Laurin : Pépite gothique exhumée

Il y a des films à la trajectoire incroyable dont on découvre l’existence des décennies après leur sortie initiale. Laurin se pose comme une sacrée découverte, inhumé près de trente ans après sa réalisation pour enfin permettre à son réalisateur, Robert Sigl, d’avoir la reconnaissance qu’il mérite. Pour notre part, chez Close-Up, nous avions découvert le film lors d’une projection au Bloody Week-end en 2018 où le festival avait eu l’excellente idée de le présenter. Deux ans plus tard, voilà que le film sort dans une superbe édition chez Le Chat qui Fume, agrémenté d’un master à la qualité franchement sublime. De quoi se pencher sur ce petit bijou unique du cinéma fantastique allemand, qui aurait très certainement pu valoir à son réalisateur une tout autre carrière s’il avait été correctement distribué à l’époque.

Laurin se déroule au début du XXème siècle, dans un petit village au bord de l’eau. Laurin est une jeune fille curieuse dont la mère décède tragiquement le même soir où l’un des enfants du village disparaît mystérieusement (ce n’est pas le premier). Laissée seule avec sa grand-mère par un père marin et toujours en voyage, Laurin est bientôt assaillie d’étranges visions des enfants disparus et se voit troublée par le retour au village d’un homme étrange qui devient rapidement son nouvel instituteur…

Dès le début du film, Robert Sigl sait frapper le spectateur par la maîtrise totale de l’atmosphère qu’il met en place. Les influences du conte sont évidentes, de par le choix de l’époque à laquelle se déroule l’histoire certes, mais aussi par le cadre du récit, le village isolé étant régulièrement entouré par la brume et chaque bâtiment ou personnage dégageant son lot d’étrangetés. Robert Sigl n’utilise pourtant aucun artifice et justifie uniquement son univers fantastique par délicates touches de mise en scène et de montage : cadres penchés, éléments du décor à laquelle une importance particulière est prêtée, flash-back joliment amené… Formellement Laurin est une splendeur de chaque instant, inspiré par les toiles de grands maîtres (on pense énormément à Brueghel) et de grands cinéastes (l’influence de Mario Bava se ressent çà et là) sans pour autant que cela n’empêche le film d’avoir sa propre personnalité.

Remarquablement subtil, Laurin use de symboles sans jamais en faire trop, préférant laisser le spectateur se faire sa propre interprétation de ce qu’il a vu plutôt que de lui marteler une seule idée en tête. Le scénario est épuré mais laisse apercevoir beaucoup de détails dans les relations entre les personnages. Et surtout Sigl filme sa jeune héroïne sans jamais la lâcher, n’ayant pas peur de lui faire ressentir des émotions adultes. Il faut saluer en cela l’interprétation de Dóra Szinetár, très certainement castée pour son visage angélique, mais qui n’en demeure pas moins capable de projeter dans son jeu des émotions plus troubles. Cette alchimie (rare) entre l’atmosphère des contes (à laquelle Sigl reste fidèle jusque dans les multiples interprétations psychanalytiques possibles de son récit) et un fantastique lorgnant un peu du côté de la Hammer achève de faire de Laurin un délicieux joyau macabre et gothique dans lequel il faut se plonger d’urgence pour s’y laisser envoûter, cela en vaut amplement la peine.

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