
Dès la sortie de son précédent film Adieu les Cons, Albert Dupontel parlait déjà avec ferveur du projet qu’allait devenir Second Tour. Il faut dire que, depuis 9 mois ferme, le réalisateur de Bernie enchaîne les succès comme peu de ses contemporains, avec plus de 2 millions d’entrées à chaque film. Dupontel a enfin trouvé l’équilibre entre son univers baroque et les goûts d’un public toujours plus exigeant. Comment ne pas être heureux de voir cette anomalie du cinéma français finalement triompher après avoir été tant décrié par la critique toute la première partie de sa carrière ? Le problème, c’est que Dupontel semble être si satisfait de ce succès populaire, après des années passées à travailler pour une belle, mais restreinte niche d’admirateurs, qu’il en oublie presque son amour pour le cinéma, pour cette mise en scène décalée, véhicule de joyeuses idées foutraques qui nous ont fait voir et revoir ses films. Dupontel n’est pas animé par l’ego ou la flemmardise, ce serait mal connaître l’artiste, mais il paraît heureux de se contenter de cette simplicité dans laquelle le grand public aime se blottir. Si vous aviez des réserves quant au scénario d’Adieu les Cons et cette interminable scène de conclusion dans l’ascenseur, sachez que Second Tour n’en est qu’un prolongement et que la vision de ce nouveau film vous sera d’autant plus douloureuse.
Dupontel a eu l’idée de Second Tour en regardant un documentaire sur JFK, fasciné par le concept uchronique de se demander ce qu’il se serait passé si le président américain avait masqué ses intentions jusqu’à son élection. Traiter le monde politique au cinéma est toujours affaire de prudence. Comment parler d’un parti, d’un sujet, d’un Homme, sans attirer la controverse, le clash que nos réseaux sociaux aiment tant pour continuer à produire le contenu qui les fait vivre ? Dupontel fait le choix de ne pas faire ce choix, en élaguant toute référence à notre réalité ou actualité (même s’il est facile de faire certaines comparaisons), pour se concentrer sur l’universel de la Politique en démocratie, c’est-à-dire un homme faisant campagne pour être élu, ici à la plus haute charge de l’État, celle de président de la République. Néanmoins, en faisant cela, il élague aussi la possibilité de subversion de son récit. Tout aussi satirique soit-il, son film ne s’appuie pas sur le concret comme ont pu le faire les maitres-étalons du genre avant lui tels que La ferme aux animaux ou Le Dictateur. À nouveau, Dupontel cherche à reproduire la magie du cinéma de son idole Charlie Chaplin sans y arriver, forcé d’expliquer une intrigue chaotique par des dialogues verbeux, soi-disant poétiques, mais souvent bien plus plats que les quelques gestuelles de ses précédents personnages. Second Tour marque donc l’échec du cinéma de Dupontel à se renouveler, comme si la rage de changer les choses l’avait quitté, qu’il ne restait plus que cette envie de divertir un peu plus avant de perdre cette flamme qu’il partage avec son public. Il y a presque quelque chose de funèbre qui se dégage du projet. Cinq ans auparavant, l’annonce d’un film de Dupontel sur la politique aurait été une nouvelle extraordinaire pour les cinéphiles français. Aujourd’hui, c’est l’assurance d’un bon moment pour les personnes adeptes de citations philosophiques et autres posts Facebook plein de bons sentiments, un film fait pour le fameux oncle mi-démagogue, mi-complotiste, qui n’a pas voté depuis dix ans en répétant “qu’ils sont tous pourris” et que toutes les familles doivent supporter. Un film naïf, construit par un réalisateur de plus en plus déconnecté du monde dans lequel il vit.

Dupontel est réputé travailleur et le scénario de Second Tour fut prêt à être tourné très (trop ?) rapidement. Au vu de sa qualité, un co-auteur ou un producteur intransigeant aurait permis au film de gagner en cohérence. Présentement, il est difficile d’accepter qu’un film sur un sujet aussi important que la politique, tire sur de si grosses ficelles. Le projet est coincé dans une parodie du cinéma muet des années 20 et 30, sans être capable d’y insuffler la modernité suffisante pour le remettre au goût du jour et s’effondre avec le personnage incarné par Dupontel. Comment croire que cette personnalité presque autiste puisse être l’homme politique censé sauver la France aux yeux des médias et de la population ? Dupontel n’écrit pas un personnage, il s’écrit lui-même, se permettant ainsi de nous faire part de ses états d’âme et de ses rêves sans se demander si cela pouvait véritablement nous intéresser. Après 25 ans de carrière, il ne peut toujours pas s’empêcher de parler de sa relation conflictuelle avec ses parents et de se venger avec cette scène plutôt détestable à la fin du film dans laquelle le personnage de Cécile de France prend un malin plaisir à faire pleurer la mère acariâtre de Dupontel après lui avoir rappelé tout le mal qu’elle a fait. Et puis, comment ne pas être embarrassé par ces effets de montage surannés qui parsèment un film gangréné par l’omniprésence du champ, contrechamps, ou ces rajeunissements numériques plus angoissants qu’autre chose ? Tout cela pourrait encore passer si le duo de personnages principaux interprétés par Cécile de France et Nicolas Marié fonctionnait. Sans être fausse, Cécile de France a du mal à jouer la dure, celle qui a sacrifié sa carrière pour ses valeurs, incarnation de la figure de la journaliste intègre qu’on relègue aux plus basses tâches pour la punir de sa désobéissance. Pas à l’aise dans l’univers expressionniste de Dupontel, l’actrice n’est jamais totalement lâchée dans ce personnage qu’on sent joué et pas vécu. Il est d’ailleurs difficile de croire à la romance qui se dessine entre son personnage et celui du candidat Dupontel. Nicolas Marié n’arrive pas non plus à tirer son épingle du jeu, non pas à cause de son jeu qui est globalement efficace, mais par la relative platitude de son personnage. Passé les quelques gags autour de sa bêtise, il n’est jamais touché par la grâce d’une scène venue transcender son humanité avec poésie comme sait si bien le faire Dupontel. Cette scène lui est finalement volée par le second personnage du réalisateur dont on ne révélera rien en ces mots.

Second Tour va être un grand succès populaire. Partout en France, les retours des avant-premières dont Albert Dupontel est si friand, sont extrêmement positifs. Pourtant, le film marquera-t-il autant les esprits qu’Au Revoir là-haut ? Sûrement mal à l’aise en “simple technicien”, on ne peut pas lui en vouloir d’être revenu à ses propres lubies d’auteur. Néanmoins, comment ne pas regretter, après un tel succès commercial et artistique, que Dupontel n’ait pas continué à s’emparer de commandes comme il l’a fait si bien avec le roman de Pierre Lemaître ? Tant d’histoires mériteraient sa folie visuelle, ses idées toujours décalées dont manque finalement son dernier film, trop terne pour émerveiller et trop autre pour véritablement informer.
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