Le Consentement : Écrire pour exorciser ses démons

Publié en 2020, Le Consentement de Vanessa Springora est un récit implacable et nécessaire dans lequel elle raconte sa rencontre avec l’écrivain Gabriel Matzneff et la façon dont elle est tombée sous son emprise alors qu’elle n’avait que 14 ans. De la séduction à la manipulation, le récit détaille sans concession et avec recul la mécanique d’emprise utilisée par Matzneff, celui-ci poussant le vice jusqu’à déposséder de leurs âmes les jeunes filles qu’il fréquente en les emprisonnant à jamais dans ses carnets, les manipulant ainsi à sa guise. Le Consentement raconte également tous les traumatismes d’une telle expérience sur la construction de la femme que deviendra Vanessa Springora tout en dénonçant l’extrême complaisance du milieu littéraire envers Matzneff qui n’a jamais caché son goût des jeunes filles et des jeunes garçons (allant jusqu’à Manille faire du tourisme sexuel) tout en jouissant de son aura de grand écrivain, restant impuni pour des crimes pourtant confessés dans ses fameux carnets…

Dès lors, comment adapter en film un tel récit dont la puissance semblait se suffire à elle-même ? Vanessa Filho répond en procédant de la même façon qu’Audrey Diwan l’avait fait pour L’événement : en collant sa caméra au plus près de son héroïne, autant pour mieux capter toutes ses émotions et ses tourments que pour raconter son enfermement progressif dans une situation terrible dont la caméra retranscrit parfaitement l’aspect anxiogène. Le Consentement, c’est l’histoire d’une adolescente en mal d’amour, délaissée par son père et peu protégée par sa mère (qui acceptera sa relation avec Gabriel Matzneff sans trop se battre jusqu’à lui asséner un terrible ‘’tu es sûre ? Il est très attaché à toi tu sais’’ quand sa fille lui annoncera qu’elle a quitté son amant toxique) qui pense avoir trouvé le prince charmant. Matzneff est brillant, intelligent, il a une grande renommée, comment ne pas se sentir flattée qu’il s’intéresse à elle ? Comment ne pas ‘’consentir’’ à devenir son amante, son grand amour, sa ‘’petite écolière’’ comme il aime l’appeler ? Le Consentement, c’est l’histoire d’un loup déguisé en prince et d’une princesse luttant seule contre ses démons pour se débarrasser de l’emprise d’un monstre, ayant marqué sa victime dès l’instant où il l’a eu entre ses griffes.

Vanessa Filho filme le récit comme Vanessa Springora l’a raconté : sans filtres, sans concessions, sans manichéisme. Le spectateur se retrouve ainsi confronté à des scènes explicites terribles, filmées sans amour, sans voyeurisme. L’intérêt de la cinéaste est de ne jamais lâcher son personnage, de tout nous faire vivre avec elle. D’où la grande sensation de malaise que l’on ressent régulièrement en cours de visionnage, parce que l’on se sent sale d’assister à cela, parce que l’on est impuissant face à cette histoire vécue par une multitude de jeunes femmes à travers le monde encore aujourd’hui.

Si le film nous fait autant hurler à l’injustice, c’est qu’il est une vraie réussite, se montrant fidèle à ce que Vanessa Springora a raconté, parvenant à en extraire le cri de révolte avec une force étonnante. Il faut saluer en cela l’interprétation des acteurs, saisissante. Ainsi, dans un contre-emploi total, Jean-Paul Rouve se montre absolument glaçant en Matzneff, métamorphosé par le rôle, inspirant la peur dès qu’il apparaît à l’écran sans pour autant en faire des tonnes, sachant au contraire embrasser toutes les complexités d’un personnage absolument détestable. Face à lui, la jeune Kim Higelin (tout le monde est décidément talentueux dans cette famille) est étonnante. On peine tout d’abord à déceler si son jeu mesuré, presque emprunté, est naturel ou si cela est fait pour servir le personnage. Et puis au fur et à mesure que Vanessa s’avance dans cette relation toxique, réalisant trop tard l’emprise de Matzneff sur elle, c’est une véritable fulgurance qui se crée et la jeune actrice révèle toutes les facettes d’un talent qui implose l’écran, nous arrachant des émotions avec un jeu à fleur de peau sans fausse note et ce jusque dans les crises de nerfs, pourtant si difficiles à jouer avec justesse.

Le Consentement, le livre, aura permis à Vanessa Springora d’exorciser ses démons et d’enfermer à son tour Matzneff dans un livre. Le Consentement, le film, révèle une cinéaste (nous n’avons pas encore vu Gueule d’ange, son premier long métrage) et une actrice dont on suivra la carrière avec intérêt. Dans les deux cas, une évidence, celle de dénoncer encore et toujours les actes innommables de personnes comme Matzneff, pour réduire au silence les pédophiles et faire éclater avec force la parole de leurs victimes, malheureusement trop nombreuses.

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