Another Day of Life : Le documentaire sous un jour nouveau.

Le documentaire vit souvent selon des codes très strictes et définis, si bien qu’il est difficile de voir des différences très notables d’un long-métrage à l’autre. Peu ont de vraies pattes et même si le genre se modernise beaucoup, on retrouve une narration toujours très détaillée et explicative. C’est logique direz-vous mais ça manque parfois d’un peu de légèreté ou bien les contextes nécessitent cette ébauche lourde en information. Qu’il s’agisse d’un public de niche ou d’une culture fortement géo-localisée, d’événements majeurs ou de personnalités méconnues, il subsiste continuellement cet aspect extrêmement éducatif qui rebute vite à l’idée de le visionner. Certains films comme Le Concours, A voix haute ou Swagger parviennent à s’en détacher ou à s’en servir de manière ingénieuse, mais bien souvent on assiste à un schéma bien rôdé et conventionnel. Le mélange des genres est un bon moyen de casser complètement les attentes et prévisions, notamment avec ce qu’on appelle couramment le docu-fiction. Raul de la Fuente et Damian Nenow, réalisateurs du long-métrage, ont su donner vie de manière ingénieuse à Another Day of Life en poussant un peu plus loin le concept de mélange des genres. C’est ainsi que nous pouvons visionner un drame de guerre documentaire en animation, et croyez-le ou non, mais l’animation apparaît comme beaucoup plus ludique que le martelage bête et méchant d’informations brutes, surtout lorsqu’il s’agit de raconter une histoire aussi intense et dure que celle du film.

Another Day of Life se déroule en 1975 lorsque Ryszard Kapuściński est envoyé en Angola au moment où le pays bascule dans une terrible guerre civile sanglante, peu avant de gagner son indépendance. Nous apprenons et suivons toute l’évolution de conflit géopolitique du pays à travers les yeux de Ryszard, ses différentes rencontres, ses interventions majeures et les décisions délicates qu’il a dû prendre.

Tout d’abord, textuellement le film est une vraie pépite. Animation en cel-shading, cette technique donne vraiment une énorme cachet à l’histoire que l’on nous conte. Concernant un documentaire, l’ombrage de celluloïd en 3D est un choix audacieux, non seulement il requiert beaucoup de travail et nécessite du temps mais aussi par un style surtout usité dans l’univers des jeux vidéo et nombreux sont ceux qui n’y adhèrent pas particulièrement. D’autre part, des toiles à la peinture à l’eau ou à l’huile semblent correspondre bien mieux au support documentaire. Idem avec le style photo rendu cartoon que de nombreux logiciels de montages ou autres applications de prises de vues sont capables de faire. Ces styles peuvent mieux s’appliquer lors d’illustration ou pour montrer des images d’archives de manières un peu plus stylisées qu’une simple photo au milieu d’une scène. Le cel-shading développe ici toute la création d’un univers, d’un environnement. Les paysages angoliens ne sont pas forcément connus de tous, et au lieu de se déplacer sur place pour donner l’illusion d’y être ou reproduire des décors en studio qui coûteraient chers, l’animation rempli bien mieux le job. Avec cette technique en particulier, on conserve un ton sensiblement léger car cartoonesque tout en proposant une atmosphère singulière avec des personnages ressemblant à la fois imposants et charismatiques.

La composition du documentaire apparaît comme bien construite. L’histoire narrée l’est en animation, mais parsemée d’intervention de personne ayant vécu les événements en temps réel à l’époque, présent pour en parler, ainsi que de quelques images d’archives pour illustrer de temps à autres. Comme nous le disions, l’animation a un avantage financier qui permet donc plus facilement à l’œuvre de vivre au travers de ses intervenants. Le risque fut de voir une rupture de rythme alors que chaque passage d’interview est bien dosé et placé pour offrir des simili-pauses et éclaircir le spectateur. Incruster des interviews en plein milieu de la progression du documentaire est un procédé extrêmement récurrent mais comme il s’agit ici intégralement d’une histoire et non d’une narration simpliste des événements par une voix off, le rendu reste surprenant et passionnant.

Avec simplicité, le long métrage relate les faits écrits dans le roman éponyme de Ryszard Kapuściński. Alors que l’histoire est très centrée sur une période précise concernant des problèmes sociaux précis d’un pays, les événements n’en prennent pas moins une dimension beaucoup plus globale, notamment du fait que Ryszard soit un journaliste. En conséquence, des événements qui auraient facilement pu nous sembler très distants culturellement nous affecte tout autant que n’importe quels autres. On se prend très rapidement d’intérêt pour l’histoire et le style graphique ainsi que la mise en scène nous aide à nous concentrer sur les informations diffusées.

Another Day of Life est une véritable pépite qui transcende son propre genre pour nous proposer une histoire absolument improbable, riche et complète. On ne vit plus la séance comme un apprentissage de l’histoire mais comme une véritable séance de cinéma captivante. Sans aucun doute l’un des documentaire fictionnels les mieux construit et les plus intrigants de l’année.

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