
Entendez-vous ces notes d’orgue inquiétantes ? Vous cherchez du regard mais vous ne voyez personne et vous commencez à imaginer que l’orgue s’anime tout seul. Puis un rire déchire l’atmosphère. Un rire qui vous glace le sang, plein d’orgueil et d’élégance démoniaque. Il y a 30 ans jour pour jour, un prince du cinéma d’épouvante s’en est allé régner dans le monde des morts. Tantôt tortionnaire, tantôt savant fou, il n’en était pas moins un monarque de la terreur. Aujourd’hui, quelques jours après Halloween, où le rideau entre les limbes et le monde des vivants se fissure, nous célébrons notre sabbat en l’honneur de Vincent Price.
L’acteur fétiche de Roger Corman, devenu célèbre pour ses rôles dans des films d’épouvante, peut être érigé au panthéon des artisans de la peur aux côtés de Bela Lugosi et Boris Karloff. Il a gravé à jamais sa marque dans le cinéma et la pop-culture (c’est la voix du morceau Thriller de Michael Jackson), par son charisme, son jeu si particulier et a apporté au cinéma bis un peu de grâce shakespearienne.
Vincent le Terrible :
L’acteur entame sa carrière en s’essayant surtout au film historique, puis connaît un début de notoriété grâce à son rôle secondaire dans Laura de Otto Preminger, un polar majeur du cinéma Hollywoodien. Mais Vincent Price est entré dans la légende en utilisant son physique, sa voix et son charme si particulier dans des rôles d’épouvante, notamment pour le pape de la série B Roger Corman.

Mais qu’est-ce qu’un rôle Pricien ? Pour commencer, il faut incarner un archétype de personnage baroque, romantique et tragique. Un savant fou dans Le désosseur de cadavre, un survivant dans Je suis une légende, un prince cruel dans Le Masque de la Mort Rouge, un artiste déchu dans L’homme au masque de cire ou un organiste défiguré dans L’abominable Dr. Phibes. Vincent Price n’incarne pas des créatures fantastiques ou des monstres comme Dracula. Il se jette corps et âme dans l’interprétation de personnages tragiques, au sens théâtral du terme : des monstres humains en quelque sorte. Grâce à ces archétypes très marqués, il joue dans un registre qui est celui de la fatalité, de la mélancolie ou de la passion dévorante. Vincent Price fait partie de ce petit cercle d’acteurs qu’on imagine aisément dans une pièce de Shakespeare (je rêve secrètement d’un monde ou Price donnerait la réplique sur scène à Alan Rickman).
Jouer ces archétypes lui permet dans un second temps d’être l’allégorie d’un concept lié au tragique. Les personnages de Vincent Price sont terrifiants parce qu’ils sont incroyablement séduisants. Il rend la folie, le Mal, la souffrance ou le sadisme fortement déroutant, puisqu’il décide d’avoir une approche toujours très subtile, délicate et esthétique. Par exemple, il s’exprime toujours d’une voix douce et distincte, il apparaît toujours très élégant et joue des personnages aux manières impeccables, de vrais gentlemen. Mais dès que la nuit tombe ou que le rideau se baisse, ces personnages se révèlent être les pires êtres au monde. Jouer sur cette dualité entre la beauté des atours et la noirceur de l’âme définit tout ce qui fait un rôle digne de Vincent Price.
Sa filmographie est unique grâce à son talent pour magnifier le monstre en chacun de nous. Il rend sublime la terreur et ça n’est pas étonnant qu’il soit l’une des inspirations principales de Tim Burton, le réalisateur qui donne le premier rôle aux êtres étranges. Il est également un des seuls acteurs à qui on ne reproche pas d’être plus grand que ses rôles. Il est presque autant l’auteur de ses films que le metteur en scène qui le dirige, ce qui n’est pas sans conséquence.

The Price of terror :
Le point commun entre tous les rôles de Vincent Price c’est la profonde solitude qui les caractérise. Burton a réussi à cristalliser cet isolement dans son court-métrage d’animation Vincent qui rend hommage à l’acteur (auquel il prête encore sa voix !). Être un personnage de Price implique forcément une rupture avec ses semblables, la beauté et la grâce macabre naissant irrémédiablement d’une âme enfermée sur elle-même.

Cet isolement se ressent jusque dans les tréfonds de la mise en scène, puisque les films se vendent quasi-exclusivement sur la présence de Price au casting. Il est la star et ses personnages en sont affectés de telle sorte qu’il engloutit complètement ses partenaires de jeu. Cela participe aussi au rapport trouble s’installant entre le spectateur et lui. L’acteur incarne des personnages abjects, mais il est néanmoins mis en valeur de façon à ce qu’on aime voir sa cruauté. On craint d’autant plus ses monstrueuses prestations qu’elles sont irriguées de cette cruelle solitude. Cette exclusion suscite une certaine empathie de la part du spectateur car le monstre ne naît pas comme tel, il le devient.
Avec le temps, l’acteur a fini par transcender ses rôles. A Halloween on se déguise en loup-garou, en Dracula, en Homme Invisible, ou en Vincent Price. Il est devenu un archétype à part entière, unique en son genre puisqu’il est le seul à pouvoir l’incarner. Sa persona continuera de hanter les spectateurs pendant de longues années, à moins qu’il ne décide tout simplement de revenir d’entre les morts. Il en serait bien capable…
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