À ma place : Rencontre avec la réalisatrice Jeanne Dressen

La peinture intimiste est l’une des raisons d’être de l’Art, et accessoirement du Septième. Brosser de gestes larges ou pointer des traits davantage affinés les contours d’une âme, d’un esprit ou d’un modèle… Quoi de mieux pour sublimer une expérience, des désirs, un scénario de vie ? Occasion précieuse de nous le rappeler au détour d’une rencontre au Bar « Les Affiches » de L’Espace Saint-Michel avec la réalisatrice à convictions Jeanne Dressen, auteure du documentaire A ma place qui sortira ce mercredi 9 septembre 2020 sur le célèbre et emblématique écran révolutionnaire du Quartier Latin. Rencontre.

Pour commencer pouvez-vous nous raconter ce qui vous a amené à réaliser un documentaire sur l’évènement Nuit Debout, et surtout dans quel but avoir opté pour un regard pour le moins subjectif, dans la mesure où votre film adopte presque exclusivement le point de vue de Savannah ?

Je tiens fortement à préciser qu’il ne s’agit pas d’un documentaire sur Nuit Debout, mais bien davantage d’un documentaire sur Savannah : ce film est le portrait de cette jeune femme prise dans un moment de sa vie où elle s’engage dans un mouvement social qui est Nuit Debout et au moment duquel elle rentre dans une grande école qui n’est autre que l’École Normale Supérieure. C’est très important pour moi que les gens fassent cette distinction, dans la mesure où peu ou prou de personnes s’intéresseraient à Nuit Debout quatre ans après l’évènement, d’autant plus que cela serait en contresens avec mon propos.

Effectivement Savannah occupe pratiquement toute la place de votre film : c’est une figure au charisme indéniable. Comment l’avez-vous rencontrée et comment s’est déroulée votre relation au sein du tournage comme au-dehors ?

En amont du tournage de mon film, j’ai filmé pendant des semaines dans le froid et la nuit le mouvement des Indignés, et plus particulièrement le groupe des Indignés français qui s’était installé sur le parvis glacé de la Défense entre novembre et décembre 2011 : c’était l’horreur ! Le mouvement allait de 100 à parfois 500 personnes et ressemblait beaucoup à ce qu’allait devenir Nuit Debout : un mouvement citoyen qui voulait se réapproprier la politique, et un peu plus de démocratie et de justice dans notre société ; les revendications et les modalités étaient quasiment les mêmes… Je n’ai hélas pas pu en faire un film (hormis quelques petits courts métrages), pensant que cela n’intéresserait qu’un nombre de gens très limité et surtout parce que j’avais fait le choix de ne pas me concentrer sur une figure en particulier, mon but ayant été de réaliser un film sur un mouvement qui – par définition – n’était pas régi par un chef et/ou un leader. Cela me semblait injuste de choisir et d’élire quelqu’un qui « sortirait du lot ». A l’issue de cette expérience, je me suis défendue à jamais de réaliser à nouveau des films sur les mouvements sociaux, du fait de l’extrême difficulté de capter une parole lointaine, souvent de nuit, parasitée par le brouhaha ambiant. Il me semblait en outre très compliqué de rendre compte à l’écran de choses fortement ressenties et vécues de l’intérieur…

Et puis je suis allée à Nuit Debout en 2016 en spectatrice, sans l’intention de faire un film… et je tombe sur Savannah, entrain de faire un discours. Fascinée par cette jeune femme qui a résolument « quelque chose », j’engage la conversation : elle me parle rapidement de son dilemme opposant son engagement et ses études, de son tiraillement personnel s’effectuant entre le fait d’écouter son cœur et sa révolte intime et le fait de pouvoir saisir sa chance d’accéder à une grande école, chance quasiment inespérée concernant une jeune femme issue des milieux modestes. Je trouvais ce dilemme dramatiquement intéressant.

Savannah brûle littéralement la chandelle par les deux bouts. On sent sa volonté de concilier sa vie étudiante et sa vie militante. A t-il été difficile pour elle comme pour vous d’organiser votre temps en fonction des aléas personnels et professionnels des deux partis ?

À l’époque je ne travaillais pas encore à plein temps, ce qui est le cas aujourd’hui : j’étais donc beaucoup plus disponible, d’autant que mon film n’appartient pas à la catégorie des documentaires « très écrits » nécessitant un planning très structuré. Néanmoins Savannah étant une personnalité virevoltante, aux changements de vie permanents et radicaux, il a parfois été difficile pour moi de suivre son rythme ; je me suis même mise à me filmer entrain d’appeler Savannah afin qu’elle me fasse le bilan de ce qu’elle venait de vivre et des directions qu’elle prenait dans sa vie, scènes que nous n’avons finalement pas gardé au montage…

On n’entend effectivement aucune voix-off dans votre film, et vous n’apparaissez jamais à l’écran. Tout ces parti-pris renforcent davantage l’individualité de Savannah, au détriment du groupe et/ou du mouvement Nuit Debout. Cela diffère énormément du regard d’un film comme L’Assemblée de Mariana Otero sorti en 2017. On pourrait presque parler de vision déductive… ou d’une manière d’ériger Savannah en modèle (leader, oratrice, figure échappant à son déterminisme social…). Était-ce votre intention ?

Lorsque j’ai filmé Savannah, j’étais fascinée. Sans être « amoureuse » de cette femme au sens propre du terme, elle représentait d’une certaine manière une figure que j’aurais voulu être à son âge.

Une sorte d’activiste, de personnalité naturellement autoritaire ?

C’est ça ! D’où l’importance pour moi d’en faire un portrait. Dans le film de Mariana Otero c’est le contraire : la réalisatrice se concentre sur le collectif et le mouvement Nuit Debout et non sur une singularité, matière première de mon film.

Propos recueillis par Thomas Chalamel le 2 septembre 2020. Un grand merci à Jeanne Dressen et Juliette Sergent.

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