Crawl : Rencontre avec Alexandre Aja

Au rayon des grands noms de l’horreur en France, Alexandre Aja s’est vite fait une place de choix avec un Haute Tension qui n’a laissé personne indifférent. Vite parti travailler à Hollywood où il a pu monter plusieurs projets, Alexandre Aja revient en force cet été avec Crawl, un film de pure tension ou Kaya Scodelario et Barry Pepper doivent faire face  à un ouragan et des alligators. Tout un programme prenant aux tripes, preuve qu’après quelques détours plus émotionnels (Horns, La 9ème vie de Louis Drax), le cinéaste n’a rien perdu de son talent pour nous coller aux sièges du cinéma en y allant fort. Rencontre :

Comment en êtes-vous venu à réaliser Crawl ?

J’avais envie de revenir à un vrai film de peur, de tension, quelque chose de plus simple et de moins multigenre que mes précédentes réalisations. Et encore quand on y regarde de plus près, Crawl est un film de monstre, un film catastrophe, un drame et un home invasion ! (rires) Mais je voulais vraiment proposer au spectateur une expérience sensorielle, un film idéal à voir en 4DX !

On trouve Sam Raimi à la production de Crawl, comment s’est passé le travail avec lui ?

A merveille ! Une des raisons pour lesquelles je fais du cinéma, c’est Sam Raimi et Evil Dead 1 et 2. A mon arrivée aux États-Unis, on m’avait proposé deux films, un avec Sam à la production et l’autre avec Wes Craven. J’ai choisi La colline a des yeux car je sentais que j’avais plus de choses à dire dessus et j’avais envoyé une lettre à Sam pour lui annoncer la nouvelle. 15 ans plus tard, on s’est retrouvés avec la même envie, celle de faire du film une véritable attraction et de poser notre marque sur le genre. Car lorsque j’ai demandé à Sam quel était le film de crocodile le plus marquant qu’il ait vu, il m’a dit Jurassic Park ! Et c’est vrai que contrairement au film de requin où Spielberg a apposé sa patte à jamais, le film de croco n’a aucune référence vraiment marquante. Et pour répondre à votre question, c’était génial de bosser avec Sam, c’est un producteur comme on les aime, qui défend la vision du réalisateur et la question sans se l’approprier, c’est essentiel !

Que pensez-vous de l’état actuel d’Hollywod ?

Le reboot est à la mode maintenant, ce n’est pas forcément une mauvaise chose cette idée de recréer. Après il faut veiller à réellement apporter quelque chose au film original. C’est dans cette optique que j’ai fait La colline a des yeux et que j’ai produit Maniac. On m’a proposé plein de choses aussi comme Scanners ou Le loup-garou de Londres mais je n’y voyais pas d’intérêt. Je me pose toujours la question de ce que je peux apporter au film original, il faut s’en détacher. Après on critique la politique des reboots mais quand on y regarde de près, les studios adorent les films originaux… quand ça marche !

Vous n’êtes pas crédité au scénario mais j’ai cru comprendre que l’avez énormément retravaillé, pouvez-vous nous en dire plus ?

Quand j’ai reçu le scénario de Crawl, c’était un vendredi. Je n’avais pas le temps de le lire donc j’ai juste lu le synopsis et forcément ça m’a plu tout de suite. J’ai passé le week-end à fantasmer dessus, j’aimais l’idée que ce soit la fille qui sauve le père et non l’inverse. Quand j’ai lu le scénario, j’ai été déçu, forcément il avait été écrit de façon plus conceptuelle, ça se passait uniquement dans le bassement dans la maison, c’était un film malin mais j’avais envie de quelque chose de plus grand, plus ambitieux. J’ai beaucoup retravaillé le script dans ce sens.

Comment s’est passé le casting ?

On a eu Kaya Scodelario en premier. Elle a été dure à trouver, il nous fallait vraiment quelqu’un pour porter le film, pour prendre le spectateur par la main et l’embarquer, elle a été parfaite. Elle a un regard qui poignarde, il fallait ça pour tenir tête à l’alligator. Barry Pepper est arrivé après, sur la suggestion de Kaya qui a tourné dans Le Labyrinthe avec lui. C’est un super second rôle, ce qu’on appelle un character actor aux États-Unis, qui impose tout de suite sa gueule, qui arrive avec son ressenti. Il est très actor’s studio aussi, il se mettait un caillou dans la chaussure pour boiter, il s’est vraiment mis dans le rôle du père, frustré qu’il ne puisse pas sauver sa fille et que ce soit l’inverse.

Vous aviez des références en tête pour le film ?

Plusieurs évidemment. Alien, Cujo… Et j’ai mes petites références persos aussi, chaque numéro de plaque d’immatriculation des personnages correspond à un verset de la Bible. Pour le père, c’est un verset qui parle de la maison résistant à la tempête et pour elle, c’est sur le fait d’être prêt à combattre le Léviathan. C’est un petit truc qui m’amuse beaucoup.

Dans Crawl, vous jouez avec les codes et vous abordez des thématiques comme la parenté ou la seconde chance, c’était une envie d’aller aussi davantage vers l’émotion ?

Vous savez, quand je fais un film, je ne me pose jamais la question du public et de ce que les gens ont envie de voir. Je suis avant tout un spectateur, je fais donc les films que j’ai envie de voir. Et pour Crawl, il y avait deux spectateurs en moi, celui de 12-15 ans qui a envie de voir des alligators et du démembrement mais aussi celui de 40 ans qui veut des personnages épais. Il s’agissait donc de trouver le bon équilibre entre les deux.

Comment avez-vous géré l’eau dans le film ? Elle est omniprésente, j’imagine que la préparation a dû être intense…

Elle l’était. Sur 8 semaines de prépas, on en a eu 5 ou 6 juste pour parler de l’eau, comment construire les bassins, utiliser diverses techniques pour gérer l’eau. On avait 7 bassins en tout, 5 pour les décors, 2 pour le recyclage et le stockage. Le studio où l’on a tourné servait de lieu pour une rave-party la veille de commencer la construction des décors. Le voir prendre vie au fur et à mesure était un truc de dingue, je n’y croyais pas vraiment, j’ai vu sous mes yeux un petit quartier de Floride se construire, ce métier est quand même incroyable ! Sur le plateau, l’eau était chauffée bien évidemment mais même avec ça, toute l’équipe était immergée sur le plateau donc on finissait forcément par avoir froid. Si on rajoute à ça la pluie et le vent, on peut dire que je me suis compliqué la vie, je n’ai même pas eu le temps de story-boarder toutes les séquences importances, il a fallu s’adapter aux décors sans jamais sacrifier l’ambition visuelle. Mais honnêtement j’aurais dû me rappeler de la galère que c’était sur Piranhas, j’avais oublié à quel point c’était dur de tourner dans l’eau ! (rires)

Il y a eu un entraînement spécifique pour le casting et l’équipe en vue du tournage ?

Il y a surtout eu un avertissement, si tu n’aimes pas l’eau, ne fais pas le film ! (rires) Même si le scénario était très clair là-dessus depuis le début, c’était pire que tout, il y avait l’eau mais aussi la pluie, le ventilo à 100 km/h pour simuler la tempête, c’était un bordel pas possible. On s’est tous littéralement mouillé pour ce film, y compris moi. Je ne suis pas le genre de réalisateur qui reste derrière son combo, j’ai besoin d’être dans l’action. D’ailleurs, je ne regarde quasiment jamais le retour vidéo. Si l’action est crédible à l’œil nu, elle l’est à l’image.

Quelle est la proportion entre les SFX et les effets pratiques dans le film ? Et jusqu’à quel point les attaques des alligators sont réalistes ?

Pour le réalisme, on tournait à Belgrade en Serbie et là-bas ils ont un des plus vieux alligators du monde, arrivé dans le zoo adulte dans les années 30 donc je lui demandais souvent conseil. (rires) Plus sérieusement avec le film, on voulait un truc simple, pas d’alligator radioactif, géant ou vengeur, des bêtes comme on peut en trouver partout en Floride. Ce sont des machines à tuer ces trucs, ça me fascine. Il faut savoir qu’ils ne mangent pas immédiatement leurs proies, ils les placent sous des racines pour les laisser pourrir afin d’avoir plus de goût. Ils ont une deuxième paupière, un radar sous-marin, une mâchoire très puissante mais qui ne fait pas de coupure nette… Pour avoir le plus de réalisme possible, je peux remercier internet car il y a des tas de vidéos de crocos ou d’alligators, on peut en regarder pendant des heures. Après on s’est basés sur de vrais alligators évidemment comme celui qui s’appelle Godzilla à Miami, les blessures sont basées sur des images réelles mais tous les alligators n’ont pas un comportement aussi agressif. Dans Crawl, ils sont tous hyper agressifs pour les besoins du récit forcément. Par contre tous les effets sont en CGI, c’est le seul moyen pour reproduire de façon réaliste leur attitude, leurs mouvements. L’animatronique est trop saccadé, on a fait seulement 4 plans en animatronique dans le film.

Vous êtes content de cette sortie estivale ? (le film est sorti le 12 juillet aux États-Unis et sort chez nous le 24 juillet – ndlr) C’est l’idéal pour le film !

J’avoue que c’était une sortie rêvée mais pas prévue. On ne savait pas si on allait le finir à temps car il y avait 500 plans en images de synthèse à boucler. Mais Paramount y a cru et on sortira entre l’homme araignée et le roi lion, on verra ce que ça donne !

Propos recueillis par Alexandre Coudray et Mathieu Le Berre le 19 juin 2019 à Paris

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