Gaspard va au mariage : Rencontre avec Antony Cordier

Il y a souvent du bon à arriver vierge de toute image et de tout objet promotionnel devant un film. Souvent, la surprise n’en est que plus grande. C’est le cas de Gaspard va au mariage, que personne n’attendait vraiment mais qui s’avère être la comédie française la plus audacieuse et la plus rafraîchissante de ces dernières années. L’équilibre sur lequel évolue Antony Cordier durant tout le film est tel qu’on pouvait difficilement résister à l’envie de lui poser des questions sur la naissance de ce film unique qu’il est nécessaire de découvrir en ces jours pluvieux.

Comment vous est venue l’idée du film ?

J’avais depuis longtemps envie d’explorer le genre qu’on appelle « le film de famille dysfonctionnelle », dans lequel vous pouvez ranger aussi bien La Famille Tenenbaum qu’Un conte de noël ou Ma saison préférée – pour citer trois films où, comme par hasard, le frère et la sœur sont amoureux l’un de l’autre. A l’écriture, quand a surgi l’idée d’une famille qui aurait grandi dans un zoo, je me suis souvenu d’un livre que l’on m’avait offert lorsque j’étais enfant, un livre qui racontait l’histoire du créateur du zoo de La Palmyre, à l’époque le plus grand zoo d’Europe. Dans ce livre, il y avait des photos où l’on voyait les enfants au milieu des animaux, notamment une photo où le jeune fils de 6-7 ans dormait avec un bébé guépard dans son lit. Cela a été le déclic. Je me suis dit : « Voilà, ce sont les personnages, ils n’ont jamais eu de peluches, ils ont eu de vrais animaux sauvages. »

Où avez-vous tourné ? C’est un beau décor que vous avez trouvé.

Nous avons tourné dans le parc animalier du Reynou, dans le Limousin. C’est un grand zoo, très vaste, avec d’immenses plaines où les animaux sont rassemblés selon leur origine géographique. Les animaux ne sont ni isolés ni enfermés dans des cages et le zoo s’occupe principalement de la préservation des espèces menacées. Si ce zoo nous a intéressé, c’est parce qu’on sentait que la famille qui s’en occupe avait très envie d’accueillir le tournage. On savait donc qu’il y aurait un réel échange entre l’équipe du film et l’équipe du zoo. Les soigneurs et le vétérinaire du zoo jouent d’ailleurs dans le film. Quant au directeur, il a décidé quelques mois après le tournage de se marier dans le zoo, exactement comme dans le film !

Le casting que vous avez réuni est très éclectique mais a une belle alchimie, comment les avez-vous réunis ? Y a-t-il eu des évidences ?

Il n’y a jamais aucune évidence dans un casting. S’il y a une évidence, c’est peut-être qu’il y a un problème ! Pour le personnage de Gaspard par exemple, je n’avais aucune idée arrêtée. C’est en rencontrant Félix Moati que j’ai senti qu’il comprenait profondément les thèmes du film et qu’il avait envie d’aller chercher dans les scènes des sentiments qui le travaillaient. Comme le film a été difficile à financer, on a subi quelques défections mais Félix n’a jamais douté et était prêt à faire le film coûte que coûte. Quand un acteur est investi comme il l’a été, vous savez que vous allez aller au bout. Sur le tournage, le matin, quand on se croisait, il rayonnait : il savait qu’il était à sa place. Bref ce sont souvent les acteurs qui choisissent les films, et non l’inverse. Moi je me contente de proposer le film à des personnes que j’ai envie de regarder, parce que finalement le métier de réalisateur se résume à ça : regarder des acteurs à chaque seconde du tournage et imaginer comment leur personnalité peut se déployer et se prolonger dans une fiction.

Y a-t-il un peu de Gaspard en vous ?

Pas vraiment. A la limite il y a un peu de Max, le personnage joué par Johan Heldenbergh : je me suis tatoué juste avant de me marier.

Il se diffuse pendant tout le film une certaine mélancolie qui doit beaucoup, je trouve, à la musique de Thylacine, comment avez-vous travaillé avec lui ?

Je l’avais découvert en concert et j’ai eu envie de lui proposer de composer la musique du film pour des tas de raisons, notamment parce qu’il ne l’avait jamais fait et aussi parce qu’il avait l’âge des acteurs, 25 ans, et que je me disais qu’il allait être comme un autre acteur du film, à la même place que Félix Moati ou Christa Theret. Comme je savais qu’il était instrumentiste, je lui ai proposé à notre première rencontre d’imaginer des compositions avec du saxophone. Je lui ai fait découvrir des B.O. avec du saxo, comme celle d’Extérieur, nuit ou certaines compositions de Gabriel Yared. Et puis, finalement, quand on a commencé à travailler les séquences, on a complètement laissé le saxo de côté ! La musique devait exprimer des choses qui n’était pas formulées dans les dialogues ou le récit. A un moment, par exemple, on a été confronté à une difficulté : on cherchait comment la musique pouvait exprimer le fait qu’une menace planait sur le zoo. Et Thylacine a inventé une méthode : au lieu de rester collé au film, il part à l’étranger et il compose en s’appuyant sur ses impressions de voyage. Là, il est parti à Naples et il a composé une musique face au Vésuve. Donc la menace ressentie pour lui face au volcan est devenue la menace du film, celle qui exprime sans le formuler le fait que des chiens errants menacent les animaux du zoo.

Le film a un rapport au corps et au désir très particulier, on voit régulièrement les acteurs nus et évidemment ça nous fait penser au côté très animal du récit avec ce zoo et cette famille un peu à part, c’était quelque chose de prévu dès le départ ou vous l’avez travaillé avec les acteurs ?

Je travaille toujours l’identité érotique de mes personnages, c’est quelque chose qui m’intéresse. Par exemple, pour le personnage de Coline, la fille qui se prend pour un ours… Je me demande pourquoi elle se comporte comme ça bien sûr, mais je me pose aussi des questions concrètes : que mange-t-elle ? Où et comment dort-elle ? Comment dit-elle bonjour aux inconnus ? Et aussi : quelle est sa sexualité ? J’ai eu l’idée qu’elle pouvait se frotter le dos contre un arbre, comme les ours. Quand Christa Theret le fait et qu’elle grogne de contentement, on sent qu’elle est dans une sorte de volupté, de plaisir sexuel. Et d’un seul coup on peut se souvenir que, lorsqu’elle était petite, Gaspard avait conçu une invention qui lui permettait de gratter le dos de sa sœur… Bref sa sexualité est liée à l’admiration qu’elle portait à son frère.

Comment avez-vous développé la relation entre Gaspard et Coline ? Elle échappe à tous les clichés, c’est assez merveilleux.

Quand on a commencé à travailler avec Félix Moati et Christa Theret, j’ai tout de suite vu qu’ils essayaient de jouer « le drame de leur relation » au lieu de jouer « la comédie de leur relation ». C’était comme si les personnages souffraient intérieurement, souterrainement, comme s’ils étaient porteur d’une sorte de tragédie. Ça n’allait pas du tout. Tout le travail a alors consisté à éliminer le point de vue qu’ils pouvaient avoir sur leurs personnages. Surtout aucun jugement, aucune gêne, aucun « commentaire » dans le jeu. Ils devaient jouer comme si tout était normal, même quand ils prennent leur bain ensemble alors qu’ils n’ont plus l’âge pour le faire. C’est au spectateur de porter éventuellement un jugement, pas à l’acteur. Mettons en places des situations loufoques mais jouons-les comme si tout était normal.

Votre film est certainement la meilleure comédie que l’on ait vu en France depuis au moins deux ans, elle est remplie de tendresse et ménage un bel équilibre entre tous ses personnages, ça n’a pas été trop dur de trouver ce ton si atypique ?

J’avais bien conscience de ce qui était le principal défi du film : naviguer entre plusieurs tons, passer d’une scène de franche comédie à une scène grave ou mélancolique, ne jamais s’appesantir sur un seul personnage ou un seul enjeu narratif. Je savais néanmoins que la gravité viendrait naturellement dans le film et qu’au tournage il fallait d’abord que tout le monde concentre ses efforts sur la comédie. On a surtout fait en sorte que le film ne ressemble à aucun autre, en fait.

Quels sont vos projets pour la suite ?

J’ai un ou deux projets d’adaptation de roman et un scénario original en cours d’écriture. Je ne sais pas vraiment quel sera le projet prioritaire. Ça dépendra de la réception de Gaspard va au mariage.

 

Un grand merci à Antony Cordier et à Anne-Lise Kontz

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