Lovecraft Country : Les Monstres de l’Amérique raciste

Lancée en grande pompe sur HBO en août dernier et diffusée en US+24 sur OCS, Lovecraft Country s’est achevée la semaine dernière. L’occasion de faire le point sur cette série ambitieuse créée par Misha Green et produite par Jordan Peele et J.J. Abrams dont on retrouve les pattes respectives sur les grandes thématiques développées le long de ces dix épisodes, à savoir la réappropriation de la culture horrifique par la communauté afro-américaine doublée d’un sens du spectacle total.

La série se déroule en Amérique dans les années 50 et suit le parcours d’Atticus Freeman qui s’embarque dans un voyage avec son amie Letitia et son oncle George pour retrouver son père disparu. Celui-ci serait détenu par une riche famille pratiquant la magie qui en aurait après le sang d’Atticus pour réaliser un sort très puissant. S’ensuivent alors de nombreuses péripéties, toutes plus dangereuses les unes que les autres pour que nos héros parviennent à sauver leur peau…

Rapidement, Lovecraft Country délaisse ce qu’elle nous avait promis en premier lieu (une exploration de l’univers de Lovecraft et de ses monstres, vécue par des afro-américains, belle ironie quand on connaît le racisme de l’auteur) pour partir dans un véritable déchaînement fantastique et gore où se mêlent fantômes, sorcellerie, voyages dans le futur et le passé, vieux démons, monstres terrifiants, transformations physiques et réflexions sur le racisme d’une Amérique blanche bien décidée à garder le pouvoir, terrifiée par ce qu’elle pourrait perdre si les minorités prennent le pouvoir. Le message asséné est peu subtil, mais il a le mérite d’être efficace et la réjouissance de voir tous ces personnages afro-américains prendre peu à peu le dessus sur des blancs pratiquant la magie (tous blonds aux yeux bleus, évidemment et menés par une Abbey Lee plus magnétique que jamais) est bel et bien là, revanche décomplexée de toute une communauté qui a souffert et qui souffre encore aujourd’hui d’un racisme d’une stupidité parfaitement aberrante.

Hélas, si la note d’intention et que les ambitions sont là, Lovecraft Country a bien du mal à suivre. Une fois le pilote (brillamment réalisé par Yann Demange) passé, la série part absolument dans tous les sens avec un véritable manque de liant narratif. En effet, chaque épisode peut quasiment se voir seul, prenant quasiment le principe d’une anthologie avec le schéma un épisode / un monstre / une thématique. Si cela donne lieu à quelques belles réinterprétations de la maison hantée, de la chasse au trésor ou du voyage dans le temps, force est de constater que tout ce joyeux bordel finit par nuire à la qualité de l’ensemble pour lequel on cultive de moins en moins d’intérêt à mesure que les épisodes – et situations improbables – continuent de s’enchaîner sans guère de conséquences pour les personnages.

Lovecraft Country aurait réellement gagnée à être beaucoup plus exigeante dans sa narration et les fondements de son univers tant celui-ci ne semble obéir à aucune règle outre celle d’aller au gré des envies des scénaristes sans que l’on réalise vraiment quel peut être l’impact de tel ou tel élément. Eléments d’ailleurs esquissés puis abandonnés avant d’être réutilisés à la convenance du récit jusqu’à un final ambitieux, mais dont l’ampleur émotionnelle se prend les pieds dans le tapis à force d’une écriture bien maladroite sur les personnages. Ceux-ci ont beau être incarnés avec une belle conviction (Jurnee Smollett-Bell crève l’écran, Jonathan Majors sait apporter à Atticus de belles nuances là où Michael K. Williams en manque), ils ne sont jamais aidés par une écriture les faisant passer au mieux pour des girouettes, au pire pour des personnages vides qui ne font qu’agir sans réellement prendre le temps de se parler.

Difficile dès lors d’avoir un réel attachement pour eux et le côté foutraque et blindé de pop-culture de la série achève de nous les faire paraître comme des marionnettes uniquement présentes pour justifier les innombrables délires des scénaristes, délires jamais relevés par la mise en scène qui s’avère aussi foutraque que le reste de la série. Outre le pilote bénéficiant d’une belle solidité, les autres épisodes (même celui revenant sur l’émeute raciale de Tulsa en 1921 est éclipsé la façon dont la série Watchmen s’en était emparée l’année dernière) se montrent plus relâchés et surtout bien incapables de masquer la laideur numérique de ses effets gores. Les CGI utilisés systématiquement enlèvent toute possibilité de s’éclater devant la générosité de la série en termes de gore, chose qui devrait tout de même être cause de réjouissance et qui s’avère être une déception de plus à ajouter au crédit d’une série qui ne sait finalement pas faire grand-chose de son univers, de ses personnages et de sa mythologie.

Certes, si l’on prend chaque épisode au cas par cas, on avouera qu’il est difficile de s’ennuyer devant Lovecraft Country tant celle-ci se montre hautement inventive et souvent inattendue. Mais la cohérence générale est tellement mal gérée qu’on sort du visionnage de la série avec un sérieux mal de crâne, nous faisant regretter que Misha Green n’ait pas pris plus de temps pour réellement travailler la matière du livre de Matt Ruff qu’elle adapte car sur le papier, Lovecraft Country était beaucoup plus prometteuse que le résultat obtenu. Reste à voir si une seconde saison verra le jour puisque les dix épisodes disponibles bouclent l’histoire des personnages de façon assez radicale, à moins que la série nous sorte de nouvelles idées improbables ou adopte au contraire un format anthologique. Une chose est sûre, c’est qu’il faudra que cette nouvelle itération se montre bien plus maîtrisée pour qu’elle nous reprenne dans ses tentacules monstrueuses…

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