La Trilogie de Damiano Damiani : Comment faire du grand cinéma politique

Pourvoyeur de raretés comblant régulièrement les cinéphiles – particulièrement ceux d’entre nous avec un goût prononcé pour le cinéma italien d’exploitation – Artus Films a frappé très fort en mai dernier en sortant un coffret Damiano Damiani avec trois films : Nous sommes tous en liberté provisoire, Comment tuer un juge et Goodbye & Amen. Trois films formant une trilogie politique (à laquelle on aurait également pu greffer Confession d’un commissaire de police au procureur de la république) où éclate le talent de Damiani à étriller tout ce qui ne va pas dans la société italienne de son époque : mensonge, corruption et violence formant un cocktail explosif contre lequel il s’insurge avec une rage féroce.

L’uppercut majeur du coffret est l’excellent Nous sommes tous en liberté provisoire, plongée passionnante dans l’univers carcéral n’ayant rien à envier à ses modèles américains. Nous y suivons la descente aux enfers de Vanzi (Franco Nero, impeccable), architecte envoyé en prison à la suite d’un accident de voiture. Naïf mais fortuné, Vanzi commence à comprendre les mécanismes de la prison et utilise son argent pour accéder à certains privilèges (accès à des cigarettes, à une meilleure cellule et même à un service de prostitution carcéral mis en place avec la complicité du médecin !) et rendre son séjour moins pénible. Mais tout en se pliant aux règles d’un immonde pour survivre, Vanzi doit accepter de perdre son innocence au passage et payer les conséquences de ses choix…

Nous sommes tous en liberté provisoire

En utilisant le microcosme de la prison comme parallèle avec la société italienne corrompue et fasciste (l’un des gardiens en chef regrette l’époque de Mussolini) écrasant les plus faibles et établissant son propre système de valeur et de pouvoir, Damiani dresse un implacable constat n’épargnant personne. Ceux voulant rester fidèles à leurs principes crèvent quand ceux capables de s’adapter survivent, troquant leur foi envers la justice pour un cynisme bien plus de circonstance. C’est paradoxalement le très beau titre français du film qui forme sa meilleure note d’intention : l’être humain est de toute façon condamné à être prisonnier un jour, que ce soit derrière des barreaux ou de façon plus métaphorique prisonnier de ses désirs, de ses besoins ou de ses ambitions…

Moins implacable que Nous sommes tous en liberté provisoire, Comment tuer un juge se teinte d’un peu plus d’amertume et s’avère presque être un film en forme d’autoportrait. En effet, le personnage principal du film n’est autre qu’un cinéaste nommé Giacomo Solaris, interprété par l’incontournable Franco Nero (avec une moustache de toute beauté cette fois) et qui se présente clairement comme un alter-ego de Damiani lui-même. Solaris a réalisé un film racontant la mort d’un juge trop proche de la mafia. Attaqué pour diffamation par le juge Traini que tout le monde a reconnu dans ce portrait fictif, Solaris se dit prêt à affronter la justice mais les circonstances prennent une autre tournure quand Traini est assassiné… Loin de se réjouir de la publicité que cette mort apporte à son film, Solaris décide de mener l’enquête, accompagné par la veuve du juge (Françoise Fabian, formidable), dévoilant peu à peu la corruption rongeant le pays, s’insérant jusque dans les rouages de sa justice et de sa politique…

Comment tuer un juge

Avec son intrigue dense et son refus du spectaculaire, Comment tuer un juge n’en demeure pas moins d’une lucidité exemplaire sur le fonctionnement d’une société rongée par la mafia, une société dans laquelle être honnête ne vous apporte rien si ce n’est des ennuis. Damiani se projette totalement dans la peau de Solaris, cinéaste indigné et droit dans ses bottes, décidé à exposer la vérité coûte que coûte même si celle-ci est loin d’être celle qu’il aurait voulu. Nous ne sommes ainsi pas prêts d’oublier ce plan final et cette ultime réplique de Solaris, soulignant combien il est primordial, quitte à avoir l’impression de combattre des moulins à vent, de rester honnête afin de ne pas devenir comme les autres corrompus de cette société. En cela, Comment tuer un juge est certainement le film où Damiani se livre le plus, nous donnant quasiment toutes les clés pour comprendre son cinéma et la façon dont il aborde ses sujets.

Après ces deux grandes réussites, Goodbye & Amen apparaît comme le film le plus faible du coffret. Si le cinéaste y épingle volontiers l’opportunisme meurtrier de la CIA, prompte à retourner chaque situation à son avantage, le récit consiste essentiellement en une prise d’otages dans un hôtel, contrariant justement les plans d’une CIA décidée à assassiner un dirigeant africain. L’agence doit alors réajuster ses plans quand le tueur déséquilibré (John Steiner, parfait dans un tel rôle) compte parmi ses otages une femme adultère campée par Claudia Cardinale qui, de fait, constitue avec l’excellente bande originale du film, l’un des meilleurs atouts d’un long métrage en léger manque de souffle. Le récit est en effet handicapé par son scénario un brin confus, révélant ses cartes trop tard et de façon trop classique pour totalement emballer. La rage de Damiani reste intacte et le film se termine – forcément – de façon amère mais tout cela reste dilué au sein d’un thriller sans grande surprise.

Goodbye & Amen

Il n’empêche que le travail qu’Artus Films a effectué sur ce coffret est de toute beauté, l’objet en lui-même étant particulièrement soigné tandis que les bonus sont aussi nombreux qu’éclairants, accompagnés par un livret revenant sur l’intégralité de la carrière de Damiano Damiani, cinéaste frondeur et engagé dont il faut redécouvrir aujourd’hui la richesse et saluer sa capacité à mêler cinéma et politique avec une force comparable à celle d’un Costa-Gavras : avec un engagement sincère, sans didactisme ni moralisme et avec une efficacité imparable. Du grand cinéma.

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