La fureur de vivre : “I don’t know what to do anymore. Except maybe die.”

Une course de voiture quasi-prophétique, James Dean vêtu d’un manteau rouge ou hurlant à ses parents dans un commissariat ‘’you’re tearing me apart’’Il n’aura pas fallu grand-chose que La fureur de vivre devienne culte et ce dès sa sortie, alors que le mythe James Dean, tout juste décédé d’un accident de voiture, était à son firmament. Entouré depuis d’une aura légendaire et tragique (les trois acteurs principaux décéderont dans de terribles circonstances), considéré comme un film charnière pour sa façon de dépeindre le trouble adolescent et célébré comme l’un des meilleurs films de Nicholas Ray, La fureur de vivre se redécouvre aujourd’hui dans une édition steelbook 4K de toute beauté disponible chez Warner. L’occasion de voir si le film passe encore l’épreuve du temps.

Et c’est une réponse mitigée qui se forme pour nous : oui La fureur de vivre est un film important et passionnant sur bien des points mais il n’est pas exempt de défauts. Nicholas Ray a fait beaucoup mieux (Johnny Guitare, Les amants de la nuit, Les indomptables, Derrière le miroir) et l’on est même en droit de préférer À l’est d’Eden ou Géant dans la carrière de James Dean tout comme l’on pourra trouver Natalie Wood (malgré tout l’amour et toute l’admiration qu’on lui porte) finalement assez mal castée dans le rôle de Judy, l’actrice alors âgée de 16 ans minaudant beaucoup dans une partition qui aurait demandé beaucoup plus de subtilité (nul doute que la liaison qu’elle entretenait avec Ray, de 27 ans son aîné lui permit d’accéder au rôle). La fureur de vivre apparaît d’ailleurs avec le recul comme un film franchement peu subtil, voire lourd sur certains symboles qu’il utilise, notamment dans le rapport des personnages principaux à leurs parents et on a connu le romantisme exacerbé de Ray plus inspiré même s’il correspond parfaitement à son sujet et qu’il parvient à capter avec une vive énergie les tourments de l’adolescence.

Le film est loin d’être mauvais pour autant, aussi bien admirable pour sa mise en scène (Ray utilise le Cinémascope pour souligner l’isolement des personnages dans les décors) que pour son interprétation (Wood en fait trop mais James Dean et Sal Mineo sont formidables) et surtout sa façon si unique (à l’époque) de capter le mal-être adolescent. Que ce soit Jim (Dean), Judy (Wood) ou Platon (Mineo), ils ne parviennent pas à se faire une place dans un monde auquel ils ne se sentent pas vraiment appartenir, cette Amérique des années 50 où tout est propre et où rien ne dépasse. Le modèle familial n’a pourtant pas accompli son devoir (la preuve, la première fois que l’on rencontre les personnages, ils sont dans un commissariat) : les parents de Platon sont absents de sa vie, le père de Judy rejette son amour alors qu’elle devient une femme et traverse des émotions contradictoires et Jim vit très mal le fait de voir son père s’écraser en permanence devant sa mère, en témoigne la scène où il le trouve affublé d’un tablier ridicule en train de nettoyer le sol. Ce sont des personnages sans repères, ne demandant qu’à être écoutés mais que l’on ne comprend pas et à qui l’on tente d’appliquer un moule désormais cassé.

Le temps d’une nuit, Jim, Judy et Platon tâcheront de former une famille selon leur propre modèle et Jim constatera la difficulté d’être un père présent pour son enfant quand il échouera à sauver Platon qui se raccrochait à lui dans un élan de désir désespéré (il semblerait que Platon souhaitait que Jim soit autant son père que son amant). Difficile de se battre avec les affres de sa propre vie et d’aider en plus les autres, difficile de s’imposer pour ce que l’on est et pas ce que les autres voudraient que l’on soit (un fils modèle, un dur à cuire), difficile de trouver sa place dans le monde. En donnant la parole aux adolescents sans en faire des délinquants, La fureur de vivre ouvrit la brèche et créa un genre à part entière, chaque génération ayant depuis au moins une œuvre pour la raconter avec une même constance revenant en boucle : l’incompréhension et l’incommunicabilité entre les enfants et leurs parents, ceux-ci semblant avoir oublié un jour qu’ils étaient jeunes. Après tout, comme l’a dit le grand écrivain et poète Jim Harrison :  « Un sage a dit que les adultes ne sont que des enfants qui ont mal tourné. »

2 Rétroliens / Pings

  1. Contes cruels de la jeunesse : La douleur de s'aimer -
  2. Rodeo : Ride or die -

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*