Première Campagne : Rencontre avec Audrey Gordon et Astrid Mezmorian.

À l’occasion de la sortie du documentaire, Première Campagne, en salles le 17 avril 2019, nous avons rencontré la réalisatrice du film, Audrey Gordon, et son sujet/meilleure amie, Astrid Mezmorian, journaliste au service politique de France 2. 
Première Campagne est un savoureux et complexe exercice sur le métier de journaliste en pleine frénésie de la campagne présidentielle hors norme de 2017. Retour avec les deux jeunes femmes sur une course permanente envers un métier et un pouvoir sacré.

Quelle a été votre première volonté avec le projet de Première Campagne  ?

Audrey Gordon : Ma première volonté était de faire un film sur Astrid, qui m’inspire beaucoup. De montrer ses premiers pas dans cette campagne au sein du service politique de France 2 avec tout ce qui implique en termes de transmission, d’échanges avec des collègues plus expérimentés et sa chef du service politique, Nathalie Saint-Cricq. Tout ce que l’on vit dans une première campagne politique. Puis aussi, comme le journalisme est décrié aujourd’hui, de montrer ce métier au quotidien comme tout métier artisanal et sa routine. Surtout en temps de campagne, car tout est concentré dans un laps de temps court. 

Il n’y a aucune volonté politique au départ, de scruter la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron ? Le regard se porte essentiellement et volontairement sur la position d’Astrid ?

Audrey Gordon : Non, la volonté était le regard sur Astrid et son métier de journaliste. 

C’est donc une coïncidence de suivre Astrid à ce moment-là de la campagne ou un souhait dès le départ ?

Audrey Gordon : Non du tout, Astrid était déjà sur les routes depuis quelques mois. Je suis arrivée bien après, à deux mois de la fin de la campagne. Cela commençait à être l’hystérie autour d’Emmanuel Macron, mais on ne prédisait pas sa victoire, bien au contraire. Il y avait surtout un parallèle amusant dans le fait qu’Astrid était la plus jeune dans le service politique, qu’elle faisait sa première campagne en suivant le plus jeune candidat pour sa première campagne à lui aussi.

Vous êtes amies dans la vie. Cela a nourri le film  ?

Astrid Mezmorian : Je pense que notre amitié rend le film possible. Je ne sais pas s’il s’en nourrit, mais il fait que j’accepte sa proposition. Elle a fait attention de tenir la juste distance, surtout quand nous avons autant de familiarité. Il y a un respect mutuel. Avec un étranger, on se permettrait peut-être plus de choses. C’est sur la gestion de la distance que l’amitié a jouée, sa délicatesse envers moi et c’est ce qui a créé la confiance pour moi. Je l’ai oubliée positivement. J’ai vécu la campagne avec Audrey en superbe toile de fond enveloppante. Mais si elle n’avait pas été une amie, j’aurais été plus méfiante et attentive. L’amitié est dans ces interstices-là. Après est-ce un film d’amitié  ? Un film d’amour à la rigueur (rire).

Comment s’est organisé le travail entre vous  ? Comment avez-vous trouvé votre place Audrey ?

Audrey Gordon : C’était la course tout le temps  ! (rire)

Astrid Mezmorian : Ah oui c’est une course incessante ! Non pas pour montrer que nous sommes des athlètes ! Mais le travail s’inscrit dans un laps de temps circonscrit. Il y a une frénésie dans le rythme médiatique propre à France 2. Il y a tous les jours plusieurs journaux à nourrir. Audrey le restitue parfaitement, car moi-même en regardant le film, je retrouve le stress du moment. 

Comment avez-vous justement porté votre regard sur le métier de journaliste ?

Audrey Gordon : Pour le coup j’ai tenu le point de vue d’Astrid pendant tout le film. Mais ça n’a pas été construit au tournage, car il n’y a pas d’espace mental pour (rire). C’était ma première campagne à moi aussi, donc j’étais également prise dans cette frénésie. Je devais tenir bon jusqu’à la fin de la campagne, ensuite je réfléchirais à la structure du film. J’avais foi envers le personnage du film. Le reste s’est construit au montage et c’était génial de s’installer avec le monteur et de regarder les rushs. Laisser passer l’actualité et retrouver celui, plus calme, du cinéma. Reconstruire justement notre campagne à nous, à notre temporalité et revivre la campagne à un rythme différent. Retranscrire le rythme d’Astrid et non celui de la campagne. Le personnage est Astrid et non la campagne présidentielle sous le prisme de Macron. Astrid et les facettes du métier, de montrer une politique intemporelle, compréhensible dans quelques années. Que cela raconte le quotidien d’une journaliste dans le sens artisanal du terme, son approche physique. J’aimais bien observer le positionnement d’Astrid dans une certaine grâce féline autour de cette meute, la voir atteindre sa proie. 

Qu’est-ce que cela vous fait Astrid d’être une héroïne de cinéma, un félin gracieux ? (rire)

Astrid Mezmorian : C’est difficile de répondre à cette question, car je ne vois pas les choses de cette façon. J’ai pu devenir un personnage intéressant pour Audrey parce qu’il y a eu une rencontre dans des circonstances exceptionnelles et ma personnalité. C’est ce qui fait émerger un sentiment que cela produit une explosion pour sortir un personnage sur un grand écran.

Audrey Gordon : J’ai surtout essayé de montrer Astrid le plus juste et le plus équilibré possible pour que ce soit fidèle de ce que je connaissais d’elle. Je ne dirais pas que le personnage est si éloigné que cela, ce n’est que modestement ma vision d’Astrid. Mais je ne fais pas de différences entre le personnage du film et mon amie.

Astrid Mezmorian : Moi non plus, car je me reconnais dans le film. D’où le fait que j’ai beaucoup de mal à répondre à votre question. C’est fidèle à ce que je suis et à ce que j’ai vécu. À aucun moment devant le film je n’ai un sentiment d’étrangeté. 

Audrey Gordon : C’était ma grande crainte en lui montrant le film. Mon grand espoir était qu’elle se reconnaisse. 

En tant qu’héroïne, le film montre une belle évolution en tant que journaliste. On sent que vous vous imposez, trouvez vos marques dans cette campagne.

Astrid Mezmorian : Avec la recherche des « Hamonistes », qui introduit le film, je suis gênée par le sujet que je ne trouve pas crédible. Puis je fais face à ma timidité. Ce n’est pas toujours facile, c’est ingrat, il ne faut pas avoir peur du ridicule. 

Je repense aussi à la séquence en Montagne où le couple Macron est en exercice de séduction.

Astrid Mezmorian : Oui, mais mon sentiment de ce moment-là a été ressenti des dizaines de fois avant, Audrey le fait ressortir juste à cet instant du film. C’était la première fois, selon mes confrères, que j’assistais à une véritable opération de communication dans une campagne présidentielle. Elle était fantastique, parfaite et formidable. Une vraie carte postale. Fascinant et drôle de voir que les protagonistes essayent de vous faire croire qu’eux-mêmes y croient aussi. Il y avait le service d’ordre, tout le monde est assez premier degré. C’était comme au théâtre, je me suis bien marré. On en a beaucoup parlé avec le caméraman, on a bien rigolé. C’était une grande plaisanterie. 

C’est à ce moment précis que l’on voit que le couple Macron est de bons comédiens ?

Astrid Mezmorian : Ils sont allés ensemble vers le pouvoir. À ce moment-là, ils voulaient donner l’impression d’avoir un ancrage familial locale avec le récit d’une grand-mère sous des chants montagnards. C’était assez drôle. On ne réussissait plus un moment à savoir où était le vrai du faux, car cela semblait cousu de fil blanc. 

Pourquoi le film sort deux ans après la campagne ?

Audrey Gordon : Le film est prêt depuis un an déjà. Il faudra appeler le distributeur (rires). Il y a même des théories du complot qui pullulent depuis deux jours sur Internet pensant que le film fait l’apologie du président. Il ne fallait pas le sortir trop tôt à cause du ras-le-bol général de cette campagne harassante. De s’éloigner ensuite de tous les films pour la télévision qui ont été diffusés et la difficulté de sortir des documentaires en salles aujourd’hui. Les distributeurs ont attendu le bon créneau. Mais le film porte son regard sur le journalisme et non sur la politique, il se veut intemporel. 

Pensez-vous que le marasme politique actuel va jouer sur la réception du film, en sa défaveur ?

Audrey Gordon : La période est agitée, mais justement vu la méfiance envers les journalistes, cette défiance instaurée, ça me semble tout autant important de montrer la réalité de ce métier. C’est avant tout un métier.
Il y a eu récemment une projection avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme, deux pointures du journalisme, qui ont eu un dialogue passionnant avec Astrid. Ils nous ont remerciés pour le film et Astrid pour le courage d’avoir accepté cette expérience. Les journalistes doivent se montrer transparents avec le plus de fragilités possible. Le plus important est de montrer aux gens que c’est avant tout un métier avec des contraintes et des difficultés, des espoirs. Il faut juste accepter de montrer leurs boulots. C’est aussi pour cela que je suis contente que le film sorte que maintenant. La méfiance envers les journalistes est un tel enjeu démocratique que cela me fait plaisir de savoir que les spectateurs vont découvrir le métier de journaliste grâce à la position d’Astrid.

Astrid Mezmorian : On paye aussi un peu trop d’opacité. Je trouve tellement beau qu’Audrey ré-humanise ce qui source de fantasmes et de haine. À juste titre, car franchement nous récoltons ce que nous avons semé. Je trouve cela important de se focaliser sur un individu au milieu d’un faisceau de fantasme et de controverse. Cette démarche me plaît aussi en tant que citoyenne.

Propos recueillis le lundi 8 avril à Boulogne-Billancourt.
Remerciements à Astrid Mezmorian, Audrey Gordon et Claire Viroulaud pour la possibilité de cette rencontre.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*