ils affirmer ceci lorsque tout le film semble être fabriqué dans un esprit malveillant, comme pour appuyer bêtement sur une blessure encore à vif. Bien sûr, ils ne pouvaient pas anticiper tous les insupportables faits divers survenus récemment aux États-Unis, et les mouvements de plus en plus violents que ces crimes impunis ont pu soulever. Et même si le pays n’en est de toute façon pas à ses premiers dérapages en la matière, on évitera d’aller trop en avant concernant les réelles intentions des auteurs de ce film.

Cependant il semble impossible, voir irresponsable, de se contenter de prendre le film pour ce qu’il est, déjà car ce n’est clairement pas sa vocation, celui-ci cherchant, répétons-le, à provoquer des débats et à interpeller au-delà même des personnes subissant ces violences, ensuite car les moyens employés pour arriver à leurs fins, sont tout simplement inacceptables de raccourcis et de naïveté scénaristique, qui, dans un contexte pareil, se transforment en fautes de goût impardonnables posant de sérieux soucis à l’issue de la séance. Surtout lorsque l’on entend certains spectateurs lancer des applaudissements . C’est à se demander sérieusement si ces personnes ont réellement conscience de ce qu’elles regardent. Un film ne peut pas toujours être pris pour ce qu’il donne au premier degré, il y a des sujets qui supportent moins que n’importe quel autre l’approximation et les arrangements dans le simple but d’arriver au propos recherché. Nous avons affaire ici au prototype le plus absolu du film manipulant consciemment son public à des fins idéologiques, en se disant que cela passera car le propos le justifie. Ce qui s’avère donc, pour peu que l’on soit capable de recul sur ce que l’on regarde, au mieux totalement à côté de la plaque, au pire réellement néfaste dans une époque déjà si proche de l’explosion.

Parler des sujets qui fâchent, mettre certaines personnes face à leurs responsabilités, très bien. La rage permise par n’importe quel Art entraînant une expression publique, est toujours bonne à prendre, et certains s’y emploient avec pertinence et talent. Mais il faut pour ça savoir un minimum de quoi on parle, au lieu d’appuyer de façon aussi primaire sur des instincts primaires, n’ayant pour seul but affiché que de provoquer des réactions épidermiques. Mais pour quoi au final ? Si c’est pour nous pondre un script aussi inepte, dont la bêtise atteint de tels sommets que l’on se pince presque pour y croire au final, persuadé d’avoir compris de travers, le tout s’avère donc rapidement inopérant et énervant, car on a cette impression rare de s’être fait enfumer.

Quid de cette gamine fantomatique dans l’ascenseur au milieu du film ? Sans parler bien entendu du dernier plan censé flatter la fibre anarchiste sommeillant en chacun de nous, et de cette ultime scène en plein générique qui nous fait hésiter entre le fou rire et la consternation. L’option surnaturelle aurait été plus acceptable, même sans explication rationnelle, et aurait mieux fonctionné d’un point de vue purement allégorique que ce twist débile au possible, totalement incohérent, qui en plus de dénaturer le propos qui demandait autrement plus de subtilité, finit par corroborer la thèse du discours à sens unique faisant passer un camp pour d’horribles nazis à exterminer, et l’autre pour des victimes éternelles ayant donc gagné le droit d’appliquer les mêmes mesures que leurs bourreaux.

Face à un film à ce point contre-productif et fait de mauvaises vibrations, incapable de réfléchir son sujet pourtant préoccupant, et ne faisant que se complaire dans une négativité tirant tout le monde vers le bas, aucun parti ne sortira grandi de pareille purge dont le seul aspect qui devrait réunir tous les publics est bel et bien cette façon de prendre TOUS les spectateurs, quels qu’ils soient, pour de gros imbéciles prêts à avaler n’importe quel concept fumeux. Mais au vu des réactions de certains, il faut croire que ça marche. C’est peut-être bien ça qui fait le plus peur dans cette bien triste affaire.

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