Le Club Shellac : Une rencontre avec Thomas Gastaldi…

À l’occasion du lancement de la plateforme SVOD du Club Shellac, son principal instigateur Thomas Gastaldi a aimablement accepté d’accorder un peu de son temps afin d’ouvrir de nouvelles fenêtres et de nouvelles perspectives dans nos sphères cinéphiles. Altièrement indépendant, sciemment auteurisant, le credo du programmateur de Shellac est celui de littéralement « empêcher de tourner en rond » une société de production, d’édition et de distribution désireuse d’apporter d’incessantes surprises cinématographiques à chaque spectateur. Rencontre.

Pour commencer revenons sur le fonctionnement du Club Shellac et sur son système de SVOD proposant 12 films par mois (à raison de 3 films par semaine) pour la modique contribution de 4.99 euros/mois depuis le 15 janvier de cette année. Cette offre découle t-elle uniquement de la crise sanitaire ayant provoqué – et ce jusqu’à nouvel ordre – la fermeture des salles de cinéma ou constitue t-elle autre chose qu’une simple alternative à l’exploitation classique du marché que représente la diffusion des films en salles obscures ?

Chez Shellac nous n’avons pas attendu le confinement ni la crise sanitaire pour réfléchir à une nouvelle façon d’amener les films jusqu’au spectateur, spectateur au sens large du terme (incluant inévitablement et principalement le cinéphile écumant les salles de cinéma). Nous avons mis deux ans à mettre le système du Club Shellac sur pied : en effet Shellac proposait d’ores et déjà un catalogue VOD de location à l’unité avec une plateforme dédiée au visionnage des films, avant que nous imaginions un système de SVOD (vidéo à la demande par abonnement, ndlr ). Il s’agissait de se questionner sur ce que Shellac pouvait offrir au public : aller chercher et montrer des films rares, des curiosités et même parfois des films-références avec des auteurs fidèles ou inédits. C’est dans cette perspective que le Club Shellac est né, présenté chaque semaine sous la forme d’une programmation, à raison de 3 films hebdomadaires se répondant les uns les autres. Lors du lancement le 15 janvier dernier nous avons eu quatre programmations proposées dans le même temps (soit 12 films proposées pour quatre semaines).

Chaque semaine nous avons l’opportunité de prendre la parole, de parfois rebondir sur l’actualité et de nous entendre sur les choix que nous pouvons – in fine – mettre à bien pour le Club. Toutefois le contexte actuel n’est pas forcément le meilleur moment pour nous concernant le lancement de la plateforme SVOD, dans la mesure où nous envisagions le Club comme un club transversal incluant des masterclass physiques et des projections événementielles répondant à la programmation digitale évoquée précédemment, projets irréalisables pour le moment. Car depuis 20 ans que Shellac existe nous envisageons toujours la salle de cinéma comme un vecteur essentiel et complémentaire à la digitalisation des films.

Mercuriales de Virgil Vernier (2014) – Shellac Production

On constate dans votre catalogue VOD la présence d’auteurs pour le moins audacieux (Philippe Grandrieux, Virgil Vernier, Emmanuel Mouret, pour ne citer que les réalisateurs francophones…) et un goût prononcé pour le cinéma indépendant étranger (Miguel Gomes ou encore Harmony Korine). N’avez vous pas peur de prendre des risques éditoriaux aussi tranchés susceptibles de déconcerter les cinéphiles les plus néophytes ou assumez vous entièrement cette identité ?

C’est l’ADN de Shellac ! Cela fait partie de notre fibre de nous frotter à des cinéphilies exigeantes ou – inversement – d’accompagner le public, quel qu’il soit. Nous continuerons dans cette perspective tout en la développant de manière ludique avec le Club Shellac. Avant la crise nous aurions aimé prendre un mandat pour certaines oeuvres afin de les distribuer en salles… chose aujourd’hui très difficilement praticable. Toutefois la fenêtre digitale que représente le Club nous a permis de proposer certains choix auxquels nous n’aurions pas forcément songé auparavant : des inédits principalement, de fait indisponibles sur d’autres plateformes concurrentes, non édités en DVD et non sortis en salles. Pour la phase de lancement nous avons ainsi proposé la programmation regroupant trois films new-yorkais incluant des auteurs que nous suivons de près depuis un certain temps et avec lesquels nous travaillons, toujours avec l’idée éventuelle de distribuer certains de leurs futurs films en salles lorsque la situation le permettra. Cette stratégie de bousculer la chronologie des médias nous stimulent : rendre visibles – via la plateforme SVOD – des films inédits en France pour des raisons économiques, et par conséquent recueillir des échos venant aussi bien de la presse que des abonnés, permettant à moyen terme des projections événementielles physiques, des rencontres en visio avec les réalisateurs, etc…

En parlant d’inédits nous pensons au très beau The World is Full of Secrets (le film de Graham Swon qui appartient du reste au cycle new-yorkais du Club Shellac), qui n’a pas pu bénéficier d’une sortie en salles françaises, hormis dans quelques festivals de l’année dernière. Encore une preuve de votre affection pour le cinéma d’auteur…

Être estampillé « auteur » ne nous inquiète guère. On a conscience de la fidélité de notre communauté cinéphile, celle-ci jouant bravement le jeu de la curiosité et du côté prescripteur de notre ligne éditoriale. Chaque film a besoin d’un accompagnement vers son public, même sur un média digital : cela implique l’écriture de textes de présentation, un sens du packaging, etc… afin de défendre les choix qui sont les nôtres ! C’est la même chose avec la salle de cinéma, et cela demande un travail assez considérable en amont.

Les Mille et Une Nuits de Miguel Gomes (2015) – Disponible sur le Club Shellac

Revenons un instant sur le premier cycle du Club : la trilogie des Mille et Une Nuits de Miguel Gomes, qui réserve entre autres choses une étonnante fibre documentaire. Quelles ont été les principales raisons de sa programmation ?

Tous les films de Miguel Gomes ont été distribué en salles par Shellac, par souci d’aventure et de complicité avec un cinéaste que nous estimons énormément. Depuis La gueule que tu mérites à Ce Cher mois d’août en passant par le très beau Tabou, le travail de Miguel Gomes est intimement lié au nôtre, et ce depuis toujours. Le choix que tu énonces nous semblait évident, indispensable même… d’autant plus que l’idée du cycle en trois films correspondait à la logique structurelle du projet initial : une trilogie. C’est une Oeuvre monstre, qui je pense restera profondément représentative du cinéma des années 2010 dans les années à venir, égarée entre l’imaginaire des contes antiques et ce que peut proposer de poétique le cinéma de Miguel. Par ailleurs ses trois premiers longs métrages seront très certainement programmés d’ici quelques semaines sur le Club. (un temps). Tu parlais de fibre documentaire concernant les Mille et Une Nuits

Dans le premier volet en tous cas…

Oui, de nombreuses oeuvres jouent sur leur caractère docu-fictif : où sommes-nous, que regardons-nous ? Dans quelle réalité nous projetons-nous ? Cela nous amuse beaucoup d’évoluer tel un serpent par rapport aux genres, par rapport aux territoires, par rapport aux langues. Des Mille et Une Nuits à Tabou, les films de Miguel nous laissent face à une Oeuvre qui nous dépasse, nous interroge, nous exaspère, nous transcende… Certes les six heures de film pourront en décourager certains, mais le sentiment d’un travail de tous les instants chez ce réalisateur est à prendre en compte : avant le tournage, sur le plateau et après, Miguel écrit, se met lui-même en scène, jauge sa caméra… C’est un auteur incroyable.

À contrario de votre fibre documentaire, la plateforme SVOD propose des auteurs clairement orientés vers une recherche purement fictive et/ou expérimentale : le cinéma de Philippe Grandrieux par exemple touche à des choses fondamentalement sensorielles et apparemment déconnectées de toute vérité documentaire… On peut bel et bien parler d’éclectisme !

Je suis un peu « l’empêcheur de tourner en rond » de la maison Shellac… Pour ma part l’architecture des programmations s’avère cruciale, chose pour laquelle j’accorde un soin très méticuleux. Un abonné au Club s’attend à être surpris, friand de découvertes en tout genres… Il faut donc que l’on lui permettre à chaque moment de distinguer le large éventail de nos programmes : il nous faut ainsi éviter de diffuser douze films français au même moment, il est important de s’amuser au gré des thématiques et des monographies, des genres et des époques… Au sein de l’équipe de programmation, j’en suis un peu le garant et j’accorde un soin tout particulier aussi, avec le comité éditorial, à la présentation et l’écriture de textes originaux sur les programmes et les films, prenant en compte dans le même temps le mode de consommation actuel et l’époque ambiante en train de submerger nos habitudes. On essaye de s’en emparer à notre manière, sans perdre de vue notre force de proposition initiale…

Sombre de Philippe Grandrieux (1998) – Shellac Production

Nous supposons que le Club Shellac – par sa dimension transversale – va survivre à la crise sanitaire. Envisagez-vous les supports VOD et SVOD comme les principaux vecteurs de la cinéphilie de demain, risquant peut-être de complètement remplacer le DVD ou le Blu-Ray ?

Je ne pense pas, et du moins ne le souhaite pas. À mon sens le cinéma ne peut s’entendre qu’avec la possibilité d’une expérience collective, je ne l’envisage pas autrement. Toutefois la VOD et la SVOD sont des moyens de rendre visibles des films qui – a priori – n’auraient pu l’être. C’est là la qualité première de cet outil : pouvoir acquérir des oeuvres que nous n’aurions pas pris au catalogue dans un autre contexte. Cet aspect des choses nous laisse le sentiment d’un travail encore plus riche et plus légitime de notre part, et nous en revenons encore une fois à l’idée d’une transversalité de tous les instants. Mais je pense qu’un fétichiste des objets possédant 1000 DVDs peut tout autant consommer bon nombre de films sur son ordinateur, faute de support matériel… ce qui ne l’empêchera pas de continuer d’aller voir des films en salles ! Le cinéma s’appréhende de et par tous les endroits possibles, jusqu’à la diffusion du dernier documentaire historique lors d’un seul et unique prime-time télévisuel un soir de semaine : tout ceci relève de l’expérience collective, et le Club Shellac compte d’ailleurs à l’avenir programmer certaines séances de cette ordre. On voit aussi les films pour les conseiller, d’où l’existence des salles et des festivals et l’importance des auteurs. C’est là notre politique et notre désir d’épanouir notre public à de nouveaux possibles…

Propos recueillis par Thomas Chalamel le 25 janvier 2021. Un grand merci à Thomas Gastaldi et à Cilia Gonzalez.

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