Coffret Preston Sturges : le retour d’un roi

Lorsqu’est évoqué l’âge d’or d’Hollywood, bon nombre de noms nous viennent en tête : Hitchcock, Welles, Ford ou encore Wilder. Leurs œuvres font écho encore aujourd’hui dans les oreilles des cinéphiles, même les moins aguerris. Pourtant, au milieu de tous ces grands réalisateurs, il en est un que le public européen ne connaît que trop peu. Couronné de succès aux Etats-Unis, dans les années 30-40, Preston Sturges peine pourtant à traverser l’Atlantique.
Heureusement le mal va bientôt être réparé avec ce sympathique coffret des éditions Wild Side. Au programme 3 blu-ray et 6 dvd pour 6 films : Le Gros Lot, Les Voyages de Sullivan, Un Cœur pris au Piège, Madame et ses Flirts, Héros d’Occasion et Infidèlement Votre.

Bien entendu cette édition s’accompagne de quelques bonus. Un entretien avec Marc Cerisuelo, (auteur de Preston Sturges ou le Génie de l’Amérique) dans lequel il revient sur la carrière de Sturges en tant que spécialiste, auquel viennent s’ajouter des vidéos plus courtes pour présenter chacun des films du coffret. Et si cela semble peu, c’est sans compter sur le livre de 188 pages qui accompagne le coffret. On y retrouve à nouveau Marc Cerisuelo à l’écriture, mais aussi et surtout Philippe Garnier qui nous livre, en plus d’une biographie détaillée, un article sur chaque film du coffret, le tout accompagné de très belles et nombreuses photos de tournage de l’époque. Un point d’entrée complet, pour qui veut découvrir cette figure méconnue du cinéma Hollywoodien et son style comique qui ont fait les beaux jours de sa carrière à la Paramount (soit 5 des 6 films du coffret).

Sturges est avant tout un écrivain et cela se ressent vite. Il n’occupe pas seulement le poste de réalisateur mais aussi celui de scénariste sur la plupart de ses films. Il est d’ailleurs considéré comme l’un de ceux ayant ouvert la voie de la réalisation aux scénaristes. Sa plume est bien vite reconnaissable, notamment avec ses réparties bien senties au service de dialogues diablement bien construits. Le langage et son utilisation occupent d’ailleurs une place prépondérante dans les œuvres de Sturges. Et pour cause, ils sont le moteur qui fait avancer ces derniers.

Ils imposent avant tout un rythme. Toujours soutenu : la communication s’apparente ici à un vigoureux échange de tennis, on suit l’action d’un intervenant à l’autre jusqu’à ce que l’un d’entre eux assène un smash dévastateur. La diction d’une grande partie des acteurs est à ce sujet remarquable. Si bien qu’il arrivait aux producteurs de Sturges d’être réticents à tel ou tel choix de casting, se demandant si les interprètes choisis arriveraient à tenir la cadence. Veronica Lake dans Les Voyages de Sullivan ou encore Barbara Stanwyck, véritable mitrailleuse à paroles, dans Un Cœur Pris au piège prouveront qu’elles ont leur place dans l’univers de Sturges.

Au sujet de ce dernier film, les dialogues entre Stanwyck et Henry Fonda suffisent à asseoir la domination de cette dernière sur ce grand benêt. Les mots doux volent, la répétition (jusque là utile à l’humour) lui martèle doucement la tête, avoisinant la séance d’hypnose : elle le rend ivre par la seule force des mots. La manipulation de la langue permet aussi bon nombre d’imbroglios, quand la vérité n’est révélée qu’à demi-mot, masquée sous une expression anodine (qui acquiert plus tard un double sens) ou au contraire cachée derrière un mensonge grossier qui donne à Sturges le loisir d’inventer pseudonymes et expressions, cela permet un déluge de péripéties à la limite du vaudeville survolté. Alors que le couple d’origine de Madame et ses Flirts (nommés Tom et Gerry) s’invente une nouvelle identité pour charmer de riches héritiers, du moins pour Gerry, on détecte dans ces jeux de dupes une pointe de Marivaux qui n’est pas pour nous déplaire. On assiste alors à une explosion en chaîne des événements, la chute d’un domino entraînant la suivante. Ce modèle classique est relevé par le caractère inattendu des rebondissements, le héros est dépassé, le spectateur est balloté, personne n’est ennuyé. Le tout accompagné d’une ponctuation musicale, que ce soit quelques notes cartoonesques ou de grands mouvements pour souligner une action.

Les malentendus, usurpations d’identités et les situations burlesques qui en découlent agissent comme des révélateurs d’anomalies systémiques ou institutionnelles. Car tous les trésors d’écriture et de mise en scène que développe Preston Sturges n’ont pas pour seule vocation à servir une sympathique screwball comedy ou un exercice de style lambda. Le réalisateur entend bien érafler de son humour le monde de la pub et ses absurdités (Le Gros Lot), la glorification de la guerre et le besoin d’héroïsme des plus démunis (un pari osé quand on sait que Un Héros d’Occasion est sorti en 1944) ou bien encore, le monde du cinéma (Les voyages de Sullivan). Le contraste entre la légèreté des situations et des personnages, et ce discours acerbe, donne un savant mélange qui laisse à réfléchir une fois le film consommé.

Une opposition qu’on retrouve dans la mise en scène de Sturges, qui passe encore une fois par le son, souvent pour superposer 2 scènes. Alors qu’Alfred Carter dirige son orchestre dans Infidèlement Vôtre, on assiste à son fantasme de plan alambiqué pour tuer sa femme adultère. Cette scène s’accompagne de la musique de Rossini, toujours jouée en fond par l’orchestre de Carter. On nous oppose rêve et réalité, nous appelle à garder les pieds sur Terre alors que notre tête semble être dans les nuages. Et la réalité ne manquera pas de rappeler Alfred à l’ordre, non seulement dans l’exécution chaotique de son plan, mais aussi dans la confrontation à son erreur de jugement. La légèreté, voire la naïveté des personnages, la bulle dans laquelle ils vivent (les films de Sturges se passent généralement dans des milieux riches), sont aussi là pour mettre l’emphase sur le choc que la réalité leur inflige, le plus souvent lors des révélations finales.

Si ses talents d’écrivain magnifient sa mise en scène, tout ceci est également soutenu par une implication toute personnelle de Sturges dans ses œuvres, notamment dans les personnages principaux. Il y a de lui dans le mari jaloux de Infidèlement Vôtre ou encore en Sullivan, le réalisateur avide de faire autre chose que de « bêtes » comédies. Et il y a aussi fort à parier que sa vie tumultueuse ait influencé la richesse de l’action de ses œuvres, Les Voyages de Sullivan en tête. Réussir à contenir autant d’action dans des films de moins de 2 heures, là où nombre de nos blockbusters de 2h30 peinent à tenir leur rythme, tient du tour de force qui justifie d’autant la réédition de son œuvre.

Preston Sturges est un auteur avec un grand A. Ecrivain et réalisateur, c’est un véritable artisan du rire et un pionnier qui a déblayé le passage pour ses successeurs tout en rendant hommage à ceux qui l’ont précédé (avec des références à Lubitsch ou Chaplin ou plus largement au cartoon). Lorsque l’on voit les frères Coen lui rendre hommage à leur tour, en nommant leur screwball comedy : O Brother, Where Art Thou ? (nom de la tragédie que Sullivan veut réaliser à tout prix), on se rend compte de l’impact qu’il a eu sur d’autres réalisateurs non moins importants. Espérons que ce coffret saura rendre ses lettres de noblesse à un réalisateur trop peu connu en Europe.

 

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