Tobe Hooper : Les monstres cachés de l’Amérique

Toujours éclectique, donnant aussi bien la part belle aux grands classiques de l’Histoire du cinéma qu’aux pépites méconnues à découvrir, Carlotta Films nourrit également dans son catalogue une appétence pour le film de genre. Avec la sortie de Massacre à la tronçonneuse en 4K dans des éditions simples mais aussi dans un coffret ultra-collector de toute beauté déjà quasiment épuisé en septembre dernier, l’éditeur a frappé un grand coup puisque le film, tout en appartenant à un genre bien défini, est également un jalon marquant de l’Histoire du septième art, l’un des films d’horreur les plus commentés dont la richesse thématique a inspiré bon nombre de critiques, de l’excellent livre de Jean-Baptiste Thoret inclus dans le coffret à notre propre dossier sur la saga dans nos colonnes.

Massacre à la tronçonneuse (1974)

Il est en effet étonnant de constater combien ce film, tourné pour la modique somme de 140 000 dollars, aura un impact énorme, à la fois dans la culture populaire et dans ce qu’il raconte de l’Amérique au moment où il est tourné en 1974. Rien dans la carrière antérieure de Tobe Hooper ne nous avait préparé à un tel choc, lui qui avait seulement signé avant un long métrage quasiment expérimental intitulé Eggshells, particulièrement ardu à supporter mais portant déjà en son sein quelques expérimentations formelles réutilisées pour Massacre à la tronçonneuse. On s’amusera d’ailleurs de voir combien on prête à Hooper une multitude d’intentions et de références au moment où il tourne Massacre à la tronçonneuse et bien que le film dispose d’une richesse indéniable le prêtant parfaitement au jeu de l’analyse qu’apprécie le critique de cinéma, on imagine mal le jeune réalisateur tourner son film d’horreur fauché sous la chaleur harassante du Texas en pensant à chacun de ses plans à des citations de philosophes. Mais c’est aussi la magie du cinéma : chaque film est un pur produit de son époque, la reflétant elle et ses préoccupations autant que celles du réalisateur et de ses influences.

De fait Massacre à la tronçonneuse est certainement le plus passionnant de tous les films d’horreur par sa richesse thématique, faisant surgir une violence dénuée de sens qu’il nous est impossible de saisir totalement. Victime du capitalisme ayant fermé l’abattoir dans lequel elle travaillait, la famille Sawyer ne fait que reproduire sur les humains croisant son chemin le métier pour lequel on l’a formée. Bouchers cannibales, rednecks détraqués, ils sont terrifiants car ils ne sont pas une entité maléfique mais bel et bien des pauvres types qui pourraient être nos voisins et qui comblent le vide de leur existence en reproduisant encore et toujours les mêmes actes de violence. Surgissant de nulle part, n’obéissant à aucune logique et paraissant donc parfaitement insupportable et injuste, la violence de la famille Sawyer ne respecte rien et profane tout, dans un grand geste macabre de folie. L’image de fin du premier film est saisissante : la seule rescapée du groupe massacré hurle à s’en déchirer les poumons tandis que Leatherface brandit sa tronçonneuse dans le vide en signe d’impuissance. Dans les deux cas, aucun retour possible pour les personnages après cette expérience au plus près du chaos et ce ride morbide et grotesque.

Massacres dans le train fantôme (1981)

Ce goût du grotesque et cette envie de creuser derrière la façade de l’Amérique pour en déterrer les cadavres est une récurrence dans la filmographie de Tobe Hooper : c’est ce motel servant de repaire à un maniaque donnant ses clients en pâture à son crocodile dans Le Crocodile de la mort, c’est cette belle maison dans laquelle s’abrite le vampire Barlow dans Les Vampires de Salem, cette fête foraine abandonnée où vit désormais la famille Sawyer dans Massacre à la tronçonneuse 2 ou encore ces petites bourgades américaines soit hantées par des esprits malfaisants (Poltergeist) soit menacées d’une invasion extra-terrestre (L’invasion vient de Mars).

Le cinéaste n’aime rien de mieux que d’embarquer son spectateur dans l’envers du décor de l’americana, pour lui proposer un ride digne du plus effrayant des trains fantômes. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si Massacres dans le train fantôme se déroule en grande partie dans les coulisses de cette attraction, le film étant peut-être le plus ludique et le plus tendre du réalisateur, témoignant d’un grand amour pour les monstres et les marginaux, d’abord victimes de l’incompréhension et de la violence de ce monde avant d’être coupables à leur tour d’actes terribles. Si la paternité de Poltergeist demeure à ce jour encore sujette à débat avec la présence régulière de Steven Spielberg sur le plateau de tournage, deux scènes demeurent indéniablement liées à Hooper et aux thématiques qui l’animent. La première nous montre le père de la famille Freeling sur une colline avec son patron. Celui-ci a peur de perdre son meilleur employé et lui promet de lui construire une belle maison au sommet de la colline quand un mouvement de caméra révèle le décor dans son intégralité : on y trouve un cimetière. L’Amérique, qui s’est construite sur un génocide, continue d’ignorer ses propres fantômes et en piétine la mémoire. Le cimetière sera déplacé dit-on au patriarche Freeling, se gardant bien de mentionner que seules les tombes seront déplacées et pas les cadavres. Ces mêmes cadavres qui feront surface lors du second climax du film où la pluie et la boue révèlent tout ce que le pays a voulu cacher : tous ses cadavres vomissant leur putréfaction à la face de ses habitants, témoins de la violence du pays et du prix qu’il a fallu payer pour que se construise une petite bourgade pavillonnaire en apparence tranquille. Chez Hooper, l’Amérique n’est finalement qu’un immense cimetière à ciel ouvert, un repaire de monstres et de fantômes.

Poltergeist (1982)

Ce goût du grotesque et cette critique acerbe de l’Amérique trouvera son paroxysme dans le délirant Massacre à la tronçonneuse 2, suite tardive et radicale réalisée 12 ans après le premier opus et produite par la Cannon (que l’on est d’ailleurs en droit de considérer comme le meilleur film du cinéaste). Dans un élan complètement fou, Hooper prend le contre-courant du premier film et livre une comédie noire en forme de roller coaster. Ici, la famille Sawyer vit toujours planquée (cette fois dans le sous-sol des ruines d’une fête foraine) mais est à la tête d’un business florissant. Les années 80 et la présidence de Reagan sont passées par là, les Sawyer ont embrassé le capitalisme et sont connus pour faire le meilleur chili du Texas (‘’no secret, it’s the meat’’) et le grand frère Drayton parle désormais pertes et profits comme un banal entrepreneur. C’est peut-être la suite la plus radicale de l’Histoire du cinéma d’horreur mais on bénit le vent de folie qui souffla sur Tobe Hooper au moment de la faire, ne serait-ce que pour deux grands moments. Le premier qui voit l’animatrice de radio incarnée par Caroline Williams faire face à Leatherface. Le voyant dérouté par ses cuisses, elle entreprend un manège de séduction malsain (‘’t’es vraiment, vraiment bon ?’’ lui demande-t-elle) qui fait agiter la tronçonneuse de Leatherface de façon compulsive, dans un élan masturbatoire osé dont on ne se remet pas encore. Le second, c’est l’affrontement, tronçonneuse contre tronçonneuse, du même Leatherface et du Texas Ranger Lefty Enright (incarné par un Dennis Hopper des grands jours) qui demeure l’un des sommets d’un film riche en images chocs, filmées avec une grande réjouissance par un Tobe Hooper semblant décidé à dynamiter sa propre saga.

Malheureusement pour le cinéaste, le succès de Massacre à la tronçonneuse premier du nom s’avèrera à double tranchant et constituera autant une bénédiction (il a sa place dans l’Histoire du Cinéma grâce à lui) qu’une malédiction dont il ne parviendra pas à se défaire. Cantonné au cinéma de genre, poursuivant sa carrière dans l’ombre d’un chef-d’œuvre qu’il ne parviendra jamais à égaler, cannibalisé par sa propre création, Hooper n’a jamais réellement confirmé tous les espoirs placés en lui avec des années 80 inégales (Poltergeist et Massacre à la tronçonneuse 2 y côtoient L’invasion vient de Mars et Lifeforce – qui vaut surtout pour la belle poitrine de Mathilda May, on ne va pas se mentir) et des années 90 et 2000 sur une pente descendante où ses films ne passent même plus forcément par la case cinéma. Tentant de renouer çà et là avec quelques films un brin glauques surfant sur les succès d’antan (comme Crocodile, en écho au Crocodile de la mort), invité dans plusieurs séries dont les Masters of Horror pour des épisodes assez faibles, Hooper affiche toujours un goût pour le grotesque et le morbide (qui inspirera notamment Rob Zombie et Ti West) mais sur un mode parfois ronflant en dépit de quelques fulgurances.

Massacre à la tronçonneuse 2 (1986) – séquence culte

On dit parfois de certains écrivains qu’ils avaient en eux un seul roman, peut-être Hooper avait-il en lui un seul film, ou du moins deux, centrés sur la même famille de cannibales qui a depuis largement fait son propre chemin, affichant une temporalité bordélique et aussi chaotique que l’ambiance qu’elle entretient au sein de ses films entre suites, remakes, préquelles et requels dont on ne sortira apparemment jamais. Cela ne minimise en aucun cas l’apport majeur de Tobe Hooper au cinéma de genre et l’affection que l’on a pour lui (au contraire) mais il est vrai que l’on regrettera toujours que le cinéaste n’ait pas eu une carrière plus consistante à l’image de certains de ses comparses plus versatiles et peut-être plus prompts à jouer le jeu des studios et / ou à composer avec des petits budgets en toute indépendance. Que l’on se rassure cependant, le fantôme de Hooper, avec toutes ses influences et ses monstres issus de nos pires cauchemars, n’est pas prêt de finir de nous hanter…

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