Judd Apatow : L’angoisse de passer à l’âge adulte

Lorsqu’on prononce aujourd’hui le nom de Judd Apatow, cela évoque immédiatement une certaine idée de la comédie nouvelle apparue au milieu des années 2000, et qui aura en quelque sorte constitué l’exemple à suivre concernant un humour basé tout autant sur la potacherie (ou en tout cas sur des sujets pouvant donner lieu à des films purement grivois), que sur une tendresse toute particulière se transmettant au spectateur grâce à une écriture pertinente et plus subtile qu’il n’y paraît au premier abord, et surtout à une bande de comédiens revenant de film en film, parfois en tête d’affiche, parfois en seconds rôles, mais que l’on est toujours ravis de voir apparaître, tant leurs visages ont fini par nous devenir familiers.

Mais si aujourd’hui, le fameux label Apatow a quelque chose de prestigieux, sonnant pour le cinéphile averti comme la garantie d’une certaine qualité, on ne peut pas dire qu’il ait facilement convaincu l’ensemble de la cinéphilie, notamment en France où les fans ont dû lutter dès ses débuts pour asseoir la réputation de roi de la comédie U.S. de celui-ci et de ses rejetons, face à des réfractaires n’arrivant pas à comprendre en quoi ce cinéaste en particulier se démarquerait de tous les tâcherons faisant de la comédie débile à la chaîne. Si aujourd’hui, les analyses aidant, on peut revoir sa filmographie avec sérénité, sans avoir peur de passer pour un ado attardé, affirmer lors de la sortie de 40 ans toujours puceau ou En cloque mode d’emploi que l’on était fan et que cet humour était en réalité beaucoup plus subtil que les titres ne pouvaient le laisser penser revenait presque à se jeter dans la fosse aux lions, jeté en pâture à une horde de critiques « sérieux » ayant beaucoup de mal avec l’idée que derrière ces postulats dignes d’un American Pie, se cachent en réalité des trésors de lucidité et d’intelligence, pour peu que l’on soit capable de voir au-delà des gags énormes, très drôles au demeurant. Alors que sort en France, le 22 de ce mois, son nouveau film, sans doute dans l’indifférence générale, il nous a semblé évident de se lancer dans une analyse, forcément parcellaire (pour venir à bout de tout ce que l’on voudrait aborder, il faudrait se lancer dans un ouvrage), mais que l’on espère suffisamment riche pour vous donner envie, soit de vous replonger dans cet univers, soit de le découvrir, sans aucun à priori.

Judd Apatow

Commençons déjà par une brève évocation de son parcours, qui nous fait comprendre en quoi il en est arrivé à son niveau. Ayant grandi dans une famille juive de New York, il adule les Marx Brothers et Steve Martin. Rien qu’en disant cela, on peut déjà comprendre le rapprochement qui en sera fait plus tard avec un certain Woody Allen, avec lequel il partage un même sens de l’humour sarcastique ainsi que son art du dialogue, même si bien entendu, les traitements diffèrent sur bien des aspects. Possédant très rapidement un solide sens de l’humour, il en arrivera à s’entourer de nombreux amis précieux, dont un certain Adam Sandler avec lequel il partagera une colocation. Il a rencontré ce dernier au club The Improv (qui sera au centre de Funny people), et finira donc naturellement par s’y produire, interprétant ses propres sketches. Participant également à une émission célèbre sur HBO, il finira néanmoins par se consacrer entièrement à l’écriture face au manque de succès qu’il pourra y rencontrer. Vivotant à la télévision, en participant pleinement à divers shows (notamment le Ben Stiller Show dont il est le cocréateur et le producteur exécutif), il finit par produire deux séries ne rencontrant certes par le succès escompté, mais encore citées aujourd’hui comme modèles du genre, et symbolisant parfaitement ce que sera la patte Apatow par la suite. Ce sont Freaks and Geeks et Les années campus. Si elles ne connaissent chacune qu’une seule saison, cela lui permettra néanmoins de faire quelques rencontres, notamment Seth Rogen, et de récolter des critiques favorables, la seconde étant classée dans les 10 meilleures séries de 2001 par le Time Magazine.

40 ans toujours puceau

Ce rapide résumé permet d’en arriver facilement à ce qui nous intéresse ici, à savoir sa carrière de cinéaste, et de comprendre en quoi son parcours et ses influences en auront fait le roi de cette comédie contemporaine, dont on peut dire facilement aujourd’hui, que malgré la baisse de productivité dont il aura fait preuve durant la décennie écoulée, n’aura pas trouvé de descendant solide permettant de le faire oublier. Quoi que l’on ait pu penser de ses derniers films en date, et même s’il est quelque peu descendu de son piédestal ces dernières années, on sera bien en peine de retenir le moindre nom apparu cette décennie, qui nous permettrait de passer à autre chose. Alors le mieux aura été de revoir sa filmographie, et de constater avec plaisir à quel point celle-ci se révèle toujours aussi éclairante aujourd’hui.

40 ans toujours puceau

Cela aura donc commencé en 2005, lorsque le public français aura découvert, quelque peu médusé, son premier long métrage en tant que réalisateur, sans doute appâté par un titre pas piqué des vers, The 40 Year-old virgin (traduit par 40 ans toujours puceau dans la langue de Molière). Forcément, à ce moment-là, à savoir novembre 2005, personne dans notre beau pays n’a encore idée de qui est ce Apatow, et voir apparaître une comédie U.S. avec un casting peu familier par nos contrées, avec un titre pareil, cela n’inspire pas grand-chose aux cinéphiles de bon goût. Difficile de dire aujourd’hui quelle était la base du public s’étant rué dans les salles pour découvrir le film, mais il reste aujourd’hui comme le plus gros succès du réalisateur chez nous, avec ses 407.693 entrées. Assez considérable lorsqu’on prend en compte le fait que ce type d’humour n’a jamais pris ici, et que les exploitants n’ont jamais véritablement joué le jeu pour les exposer dans les bonnes conditions. Sans doute intrigués par le titre et par l’apparition de nouveaux visages burlesques, à commencer par Steve Carrell (devenu depuis un incontournable, pas seulement dans la comédie), on ne peut dire aujourd’hui comment le film a globalement été reçu par ce public. La seule certitude étant que la presse aura très vite compris, dans l’ensemble, que la façon dont le film était vendu n’était pas nécessairement à la hauteur du contenu, et dès ce premier long, on peut déjà compter quelques plumes totalement charmées.

40 ans toujours puceau

Déjà là, les thèmes favoris du cinéaste sont présents, et si le style deviendra de plus en plus adulte et doux amer par la suite, il semble compliqué en revoyant le film aujourd’hui de ne pas s’attarder sur tous les petits détails qui font tout le sel du cinéma de Apatow. À commencer par ce sens de l’écriture de groupe, à savoir que si ses films se focalisent tous, soit sur un personnage comme ici, soit sur un couple (qu’il soit conjugal ou de l’ordre de la bromance), ces protagonistes autour desquels tournent les intrigues existent en grande partie grâce aux personnages périphériques, chacun se nourrissant les uns les autres. Si l’expérience du spectateur ne peut pas se faire dans les bonnes conditions sans un personnage central auquel s’identifier, les films ne seraient pas complets sans ces personnages secondaires, dans lesquels on reconnaît systématiquement les membres de la bande (Seth Rogen, Jonah Hill,  …). Et d’ailleurs, ces personnages secondaire d’un film peuvent devenir par la suite les principaux, comme ce sera le cas de Seth Rogen, incontournable dans cet univers et devenu familier même du public français normalement hermétique à cet humour gras typiquement U.S. Dans ce premier film, donc, nous faisons la connaissance de Andy Stitzer, travaillant dans un magasin d’électronique, et comme le titre du film l’indique, toujours puceau à 40 ans. Ce brave garçon vit évidemment seul, et ses journées ressemblent fort à celles du geek moyen, le décor étant rempli de ces petits détails disant tout du personnage, que plusieurs expériences malheureuses ont maintenu dans son statut jusqu’à un point tel qu’il accepte sa condition, s’en accommodant tant bien que mal. Lors d’une soirée avec ses collègues dans le magasin, alors que ces derniers relatent fièrement leurs exploits sexuels, ils en viennent à interroger le pauvre Andy, qui baragouine une réponse qui ne trompe personne. Se rendant compte du malaise, les collègues se mettent en tête de tout faire pour le sortir de sa triste condition.

40 ans toujours puceau

Entre des mains peu subtiles, ce pitch donnerait lieu à un délire régressif dans le style des teen movies graveleux sortis dans le sillon des American Pie, mais Judd Apatow n’est pas n’importe quel tâcheron, et si le sujet est bien là, et assumé, ce qui l’intéressera ici sera plutôt de décrire ce petit microcosme, chaque personnage, comme dit plus haut, ayant son moment à lui. Aucun n’est laissé sur le côté, et même les visages qui nous sont inconnus révèlent des trésors de comédie burlesque. Mais ce talent à croquer des caractères tous plus impayables les uns que les autres, et cette absence de complexes concernant les gags trash (une épilation épique étant le climax du film en question), ainsi que les moments gênants, n’empêche pas de réellement s’attacher à ce personnage, que les circonstances ont maintenu dans sa situation, mais dont on perçoit tout le malaise à plusieurs reprises. D’une gentillesse presque désuète, notamment lors des discussions entre collègues où ces derniers s’expriment de manière crue à propos du sexe, quand celui-ci considère les femmes avec un respect aussi charmant que hors du temps, il est difficile de ne pas suivre ce dernier jusqu’au bout de son aventure, qui se situe pourtant dans le monde le plus banal qui soit. C’est justement cette absence d’extraordinaire, malgré les situations parfois énormes, cette façon de relater le quotidien le plus trivial qui soit, étirant les séquences et les dialogues pour le simple plaisir de nous laisser aux côtés des personnages le plus longtemps possible, qui rend l’expérience si singulière et totalement à contre courant d’une conception de la comédie, voulue comme efficace avant tout. Ici, on se situe plus dans une sorte de comédie sophistiquée, qui malgré les saillies verbales et visuelles déstabilisantes de crudité, trouve dans la tendresse et l’amour de ses personnages sa raison d’être principale.

En cloque mode d’emploi

Dès lors, plus rien ne sera comme avant dans la comédie américaine. Certes, les films plus directs existent encore, et certains rencontrent un succès monstre, mais Apatow (et ses productions rentrent également dans la même catégorie) gardera toujours ce statut à part, protégé en quelque sorte, qui s’il réalisera de moins en moins d’entrées en France au fur et à mesure de son évolution, obtiendra en contre partie un statut d’auteur à part entière, au même titre qu’un Woody Allen, ses fans se sentant justement comme faisant partie d’un groupe privilégié, voyant dans ces films ce que le public plus classique n’arrive pas à voir. Rien de snob là-dedans, mais cette petite satisfaction cinéphile d’avoir la sensation d’assister à la naissance d’un auteur important, et d’avoir fait partie des personnes à l’avoir compris avant tout le monde. Car si dans un premier temps, les récalcitrants se montreront plutôt virulents, il ne faudra pas longtemps avant que ces derniers ne rejoignent eux aussi la secte.

En cloque mode d’emploi

Le but n’est pas ici de retracer film par film l’évolution de sa carrière, et nous cherchons plutôt à développer les thèmes principaux irriguant cette filmographie. Le principal étant bien sûr cette difficulté à devenir adulte. Les personnages de Apatow, quel que soit leur âge, sont toujours ces grands dadais à l’esprit d’adolescents, dans des corps d’adultes, se cherchant une voie dans l’existence, qui finissent généralement par s’accomplir par un évènement imprévu. C’est notamment le cas dans En cloque mode d’emploi, où le personnage incarné par Seth Rogen est cet éternel ado un peu attardé, vivant en collocation , et nourrissant avec ses camarades un projet de site Internet recensant toutes les scènes où des stars apparaissent nues dans les films (en précisant les moments exacts où cela arrive). N’ayant pas de travail stable, il voit dans ce projet puéril une possibilité d’avenir. Au contraire, Alison, campée par Katherine Heigl, est une working woman, qui obtient un poste très courtisé à la télévision, à la vie bien réglée, qui pour fêter sa promotion, va passer une soirée arrosée en boite. Et les deux personnes qui à priori, n’avaient rien pour se rencontrer, vont finir la nuit ensemble. Et ce qui devait arriver arrivera, cette dernière se retrouvant enceinte. Dès lors, le projet d’Apatow sera de montrer comment deux personnes à ce point opposées dans leur façon de gérer leur vie, peuvent apprendre à composer avec de nouvelles obligations, dès lors que cette dernière décide de garder le bébé.

En cloque mode d’emploi

Là où certains veulent y voir un tract puritain (et cet aspect du cinéma de Apatow mérite que l’on y revienne), il est permis d’y voir au contraire un discours tout simplement positif, observant avec cette tendresse caractéristique, comment par ces circonstances exceptionnelles, deux personnalités aussi opposées peuvent envisager sérieusement d’élever un enfant ensemble, et de vivre un amour sincère. Ses efforts à lui pour faire preuve de responsabilité et aider du mieux qu’il peut la future mère a quelque chose de réellement touchant, car jamais cela ne paraît surfait dans l’évolution du scénario. L’une des forces du cinéma de Apatow est bel et bien cette faculté à rendre évidents des postulats qui, en des mains moins attentives, tomberaient dans les clichés les plus rances. Rien de tout ça ici, mais l’observation patiente du temps nécessaire pour que ces deux-là en viennent à envisager une vie commune nourrie d’un amour sincère. C’est l’aspect positif du cinéma de Apatow, qui fait dire à certains qu’il ne fait que prôner une idée conservatrice de la famille, ce qui revient à faire preuve de raccourcis assez gênants, et à nier l’idée même que l’on puisse aspirer à être heureux. Rien de moralisateur ici, mais au contraire, cette foi en la vie, et cette façon de donner leur chance à des hommes aux physiques éloignés des normes de beauté. Car là où des années de représentations consternantes de clichés nous ont habitués à ne voir que des acteurs aux physiques d’apollons, les seuls pouvant soit disant aspirer à séduire des femmes sublimes, Apatow choisit comme personnage central Seth Rogen, un peu grassouillet, air de geek gentiment à côté de ses pompes, et nous fait avaler qu’il puisse vivre en couple avec Katherine Heigl, symbole d’une certaine beauté inaccessible. Et cela passe naturellement dans le film, tout simplement parce qu’en lieu et place d’une comédie romantique lambda, il nous montre tout simplement des gens paraissant être normaux, vivre les mêmes choses que nous, et que par la durée inhabituelle du film, on finit par avoir cette sensation d’avoir réellement vécu ce bout de chemin à leurs côtés, en observateurs omniscients, à partager leurs moments de joie comme de peine, et que lorsque le final arrive, on a cette sensation rare d’avoir vu un vrai bout de vie, et que désormais, tout semble possible pour l’avenir.

Funny people

Si le cinéma de Apatow a toujours possédé cette flamme consistant à voir la lumière au bout du chemin, confrontant ses personnages à tout un tas d’embûches leur permettant d’affronter la vie et ses turbulences avec plus de sérénité, le point de rupture de cette conception des choses arrivera avec le film suivant, qui sera aussi le moment de rencontre tant attendu entre le cinéaste et les derniers réfractaires. C’est le temps de Funny People, chef d’oeuvre du cinéaste, dont on a du mal à imaginer qu’il puisse faire mieux un jour. Mais cet instant de « maturité », où les blagues potaches ne peuvent plus masquer le fait qu’on est arrivés au premier bilan de la vie, et que ce dernier n’est pas bien glorieux, ne va pas sans une certaine déprime, du moins dans un premier temps. En débutant son film sur des images documentaires de Adam Sandler, jeune et faisant des blagues au téléphone, il nous met déjà en condition, inconsciemment avec ce qui va suivre. Manière de confronter d’emblée la jeunesse avec l’adulte que ce George Simmons est devenu. À savoir cette célébrité du stand up qui apprend qu’il est atteint d’une forme de leucémie rare, et qui se lançant dans un traitement expérimental et incertain, va être confronté à sa propre mortalité, et donc va être amené à faire le bilan de sa vie. Et là, la déprime est certaine, car s’il est adulé par les gens pour l’image qu’il renvoie à travers son métier, il est en réalité seul au monde, ayant rompu les liens avec sa famille, et surtout, ayant laissé filer la femme de sa vie plusieurs années auparavant. Se lançant dans une tournée avec un apprenti comique incarné par le fidèle Seth Rogen, il va décider de rendre visite à cette femme à côté de laquelle il est passé, qui a depuis fondé une famille, ce qui ne manquera pas d’entraîner des situations iconoclastes. Film le plus clairement ancré dans une tradition de comédie dramatique élégante, évoquant tout autant Woody Allen que Blake Edwards, ou James L. Brooks, c’est le moment de bascule vers des préoccupations totalement adultes. L’heure des bilans et des regrets, où l’on se rend compte que par lâcheté, on a négligé l’essentiel et que ces moments précieux où il s’agit de faire des choix qui conditionneront notre vie future, on préfère jouer la facilité, ce qui n’est pas sans entraîner quelques remises en question violentes lorsque l’on se retrouve seul, sans personne pour nous soutenir dans les moments de souffrance. Un programme pas spécialement réjouissant sur le papier, mais qui par la grâce de l’écriture, nous fait atteindre des sommets d’émotion et de drôlerie (car le film est tout de même très drôle par fulgurances).

Funny people

Choisissant Adam Sandler, comique controversé de par ses nombreuses comédies représentant la frange la plus régressive du genre, pour interpréter ce rôle compliqué, Apatow a eu une idée de génie, car il n’y a rien de plus satisfaisant que d’avoir la sensation de découvrir une facette totalement laissée de côté d’un comédien, nous révélant toute sa profondeur. Et découvrir ce Adam Sandler nouveau, a quelque chose de réjouissant, tant ce rôle recèle de multiples facettes qui ne peuvent que trouver une résonance intime chez chacun de nous. C’est là l’un des talents de Apatow, de réussir à nous faire compatir pour un personnage pas spécialement aimable, qu’il ne cherche à aucun moment à épargner, et qui ne vit pas nécessairement les mêmes choses que nous. Mais les émotions purement humaines qu’il vit, les épreuves qui auraient tout pour faire mûrir n’importe quelle personne, mais qui ne le rendent que plus égocentrique encore par la suite, cela en fait un personnage complexe, que l’on a envie de secouer par moments pour avoir simplement envie de le prendre dans nos bras l’instant d’après. Construit en 3 parties bien distinctes, le résultat est tout simplement miraculeux, trouvant dans sa longueur le meilleur allié pour atteindre à une vérité rarement ressentie au cinéma, particulièrement dans le cinéma américain contemporain. Et cette lucidité humaine et grinçante, on la retrouvera dans son film suivant, 40 ans mode d’emploi, mettant au centre le couple formé par Paul Rudd et Leslie Mann (épouse de Apatow à la ville), que l’on avait déjà aperçus en personnages secondaires de En cloque mode d’emploi (le personnage de Leslie Mann étant la sœur de celui de Katherine Heigl) !

40 ans mode d’emploi

Film le plus irrévérencieux du cinéaste, presque aigri, on ne peut plus considérer qu’il s’agisse d’une pure comédie, même si les instants de drôlerie en paraissent d’autant plus précieux. Mais en assistant à l’instant critique de l’histoire d’un couple, où les aléas de la vie conjugale, entre l’éducation des enfants, les problèmes d’argent, et forcément sexuels, entraînent reproches et crises de plus en plus fréquentes, on se situe encore à un autre niveau de son cinéma. Comment résister à l’usure du temps, à cette sensation de ne plus avoir la fraîcheur de notre jeunesse, que l’on tente maladroitement de retrouver l’espace d’un instant, jusqu’à ce que la réalité de la vie nous rattrape juste après ? C’est le grand thème de ce film, que l’on peut avoir l’impression d’avoir déjà vu abordé de nombreuses fois au cinéma, mais qui aura rarement atteint un tel niveau de cruauté, même si l’on est pas chez Bergman, et que le fait que Apatow mette en scène sa femme et ses deux filles, évoque forcément le fait qu’il y ait une part de vécu ici. En projetant sans doute ses propres angoisses sur des personnages fictifs, cela lui permet sans doute d’exorciser ses propres doutes existentiels et d’aborder avec plus de sérénité son propre avenir. Mais cela n’est pas non plus sans apporter un certain malaise, avec cette impression de pénétrer presque par effraction dans un quotidien semblant trop réel. S’il ne s’agit pas de son meilleur film et que pour la première fois, on se serait bien passés de quelques minutes sur la fin, appuyant un peu trop l’hystérie ambiante, il s’agit sans doute de son film le plus cynique et remonté, ce qui n’empêche pas une fois encore un final positif.

On évitera soigneusement de s’attarder sur son avant dernier film en date, Crazy Amy en France, pur véhicule pour une Amy Schumer censée être la tornade comique des dernières années, mais qui, si l’on ne goûte que peu son humour, s’avérera une comédie romantique vulgos et peu personnelle, oubliée quasi en temps réel, et où la morale bien pensante finale donne pour une fois raison aux éternels pourfendeurs de cet esprit soit disant catho irriguant la filmo entière du cinéaste.

40 ans mode d’emploi

À revoir ses quatre premiers longs, les plus significatifs de sa carrière, il est fascinant de retrouver les thématiques qui se répondent de film en film, qui selon le traitement pour lequel aura opté Apatow, peuvent être vecteurs d’humour hilarant, de tendresse ou de cruauté. Ce qui frappe le plus dans chacun de ces films, et quelles que soient nos préférences, c’est le réalisme des dialogues, cette sensation de proximité avec des personnages qui pourraient être nos amis, ce naturel de chaque comédien, même les plus secondaires, révélant souvent de purs visages burlesques (comme le collègue indien dans 40 ans toujours puceau, impayable et aux répliques hilarantes), et pouvant aussi nous révéler des comédiens que l’on pensait connaître à cause de trop nombreux rôles similaires (comme Adam Sandler bien entendu, mais également Katherine Heigl, dont les échanges verbaux avec Seth Rogen sont d’un naturel désarmant). On retient aussi la tendresse émanant de certaines scènes, comme les attentions de Seth Rogen à l’encontre de Katherine Heigl dans En cloque, mode d’emploi, d’une sincérité qui nous retourne, ou ces instants simples d’amour d’une mère pour sa fille dans 40 ans mode d’emploi, où le simple fait de serrer sa fillette contre soi atteint des sommets d’émotion, par l’effet quotidien produit. Nul besoin d’avoir nécessairement vécu ce que vivent les protagonistes, car un personnage de Apatow, c’est une sensation de réel, même dans les situations les plus extrêmes. Quel que soit notre âge, que l’on ait vécu en couple ou non, que l’on ait ou non déjà ressenti au plus profond de nous ce dont parle le cinéaste, l’évidence de son écriture nous fait comprendre les notions de couple, de regrets, d’obligation de devenir adulte, ce besoin de profiter de l’instant présent, de chérir notre famille, d’aimer et d’être aimé en retour.

40 ans mode d’emploi

Ce cinéma est de ceux qui nous nourrissent, qui ont cette capacité à nous accompagner tout au long de notre vie, agissant comme un baume réparateur, cette présence rassurante dont on sait qu’elle a la puissance pour nous soigner de nos petites ou grandes déprimes, car ses personnages sont vrais, vivent le même type de non évènements que nous, et que si les films durent tous autour de 2H10 en moyenne, ce n’est absolument pas un obstacle mais au contraire la condition pour partager la vérité de ces personnages. Lorsqu’on les quitte, on a l’impression de les connaître depuis toujours et on espère les retrouver très rapidement. On est heureux de voir grandir à travers la fiction les propres filles de Apatow, de partager ces moments privilégiés (comme le visionnage d’un film où la plus jeune des filles joue un spectacle de Cats, sa voix à la fois fragile et juste provoquant des frissons devant la sincérité de cette dernière) ! Dans ces moments, on comprend ce qu’est être parent, la fierté dans les yeux de la mère, ces instants précieux que rien ne peut remplacer. Le cinéma de Apatow, c’est la vie, et cette joie à devenir un adulte, quand bien même l’inconséquence de notre vie d’éternel ado nous manquerait par moments, et resurgirait à travers une blague salace, car en dépit de sa profondeur infinie, ce cinéma ne se fait jamais prier pour nous balancer un petit pet bien placé, ou pour faire une blague de cul apte à faire rougir les âmes les plus prudes. Un grand cinéaste, dont on a hâte de découvrir la tournure que prendra sa carrière. En attendant que la crise de la cinquantaine donne naissance à un nouveau volet de sa saga, pas si fictive que ça ? On l’espère de tout coeur !

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