Les Sept de Chicago : Ode libertaire d’une classe absolue

Avant de passer derrière la caméra, Aaron Sorkin est, avant tout, un scénariste dont la réputation n’est plus à faire. L’homme qui se cache derrière les scénarios de The Social Network, Des Hommes d’Honneur, Le Stratège ou encore Steve Jobs nous aura bien fait comprendre, au fil des années, qu’il aimait écrire de longues et grosses séquences de dialogues ; et c’est encore mieux s’il y a un sous-texte politique caché derrière. Trois ans après son premier long-métrage, Le Grand Jeu avec Jessica Chastain, il remet le couvert avec Les Sept de Chicago. A la fois scénariste et réalisateur, il nous promet un grand film de procès sur une affaire qui a retourné l’Amérique de la fin des années 60. Et quoi de mieux qu’un film de procès quand on aime écrire de grandes scènes dialoguées ? D’autant que le sujet sonne diablement actuel. Incitation à la révolte ? Éveil des consciences ? Discours pro-libertaire et anti-fasciste ? Peu importe comment le message sera compris, Les Sept de Chicago ne laissera personne de marbre. Initialement prévu dans nos salles, c’est finalement Netflix qui en a acquit les droits pour une diffusion sur sa plate-forme.

La Convention Nationale Démocrate de 1968 se déroule à Chicago. Elle doit désigner le candidat démocrate à l’élection présidentielle de 1968. De nombreuses manifestations ont alors lieu en ville, notamment pour protester contre la guerre du Viêt-Nam et contre la politique du président Lyndon B. Johnson. La répression policière est forte, sous l’impulsion du maire Richard Daley. En 1969, sept organisateurs de la manifestation, surnommés les « Chicago Seven » (Abbie Hoffman, Jerry Rubin, David Dellinger, Tom Hayden, Rennie Davis, John Froines et Lee Weiner), sont poursuivis par le gouvernement fédéral, notamment pour conspiration. Un huitième homme, Bobby Seale (cofondateur du Black Panther Party), est, lui aussi, jugé, mais séparément.

Depuis 2007, Aaron Sorkin tente de développer son projet sur le procès des « Chicago Seven ». Plusieurs producteurs répondent favorablement à l’appel, dont Steven Spielberg, qui est également désigné pour le réaliser. Sacha Baron Cohen est immédiatement annoncé pour camper le rôle d’Abbie Hoffman. Spielberg désire avoir Will Smith pour le rôle de Bobby Seale. La grève de la Writers Guild of America entre 2007 et 2008 provoque l’annulation du projet, ce qui n’empêche pas Sorkin de continuer à peaufiner son projet. A la fin de la grève, Spielberg change d’avis et souhaite des acteurs inconnus pour le film, ainsi qu’un budget restreint, pour finalement se retirer du poste de réalisateur. Ben Stiller et Paul Greengrass sont approchés, mais le poste revient finalement à Aaron Sorkin en octobre 2018. Le casting connaît moult changements, pour finir sur un panel d’excellence parmi lequel on compte les noms de Sacha Baron Cohen, Yahya Abdul-Mateen, Jeremy Strong, Eddie Redmayne, John Caroll Lynch, Mark Rylance ou encore Joseph Gordon-Levitt. Un casting prestigieux pour un film qui ne manque absolument pas de prestance.

Les Sept de Chicago met en scène un long et pénible procès devant lequel nous resterons scotchés sans jamais sourciller. Le talent d’écriture d’Aaron Sorkin rend l’histoire palpitante et suscite tout notre intérêt. Qu’on connaisse ou non ce bout d’histoire des États-Unis, on ne sera jamais perdu dans l’avancée du procès. Bien évidement, Sorkin fait des choix et est obligé d’avoir recours à des ellipses, tant la durée du procès a dépassé l’entendement. Ces sauts dans le temps, s’ils ne perturberont pas au début du film, nous amèneront à aller nous renseigner par la suite en fin de parcours. Il y a des éléments qui ne figurent pas dans le film et qui peuvent nous aider à mieux comprendre certains témoignages. Bien sûr, en l’état, Les Sept de Chicago est tout à fait compréhensible, nul besoin de stopper le film pour aller fouiller les tréfonds d’internet afin de le terminer. Mais, comme toute reconstitution dans le genre, il y a des choix à faire…et Sorkin semble faire les bons tant la finalité est claire et limpide. Il y a bien longtemps qu’un film mettant en scène un procès ne nous avait pas autant impliqué. Mention spéciale au juge Hoffman, campé parfaitement par Frank Langella, qui a finalement été déclaré inapte à présider le procès, qui nous aura fait serrer les dents et hurler plus d’une fois.

Les Sept de Chicago est, avant tout, un film qui se vaut pour le talent de ses comédiens. La mise en scène d’Aaron Sorkin est classique et convenue. Il filme, le plus souvent, en plan large dans le but de laisser s’épanouir son casting. La force de son projet provient de son écriture habile et soignée. Une fois de plus, Sorkin démontre qu’il est l’un des meilleurs scénaristes hollywoodien actuel. Quel tour de force magistral ! Les Sept de Chicago nous tient en haleine sans jamais compter aucun temps mort. Sorkin nous présente rapidement ses personnages dans une ouverture de film rythmée par des images d’archive. Le montage est dynamique, il faut être aux aguets dès les premières secondes, au risque de perdre le fil une fois les 10 premières minutes écoulées. Sorkin se débarrasse des présentations consensuelles inhérentes à ce genre de film. Il veut nous plonger directement dans le procès. Il annonce brièvement l’angle d’attaque des partis de la défense et de l’opposition, puis ouvre en grand son tribunal, lieu quasi-unique duquel on ne sortira que très rarement. Tel un jury venu juger le sort des accusés, le spectateur entame le film avec peu d’éléments. Sorkin nous demande un temps soit peu d’attention. Il veut que nous apprenions à connaître ses personnages. Il ne manquera pas de lâcher des informations au compte-gouttes pour ne jamais nous perdre. C’est vraiment une démarche malicieuse à laquelle nous assistons, et un vrai parti pris d’écriture. C’était la meilleure des manières de nous impliquer émotionnellement dans ce long procès de plus de deux heures. Quel grand film !

Les Sept de Chicago prouve qu’Aaron Sorkin a tout à fait l’étoffe de marcher sur les plate-bandes d’un Oliver Stone. Il fascine par un sujet politique aux convictions radicales. Le talent des acteurs magnifie les mots de Sorkin (Sacha Baron Cohen en tête, qui n’est jamais aussi bon que dans de gros rôles comme celui-ci, n’en déplaise à ceux qui le préfèrent en train de faire le pitre). Le film captive, émeut, prend aux tripes. Le sentiment d’injustice et de révolte s’empare petit à petit du spectateur jusqu’à l’apothéose final. Les dernières lignes de dialogues prononcées par Eddie Redmayne mettent des frissons comme on n’en avait pas ressentis depuis des lustres. Les Sept de Chicago est une œuvre forte. Un film politique essentiel. Un plaidoyer libertaire bouleversant. Un de nos coups de cœur de l’année, tout simplement.

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