His House : Nos fantômes

Énième production Netflix arrivant en douce, juste pour Halloween, ce film d’épouvante « à sujet », surfant donc sur la mode de ces films prenant le genre comme prétexte pour raconter le monde qui nous entoure, a réussi à créer un petit buzz et à se faire d’emblée une réputation positive. De notre côté, nous restons toujours sur la réserve concernant ces films semblant considérer l’horreur comme un genre peu noble en soi, qui aurait forcément besoin d’une couche de sous texte asséné de façon démonstrative pour montrer qu’il en a sous le capot. Pourtant, dans les 70’s et 80’s, des cinéastes tels que Romero, Carpenter, ou même Wes Craven, réalisaient une Oeuvre au sens large du terme, faite de films respectant à la fois leur statut B, ne les empêchant pas d’avoir des choses à dire sur leur pays et ses dérives, de la société de consommation à la guerre du Vietnam en passant par le totalitarisme. De vrais auteurs au sens le plus pur du terme qui ont acquis au fil du temps les lettres de noblesse qui leur revenaient de droit. Et pourtant, encore aujourd’hui, toute une nouvelle génération continue à penser qu’il faut obligatoirement revendiquer un sujet à conscience en phase avec notre société pour être pris au sérieux. Comme si un film d’horreur assumé comme tel ne pouvait pas receler en lui un discours fort, qui ne soit pas exposé au spectateur de façon trop consciente. Ceci pris en considération, il nous reste à prendre cette proposition pour ce qu’elle est concrètement, et force est d’admettre que sa mise en place a au moins de quoi intriguer …

Un jeune couple de réfugiés africains arrive en Angleterre au terme d’un voyage en mer s’étant semble-t-il déroulé de manière tragique. Débarquant dans un centre de détention, en attente d’une régularisation, ils doivent justifier devant des personnes semblant dénuées d’empathie de leur présence sur le sol Anglais, et du fait qu’ils sont des gens bien, là dans l’espérance d’une existence apaisée éloignée de la guerre. Et ce qui frappe d’emblée dans le regard du réalisateur Remi Weekes, c’est justement cette empathie de sa part, cette empathie manquant visiblement aux interlocuteurs du couple, et indispensable afin d’agir comme guide invisible pour ses personnages. Mais cette éthique qui est celle du metteur en scène concernant un sujet réellement dramatique et préoccupant pour n’importe quel être humain doit s’accompagner d’une objectivité du regard et d’une absence de condescendance sans quoi le résultat basculerait dans une leçon de morale déplacée et contre-productive. Fléau plombant une large part du genre « politique » actuel (remember l’abominable Antebellum sorti récemment), heureusement absent ici, au profit d’un accompagnement de ses protagonistes jusque dans leurs blessures les plus profondes, sans avoir besoin d’en rajouter dans la culpabilisation douteuse ou, pire, l’accusation des pays dits civilisés de tous les maux de la planète.

Le couple du film espère sincèrement s’intégrer, le mari demandant même à sa femme de parler anglais. Ce qui marque en premier lieu, c’est ce regard presque émerveillé en arrivant à destination, comme s’ils débarquaient au pays des merveilles, tout simplement parce que ce décor de banlieue pas folichon ayant pour nous un parfum de quotidien, évoque pour eux un avenir possible éloigné des violences de leur pays d’origine. Une simple subtilité de jeu nous fait comprendre l’écart dramatique entre deux existences, alors même que les personnes vivant dans cette banlieue doivent considérer qu’il s’agit du pire endroit sur Terre où naître. Une volonté de nuance dramatique qui est de bon augure pour la suite, lorsque la part horrifique va s’emparer du récit.

L’un des principaux défauts des jeunes réalisateurs œuvrant dans l’épouvante actuellement vient tout bêtement des débuts des cinéastes en question dans le court métrage, ayant pour la plupart gardé de ces années d’apprentissage de la mise en scène des tics de narration dont ils ont du mal à se débarrasser totalement lorsque l’heure du long a sonné. Et il s’agira malheureusement ici du principal défaut qui mettra à mal l’unité générale, faute d’une solidité d’exécution qui emmènerait le film vers des zones imprévues et stimulantes. A savoir que l’ensemble se base sur une idée unique étalée, disons-le un peu laborieusement sur 90 minutes de métrage, avec comme articulation principale un flash back qui nous sera montré plusieurs fois jusqu’à être dévoilé dans sa totalité, nous révélant donc l’origine de ce qui ronge le quotidien de ce couple hanté par des fantômes liés tout simplement à une culpabilité terrible dont ils devront parvenir à s’affranchir pour espérer vivre une existence meilleure loin de toute cette souffrance.

Rassurez-vous, en affirmant cela, on ne dévoile pas de quoi il s’agit concrètement, et de quelle manière cette culpabilité va s’exprimer, mais on peut au moins affirmer que l’aspect horrifique s’avère malheureusement assez accessoire, comme un simple argument utilisé pour toucher le plus large public, à commencer par de jeunes spectateurs aux premières loges pour ce type de film, pouvant ainsi être sensibilités à un sujet malheureusement contemporain, souvent réduit à de simples statistiques, alors que derrière ces migrants faisant tâche dans notre paysage, se cachent avant tout des êtres humains aux histoires tragiques, dont le simple voyage pour arriver sur ces soi disant Terres de tous les possibles s’avèrent des aventures tout sauf exaltantes, emportant avec elles leur lot de vies sacrifiées. Forcément, pour les « heureux » élus arrivant à bon port, cela est déjà vu comme une victoire face à la fatalité, mais dans le cas de ce film, ce n’est que le début d’un combat plus intérieur pour faire face à un passé récent du genre retors.

La bonne idée est donc de ne pas faire de cette arrivée en Angleterre le terreau d’une violence sociale avec à la clé un énième discours accusateur de nos sociétés concernant le sort fait aux migrants, mais bel et bien le socle d’un fantastique métaphorique dont la finalité semble bel et bien de dire que où qu’ils aillent, cette matérialisation horrifique de leurs souffrances les plus intimes sera présente, tant qu’ils n’auront pas réussi à faire face à ce passé encombrant. Une belle idée de base, donc, mais ayant du mal à dépasser le stade du concept et des belles intentions, comme si le public moderne pouvait se contenter d’une idée de scénario et de quelques images fortes s’imprimant dans la rétine, faisant fi d’une évolution narrative tout de même assez pauvre. On a donc cette sensation courante actuellement d’un court métrage étiré difficilement sur la durée d’un long, tournant un peu trop autour du pot, à coups de fulgurances visuelles parfois baroques ne débouchant que sur une finalité que l’on pressentait déjà depuis un moment.

Et par dessus-tout, le cinéaste ne semble pas faire confiance à l’intelligence de son public, ou en tout cas a visiblement peur de provoquer une certaine perplexité s’il n’explicitait pas ses intentions. Il fait donc l’erreur sur sa dernière scène de faire exprimer à son personnage principal la finalité de cette histoire, alors qu’elle coulait pourtant de source. Ce manque de confiance en la puissance expressive de sa mise en scène et d’images parlant pourtant pour elles est la preuve d’un jeune metteur en scène encore maladroit, et trop précautionneux, ayant du mal à lâcher la bride et à dépasser le stade d’une écriture programmatique. Nul doute qu’il a encore de belles choses à exprimer et que ses prochains travaux sauront s’affranchir de ces facilités empêchant en l’état ce premier long de déployer ses ailes au-delà d’une bonne idée et d’une vraie conscience ne tombant jamais dans la complaisance et le discours revanchard. Ce qui par les temps sinistres que nous traversons tant socialement que culturellement, est déjà une source de contentement, même si elle ne transforme pas le film dans sa globalité en une franche réussite. Ce n’est que partie remise, espérons-le.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*