Maïwenn : En demi-teinte

Il y a de cela quelques petits mois, les marches rougeoyantes du Festival de Cannes étaient prêtes à accueillir tout le gratin du cinéma français et d’autres horizons, trié sur le volet. Mais voilà, choc et confusion : c’est Jeanne du Barry, dernière œuvre en date de Maïwenn Le Besco qui est choisie pour être le film d’ouverture. La réalisatrice, connue aussi bien pour ses récentes prises de position questionnables que pour ses films qui divisent la critique, donne le rôle du roi à Johnny Depp, tout droit sorti d’un procès hypermédiatisé contre son ex-femme, accusé de violences conjugales. Il partage donc la vedette avec la réalisatrice elle-même, dépeinte en jeune femme douce et ambitieuse, conspuée par la cour à cause de ses origines. La Du Barry séduit le roi et gravit les échelons tout comme les marches du festival, sous huées féminines et féministes. Alors évidemment, la sortie DVD et blu-Ray de l’objet de débats qu’est Jeanne du Barry ce 20 septembre chez Le Pacte nous donne une belle excuse pour nous intéresser de plus près à la filmographie de Maïwenn, personnalité aussi intéressante que troublante. 

Alerte spoiler : n’y voyez pas un dossier à charge ou bien encore un dossier éludant totalement la personne qu’est la réalisatrice/actrice qu’est Maïwenn Le Besco. À la question omniprésente « doit-on séparer la personne de l’artiste ? », nous répondrons qu’il s’agit parfois d’un cas par cas, et que dans ce cas bien particulier, Maïwenn se plait à mettre en scène des bouts de sa propre vie dans la quasi-totalité de ses œuvres. Soit. Qu’en est-il de celles-ci ? Jeanne du Barry méritait-il un tel accueil de la part des spectateurs et de la Croisette ? À l’image de ce total chaud-froid qu’a instigué le film, retour sur une réalisatrice toute en demi-teinte.

Celle qui avait dès ses premiers films reçu les compliments et acclamations pour Polisse (2011) ou encore Mon Roi (2015) semble chuter considérablement dans l’opinion publique et dans les médias à l’ère post MeToo, alors que les violences dans le monde du cinéma sont enfin pointées du doigt. Maïwenn s’attaque de plus en plus au mouvement féministe par le biais d’interviews et de phrases chocs (les réalisatrices seraient mauvaises pour diriger un plateau et pour cause : manque « d’hormones masculines », et autres propos antiféministes). La réalisatrice, auparavant si consensuelle auprès de l’opinion publique – et surtout féminine – persiste et signe dans ce revirement cette année, par le choix de faire jouer Johnny Depp en Louis XV, par l’agression du journaliste Edwy Plenel, ou encore son soutien affiché à Roman Polanski. Malgré ces prises de position douteuses, Maïwenn avait auparavant réalisé des œuvres engagées, à cœur ouvert tant sur la place de la femme dans divers milieux (famille, cinéma), que sur ses origines et ses questionnements. Certaines de ses œuvres plus antérieures revêtent un goût amer après ses propos. Certains films peuvent être perçus comme n’ayant plus la même portée. Cependant, peut-être faut-il les voir avec l’impression d’avoir affaire à la réalisatrice de l’époque pour chaque œuvre, pour tenter de comprendre son évolution.

A la surface de profonds tourments

C’est, de notre point de vue, un fait : certaines des œuvres de la réalisatrice témoignent de véritables qualités, narratives comme de mise en scène. Mon Roi et Polisse sont de ces films qui vous donnent une belle claque, tout en vous laissant réfléchir sur la violence liée à l’amour ou encore sur la protection de l’enfance. Chaque séquence est nécessaire, bien que les deux œuvres paraissent un peu longues, presque pensées comme une accumulation de saynètes. Si elles sont pourtant bien marquantes, ces dernières montrent avec absurdité et violence ce que peut subir un enfant, ainsi que les dégâts psychologiques que l’unité de police en question subit également. De l’abus du grand-père sur sa petite-fille à la mère à la rue qui vient confier son enfant en pleurs aux policiers, ça fonctionne, tout simplement. Il en est de même pour la douleur que ressent Tony face à un Georgio qui la fait passer pour une hystérique dans Mon Roi, qui la trompe, et qui l’aime. C’est à la fois l’amour fou et la destruction de soi à l’état pur, et pour nous c’est surtout le meilleur film de la réalisatrice. La fiction parait totalement effacée tant le charisme destructeur de Vincent Cassel fait face aux émotions à vif de Emmanuelle Bercot, et ce sans fausse note. La force de Maïwenn provient de cette capacité à toujours choisir avec justesse les acteurs avec qui elle travaille (discutable avec Johnny Depp, cependant), et par leur biais à retranscrire des émotions fortes qui vous prennent aux tripes, grâce aux dialogues qui tombent toujours juste, toujours empreints d’un humour piquant. Tout cela malgré l’effet de « survol » que donne une partie de sa filmographie. Bien qu’on ne ressorte pas indemnes de Polisse et Mon Roi, il y a cette sensation d’inachevé. Que retient-on vraiment des scènes de rééducation de Tony ? A quoi servent les blagues racistes de Norman dans Mon Roi ?

Mon Roi, 2015

ADN est certainement la preuve la plus flagrante d’un manque ressenti. Malgré une certaine beauté des plans (notamment la dernière séquence lorsque Neige se retrouve en Algérie) et du sujet du film (l’importance capitale du grand-père), l’œuvre se perd finalement dans un presque non-propos sur la recherche des origines. Nombre de pistes sont laissées sur le carreau, au profit tout simplement de Maïwenn en tant qu’actrice. Tout comme dans son premier film Pardonnez-moi, la réalisatrice se penche ici davantage sur sa famille, sur ses origines algériennes, qui ne sont désormais plus un mystère pour les spectateurs. C’est une introspection bienvenue, mais qui nous laisse sur notre faim. La première partie sur la mort du grand-père nous offre des séquences aussi comiques que douloureuses. Chaque personnage a sa place, et nous retenons évidemment Fanny Ardant, qui crève l’écran en tant que mère au gros caractère et égocentrique. Mais voilà ; une fois le grand-père enterré, la réalisatrice semble tomber dans le plus gros travers qui lui est reproché : le narcissisme.

Ego-trip

Le personnage principal de ADN c’est elle, et l’histoire, c’est plus ou moins la sienne, son œuvre étant une autofiction. Bien que ce film propose des dialogues toujours aussi bien ciselés et des situations aussi vraies qu’absurdes, la deuxième partie est totalement noyée par un condensé de plans sur elle : triste, heureuse, pensive… Et c’est d’ailleurs le cas dans une majorité de ses films, dans lesquels elle se donne un rôle. On aurait aimé en savoir plus sur les reproches faits au sein de cette famille fictive (pourquoi Neige est dite toxique par son cousin, pourquoi elle ne supporte pas sa mère), mais c’est un ego-trip en divers plans qui nous est présenté. Pourtant, il semble que sa filmographie indique que Maïwenn est consciente de cette volonté de toujours se mettre au premier plan ; là est – si ce n’est le sujet principal de son deuxième film – un des sujets du Bal des actrices. Faux documentaire sur la vie des actrices françaises, il montre ces dernières visionnant le documentaire réalisé par Maïwenn. Toutes consentent à faire un procès à la jeune réalisatrice, qui s’est filmée davantage qu’elle n’a filmé ses sujets. Malgré son omniprésence, sa direction d’actrices est là encore un véritable délice. On les découvre tout simplement se mettre en scène aussi bien pour la réalisatrice que pour le public, de manière risible et faussement autocentrée. Dans le même genre, si son personnage de photographe privilégiée dans Polisse sert au moins à souligner la différence de position entre spectateurs privilégiés (son personnage) et acteurs démunis (Brigade de Protection des Mineurs), il n’apporte pas plus. Sa relation avec le personnage joué par Joey Starr et un ajout quelconque.

Polisse, 2011

Métaphore autocentrée

Ce narcissisme peu convaincant atteint certainement son apogée dans Jeanne du Barry. Encore une fois, on sent l’inspiration de Barry Lyndon pour ses plans larges (surtout le premier, dont on se rappellera pour sa beauté, son impression de regarder un tableau), ce grain du 35mm, toutes ces belles qualités quelque peu rattrapées par les propos de la réalisatrice, qui fait de son personnage une métaphore d’elle-même. Jeanne Du Barry est une Maïwenn qui fait un grand pied de nez à ses détracteurs dans la cour de Louis XV, et donc au monde du cinéma. C’est selon elle une grande féministe avant l’heure, qui existe et brille grâce à … son homme. Elle ne cherche qu’à lui plaire par des biais imposés par des hommes, et non à changer les codes. Bien tenté, tout de même. On voit clairement que la réalisatrice a su se faire plaisir en tournant cette œuvre, et pour dire vrai, elle est bonne actrice. Elle nous convainc bien plus quand elle se retrouve seulement derrière la caméra, et c’est pour cela que sa dernière œuvre en date se rapproche certainement plus du Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Les deux films présentent des qualités indéniables en terme d’esthétisme, mais les personnages demeurent peu développés, et ce pendant deux heures assez longues. Lorsque la réalisatrice double la casquette, il y a ce narcissisme et ce manque de profondeur en termes de choix narratifs qui peuvent laisser perplexe. Les personnages secondaires joués dans des œuvres qu’elle ne réalise pas lui vont bien plus, comme c’était le cas dans Les miens de Roschdy Zem, drame familial qu’elle a tout de même co-écrit.

Réalisatrice « engagée » ?

Peut-être doit-on voir à travers son dernier choix de réalisation, celui d’un film sur une figure féminine conspuée avec un acteur accusé de violences, une opposition certaine aux fameux mouvements féministes et à la libération de la parole dans le monde du cinéma. Ou est-ce seulement l’envie de faire parler d’elle pour faire de la pub à son film ?  C’est pourtant une réalisatrice engagée, en ce en quoi elle croit. Ses propos polémiques se retrouvent d’ailleurs assez subtilement dans ses films à travers la bouches des personnages ; une policière de la BPM hurle qu’elle aime les hommes, qu’il faut le leur faire savoir. Propos retrouvé dans une interview bien plus tard, que Maïwenn donne en réponse aux féministes, les accusant de créer des « dommages collatéraux très graves ». Opinion, somme toute, qui ne lui vaut pas la palme d’or de la demi-mesure, au moment où nombre de réalisatrices et d’actrices parviennent à lever l’omerta sur des comportements inadaptés venant d’hommes dans le milieu du cinéma. Alors, les propos récents de la réalisatrice peuvent rapidement modifier notre point de vue sur ses films, si ce n’est la portée de certains. C’est le cas pour Mon Roi. On pense assez logiquement que le film n’est pas manichéen, que l’histoire d’amour est vue par Tony, idéalisant parfois son mari. Maintenant, on peut se demander si ce personnage n’a pas été réduit à une femme constamment hystérique, face à un homme qui fait des écarts certains, dont nous ne sommes jamais les témoins. Elle est finalement face à un véritable roi qui se permet toutes les folies, accompagné de sa cour, tandis qu’elle se sent « normale », voire à l’écart. Cour royale qui se retrouve donc de manière plus flagrante dans le dernier film de la réalisatrice.

Jeanne Du Barry, 2023

Alors, après avoir écumé les films comme les tourments de la réalisatrice française, nous voilà certains d’une chose : c’est une réalisatrice en demi-teinte qui nous propose des œuvres de la même saveur. Ses films savent parfois nous saisir d’émotions, taper là où ça fait mal (surtout la séquence de confrontation avec son père dans Pardonnez-moi, tordue, viscérale et pourtant obligatoire) autant qu’ils peuvent nous laisser de marbre face à une réalisatrice-actrice, qui ferait mieux parfois de rester derrière la caméra pour nous offrir une œuvre telle que Mon Roi.  Pour mieux appréhender les qualités indéniables de certains de ses films, il est préférable de garder la première impression de chaque œuvre, de ne se concentrer que sur la volonté première de Maïwenn lors de la réalisation pour ne pas être pollué par ses propos plus récents, bien moins appréciables maintenant. Il s’agit nullement de les oublier, mais peut-être de se dire que la réalisatrice qu’est Maïwenn a tout simplement évolué, pour le meilleur, comme pour le pire.

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