L’Exorciste : Foi en la sainte mère

En 1973, William Friedkin est un réalisateur impertinent et égocentrique. Auréolé d’un Oscar en tant que Meilleur Réalisateur pour French Connection en 1972, ajouté à ceux de Meilleur Film et Meilleur Scénario, William Friedkin se voit proposé de mettre en scène l’adaptation d’un roman à succès, L’Exorciste, écrit par William Peter Blatty. Soutenu par l’auteur lui-même, Friedkin passe du polar urbain réaliste au fantastique avec une décontraction surprenante se frottant à un genre qu’il va révolutionner de fond en comble. Il ne le sait pas encore, mais son style va marquer (encore aujourd’hui) le cinéma contemporain.

William Friedkin, encore jeune réalisateur, est un artiste arrogant. Arrogant dans le bon sens du terme, car volubile par sa façon à capter cette commande et en faire une œuvre proche du documentaire. Prenant chair au cœur d’un roman à succès, William Friedkin s’évite tout superflu et autres effets de peur pour choquer le public. Alors que le public est en quête d’un rollercoaster, L’exorciste est tout d’abord une histoire et des personnages à part entière. Le long métrage s’illustre à la fois comme une épreuve de force cauchemardesque avec le démon qu’un drame psychologique éprouvant de par sa dimension humaine si fragile. Tant auprès de la mère démunie des forces démoniaques qui habitent l’esprit de sa fille que de celle du prêtre dubitatif de sa foi catholique, mais en voie de rédemption.
L’Exorciste est, dans la même mesure que Massacre à la Tronçonneuse de Tobe Hooper, pris dans les tourments d’une époque goûtant aux joies d’une liberté folle. Par le biais de ces évènements improbables aussi déconcertants, ancrés au coeur du quotidien, L’Exorciste ne pouvait que surprendre le spectateur assistant impuissant devant l’écran de cinéma à un déchaînement de violence ! Redneck et Tronçonneuse ou démon venant d’Irak, la mort suintante est partout et peut atteindre tout à chacun. Mais L’Exorciste déstabilise une époque à travers ses croyances religieuses perturbant de manière morale et viscérale. L’intrigue est abrupte, car il s’agit d’un cas de possession infligé sur une enfant de 12 ans. Il y a bien forcément différents niveaux de lecture entre la crise d’adolescence et le mal présent en chacun de nous. Mais avant le rollercoaster,  Willliam Friedkin aura pris soin de nous présenter la fillette au cœur de son foyer, ses liens avec sa mère alors en tournage dans les rues de Washington et de son quotidien. Même quand les crises commencent, la première solution choisie est d’emmener l’enfant à l’hôpital. Si le film marque les esprits toujours aujourd’hui, c’est en partie grâce à la construction et à la progression dramatique des personnages en perdition témoins malgré eux de forces qui les dépassent face au témoignage d’un corps martyrisé !

Pour William Friedkin, ce corps martyrisé sera celui de Regan MacNeill, enfant de 12 ans dont le corps en mutation se voit posséder par un démon, Pazuzu. Le démon, sous l’œil avisé de Friedkin, est tapi au cœur du film se languissant à prendre possession du corps et de l’écran. Ainsi le déchainement des événements nous bouleverse tout autant que cette mère incarnée par Ellen Burstyn – dans l’un des rôles phares de sa carrière – prise dans les affres démoniaques autour de sa fille. Jouant tout au long du film sur l’évolution émotionnelle de cette femme qui, au fur et à mesure que sa fille s’inflige des sévices de toutes sortes, perd totalement pied allant demander de l’aide à la sainte mère l’église pour retrouver son enfant innocent.
En filigrane, on devine le père Karras en retrait s’identifiant au fil du film comme un prêtre – borderline, fumeur et alcoolique – bouffé par les remords dans sa relation avec sa mère. Le film montre son vrai visage apparaissant à l’image de Pazuzu par flash focalisé sur les thèmes maternels, les relations familiales et les liens avec la sainte mère. Loin d’être un simple film fantastique, L’exorciste mûrit en un drame familial d’une intensité psychologique rare. Il est difficile de revoir le film malgré cette fascination attirante et perverse du spectateur à vouloir y revenir pour revoir les fameuses séquences. Qui peut oublier la posture menaçante de Regan urinant face aux invités, ses spasmes et convulsions sur son lit, sa tête pivotante, le crucifix planté dans son vagin, l’épreuve des radios en clinique et son éprouvante ponction qui s’ensuit, l’agression du psychiatre lors d’une séance d’hypnose, ou encore les séances d’exorcisme d’un réalisme à la limite du soutenable ! Les dix dernières minutes s’avérant d’une violence frénétique exubérante !

Cinquante ans après la sortie originale de ce chef-d’œuvre du cinéma, William Friedkin arrive encore à toucher et donner sens à une horreur attractive. De par ce regard d’une intelligence propre à tout grand metteur en scène ayant fait évoluer le 7e art, William Friedkin se place dignement comme un avant-garde talentueux. Un visionnaire dont le cinéma éclectique et populaire dans les genres entamés font que son cinéma est toujours autant respecté.
C’est avec une certaine humilité que, dans les balbutiements du nouveau millénaire, William Friedkin, sous l’impulsion de William Peter Blatty reviendra sur sa version de base.
En 1974, lorsque L’Exorciste sort sur les écrans prêt à choquer un public virginal, le réalisateur a fait quelques coupes dans son film. Sur les conseils avisés à l’époque de son directeur de production, John Calley, William Friedkin dynamise son film en expédiant quelques explications et trucages nuisant à la qualité du film.
N’en déplaise à l’auteur de l’histoire original, en l’an 2000, William Peter Blatty et William Friedkin réinvestissent les salles de montage de la Warner, Blatty jugeant bon à notre époque de revoir ces fameuses scènes coupées. Au bon vouloir du metteur en scène pour le scénariste, ils réintègrent les scènes adéquates à une restauration. Alors naît la version « The Version You’Ve Never Seen », complément d’un film déjà culte et validé par le réalisateur.
Cette nouvelle version, plus à mettre au crédit de William Peter Blatty, verra la discussion sur les origines du mal et le choix de Regan dans sa possession entre les deux prêtres dans les escaliers réapparaître, la scène de « l’araignée » crédibilisée par les techniques nouvelles de trucage, des images subliminales de Pazuzu apparaître tout au long du film instaurant une oppression plus palpable et des échanges plus précis entre Ellen Burstyn et les médecins. Aussi après le départ de la famille de Washington, l’inspecteur incarné par Lee J. Cobb conclura le long métrage par une discussion avec l’ami du père Karras, lui demandant s’il veut aller au cinéma avec lui, et sous-jacent s’il avait compris ce qu’il venait de se passer. De par ses sous-entendus fleurissants à chacune de ses apparitions, l’inspecteur repartira bredouille et le film de se finir dans le quotidien commun pour tout le monde.

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