The Killer : Hexalogie du crime

Savant et chébran dans le même temps, d’une méticulosité à toute épreuve et d’un niveau d’aboutissement n’ayant d’égal que sa brillance technique et sa cohérence thématique le Cinéma de David Fincher fut le fruit de dix longs métrages au crépuscule des années 2010, trouvant son apothéose manipulatrice dans un Gone Girl pratiquement dévastateur à force d’héroïne retorse et de mari bafoué, remettant au goût du jour l’effervescence médiatique d’une Americana en proie à d’hallucinants faits divers doublés d’un machiavélisme de haute voltige… Depuis lors un seul film du Grand Homme à la précision légendaire fut visible : le très complexe et légèrement abscons Mank, une biography picture retraçant de manière quasiment exhaustive une partie de la vie du scénariste de Citizen Kane à l’orée des années 40, le tristement in-célèbre Herman Mankiewicz. Sorti directement sur Netflix à la fin de l’année 2020 ce Mank sur lequel nous avait laissé David Fincher augurait un changement littéral sur les moyens de production, de distribution et de diffusion de ses films, ceux d’une Oeuvre ayant plus que jamais sa place sur l’écran d’une salle obscure, quelle qu’elle soit.

Preuve en est avec son douzième long métrage de Cinéma dont la sortie sur la plateforme sus-citée est prévue pour le 10 novembre prochain : The Killer, brillant exercice de style renouant avec le ludisme d’un The Game et la noirceur de ses premiers films inaugurée avec ALIEN³ et surtout Se7en. Près de dix ans séparent la sortie en salles de Gone Girl et celle du film dont il est ici question, et si l’équipe rédactionnelle de Close-Up Magazine est parvenu à jouer des coudes pour assister à l’une des très rares avants-premières lui étant consacré (celle de la 80ème Mostra de Venise vit par ailleurs le réalisateur repartir bredouille du palmarès, ndlr) il semble bien que The Killer ne trouvera grâce à vos yeux que par l’entremise de la plateforme Netflix, hégémonie algorithmique passablement divertissante et rarement qualitative, à l’exception de quelques raretés… dont ce nouvel opus fincherien, admirable à bien des égards !

Tourné entre Paris, Saint-Domingue et une poignée d’États de l’Amérique du Nord The Killer prend comme point de départ un roman graphique du même nom concocté par Matz et Luc Jacamon, bande-dessinée par la suite réécrite par Andrew Kevin Walker (scénariste de Se7en en 1995, ndlr) et promise à un contrat d’exclusivité avec Netflix quelques semaines seulement après la diffusion de Mank sur la plateforme. En résulte un étrange film concept formant avec Se7en, Zodiac et son adaptation de Millenium la tétralogie officieuse du crime de son auteur-réalisateur ; situé à mi-chemin entre l’atmosphère déliquescente de Se7en et ses crimes tous plus sordides les uns que les autres et l’exigence procédurière d’un film comme Zodiac The Killer commence sur un véritable point de bascule : celui d’une cible fatalement manquée par son criminel. N’ayant aucun nom ni aucune identité durables le tueur dudit film (Michael Fassbender, incroyable de froideur impassible et ambivalente…) nous laisse dès les premières secondes du drame partager son soliloque intérieur, tueur à gages se devant de remplir chaque contrat à la solde d’un client donné…

D’emblée la froideur, la chirurgicalité du nouveau David Fincher frappe aux yeux et aux oreilles, à l’image de ce professionnel imperturbable scrutant sa proie potentielle par-delà les immeubles de la Rive Gauche parisienne… « Empathy is weakness ; weakness is vulnerability » se répète en son for intérieur ledit tueur tel un mantra, un axiome, un précepte faisant office de loi. Autonome car anonyme et surtout pratiquement indépendant le tueur semble dès les premières images appréhender le meurtre comme un fascinant rituel, réglé comme du papier à musique sur les gammes d’un crime inexorablement programmé… C’est alors qu’un grain viendra se glisser dans l’engrenage de sa mécanique bien huilée : à peine la silhouette plantureuse d’une escort-girl obstruant la cible potentielle de notre tueur à gages aux dehors impitoyables mais non moins nuancés sur la longueur d’un métrage échappant rapidement à toute programmatique convenue et, à fortiori, décevante.

Six chapitres ainsi qu’un épilogue viendront rendre compte de la destinée de notre tueur et de son entourage : la cible, la planque, l’avocat, la brute, l’experte et, enfin, le client. « La vengeance n’est jamais une ligne droite : c’est une forêt dans laquelle on peut se perdre » dictait la figure de Hattori Hanzo à Beatrix Kiddo dans le volume 1 de Kill Bill de Quentin Tarantino. Tout n’est qu’affaire d’erreur à corriger dans The Killer, de moment d’égarement à recadrer et de tir à littéralement redresser. Chacun des chapitres développés par le cinéaste américain témoigne d’une atmosphère lui étant propre (le second parvient même à sublimer le fameux Glory Box de Portishead, alors que le quatrième s’impose de toute évidence comme le morceau de bravoure du film, ndlr), transformant un canevas narratif proche de l’abstraction en un récit flamboyant et entièrement porté par un casting de très haute volée (avec entre autres choses une Tilda Swinton remarquable en antagoniste, ainsi qu’un Arliss Howard hélas trop peu visible, impeccable en commanditaire sans envergure…).

Noir et surprenant, conceptuel mais incarné dans le même mouvement virtuose et méticuleux The Killer rejoint les grands films sur le Crime et ses vicissitudes, s’imposant avec panache comme l’un des films majeurs de cette fin d’année 2023. Oeuvre singulière sur la destinée et l’existence avec ce qu’elles impliquent en termes de trajectoires préétablies ou délibérément erratiques le douzième film de David Fincher se doit d’être vu et revu afin de mieux comprendre le génie d’un maître du Septième Art pourvoyeur de décadence et de nihilisme en demi-teinte. A voir absolument, forcément.

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