Gueules Noires : Ils ont creusé trop profond…

Témoignant d’un véritable amour pour le cinéma de genre, la courte filmographie de Mathieu Turi, jusque-là composée de Hostile et de Méandre, avait un gros défaut, récurrent dans les tentatives de genre en France : une faiblesse d’écriture minant le concept initial, avec une fâcheuse tendance à vouloir ajouter à tout prix du sous-texte quand la situation proposée n’en demandait pas tant. Si l’on avait plutôt apprécié Méandre, on ne se souvient pas de Hostile avec beaucoup de tendresse, l’ensemble du récit et de la tension mise en place étant régulièrement parasitée (au point d’en constituer l’essentiel du long métrage) par des flash-backs insupportables et guère utiles, menant à un twist final passablement ridicule. Si nous disons cela, c’est pour dire combien nous avons approché Gueules Noires avec autant d’envie que de méfiance. Et si nous le disons, c’est pour souligner combien ce troisième long métrage s’avère être une belle réussite, le cinéaste embrassant enfin toute la dimension horrifique de son pitch initial sans vouloir en rajouter, se contentant d’esquisser certaines thématiques du récit en filigrane sans pour autant nous les marteler.

Vendu comme un The Descent à la française, Gueules Noires a, il est vrai, une certaine parenté avec le film de Neil Marshall, aussi bien dans son concept que dans son budget (4 millions d’euros pour le film de Turi, 3,5 millions de livres pour celui de Marshall) même si la comparaison s’arrête là, les deux n’ayant pas la même portée émotionnelle. Se déroulant en 1956 dans une mine du Nord de la France, Gueules Noires nous conte l’histoire d’une équipe de mineurs (menée par Roland, ancien résistant et récemment rejointe par Amir, venu du Maghreb dans l’espoir d’une vie meilleure) chargée d’accompagner le professeur Berthier dans les profondeurs de la mine. Berthier est en effet à la recherche d’une crypte vieille de plusieurs milliers d’années qu’ils ne tardent pas à trouver à la suite d’un éboulement. Coincés, les mineurs ont le malheur de découvrir qu’une terrible créature se cache dans les ténèbres et qu’elle est décidée à leur faire la peau…

On fait difficilement plus simple et plus alléchant comme pitch et l’on sera reconnaissant à Mathieu Turi d’avoir l’intelligence de prendre son temps avant de faire apparaître sa créature. Il se passera ainsi près d’une heure avant que l’horreur ne se dévoile totalement, une heure nécessaire pour une question de budget peut-être mais surtout nécessaire pour bien poser le contexte et ses personnages ainsi que leurs habitudes dans la mine pour mieux être happé dans l’action par la suite. Si l’écriture accuse quelques faiblesses du côté des personnages (un mineur raciste sans trop de subtilités, un professeur Berthier – par ailleurs incarné par un Jean-Hugues Anglade relativement méconnaissable – un brin cliché), cette première partie instaure néanmoins une atmosphère rondement réussie, décrivant les dures conditions de travail des mineurs.

Ainsi, quand l’horreur pointe le bout de son nez, Mathieu Turi a posé des bases suffisamment solides pour faire accélérer la machine, dans un élan parfois erratique (quelques allers-retours de trop au sein du même décor) et parfois bancal mais toujours extrêmement généreux. À travers sa créature particulièrement réussie, occasionnant quelques visions horrifiques cauchemardesques, Turi convoque (on ne l’avait pas vu venir) un grand écrivain de l’horreur et assume dès lors une filiation tout à fait réjouissante faisant carrément basculer le film dans une autre dimension. L’équilibre est précaire mais se tient jusqu’au bout, d’une part parce que Turi a visiblement beaucoup d’amour pour son monstre (clairement une bonne partie du budget est passé dessus) et qu’il soigne chacune de ses apparitions, d’autre part parce qu’il détient un indéniable talent pour entretenir la tension dans des espaces restreints (sa spécialité semble-t-il), enfermant ses personnages dans une obscurité savamment ménagée tout en se permettant quelques idées de plan plutôt audacieuses.

Ainsi, bien que tout soit loin d’être parfait, on sort de Gueules Noires avec une farouche impression positive. À la fois pour son audace, pour sa capacité à faire beaucoup sur un budget restreint et pour son amour de l’horreur traversant tout le film. On ne boudera pas non plus la prestation charismatique du trop rare Samuel Le Bihan (dont la seule présence dans un film de genre convoque tout un imaginaire ramenant au Pacte des Loups) ainsi qu’un creature design particulièrement inspiré, de nature à inspirer quelques cauchemars. On ne saurait donc que trop vous conseiller de foncer voir en salles ce film, l’obscurité étant les conditions idéales pour le découvrir…

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