
A l’occasion de la 29e édition de l’Etrange Festival, qui s’est tenue au Forum des Images à Paris du 5 au 17 septembre 2023, nous avons pu découvrir en avant-première le nouveau film de Jessica Hausner Club Zero. La réalisatrice parfaitement représentative d’un cinéma de « l’étrange » nous livre une comédie noire et très grinçante menée avec brio par Mia Wasikowska. Nourrissez-vous correctement avant visionnage, Jessica Hausner vous propose un régime on ne peut plus radical.
Miss Novak (Mia Wasikowska), est la nouvelle enseignante recrutée dans un lycée privé qui se targue d’être à la pointe des nouvelles méthodes éducatives. La recrue est une nutritionniste prônant l’alimentation consciente, une technique apparemment révolutionnaire qui consiste tout simplement à manger le moins possible pour vivre mieux. Inculquant cette nouvelle philosophie alimentaire à un petit groupe de lycéens névrosés, Miss Novak assure tranquillement son autorité sur ces esprits en quête de sens. Les lycéens en question représentent tout à fait le spectre des préoccupations actuelles de la jeunesse : Elsa (Ksenia Devriendt) et Ragna (Florence Baker) souhaitent contrôler leur apparence et leur corps au-delà du possible ; Fred (Luke Baker) trouve en Miss Novak un substitut d’amour maternel ; Ben (Samuel D. Anderson) cherche désespérément à faire partie d’un groupe et Helen (Gwen Currant) veut sauver la planète. Le génie manipulateur de Miss Novak va fournir à ces enfants perdus une réponse à chacune de leur question et surtout, un (faux) rempart à leurs angoisses. Car la manipulation est belle est bien le cœur du film, qui raconte comment il est facile de faire taire tout jugement critique lorsque l’on manie les bons outils sur les bons cobayes.

Club Zero est un petit bijou d’acidité qui pave la même route que celle empruntée par Sick of Myself de Kristoffer Borgli, sorti quelques mois plus tôt. Il s’agit d’un état des lieux glaçant et parfaitement mis en scène de notre société, prête à créer n’importe quelle solution miracle qui résoudrait d’un coup tous nos maux. En clair : pour sauver l’humanité, arrêtons de nous alimenter. Voilà la pensée superficielle qui empoisonne les lycéens. Pour souligner le paradoxe entre fond et forme, entre réalité et apparences, Jessica Hausner enveloppe la noirceur qui habite ses personnages d’une image lisse et travaillée.
Entre les décors à l’architecture sobre, les uniformes et les costumes aux tons pastels et colorés, et les plans fixes composés avec une précision chirurgicale, la réalisatrice nous plonge dans le malaise d’un milieu aisé où le confort rime avec supériorité et possessions matérielles avec pouvoir. Dans cet établissement, ce sont les parents qui font la loi. Ceux-ci payent assez cher les frais d’inscription pour exiger les dernières nouveautés en matière d’éducation. D’où l’ironie de la situation : ces parents excentriques, ayant voté l’engagement de Miss Novak, se retrouvent être indirectement responsables de la situation.

Club Zero est en quelque sorte le côté obscur du Cercle des poètes disparus. Bien loin de pousser les enfants vers un apprentissage sain par le questionnement du monde qui les entoure, Miss Novak les fige dans de rassurantes certitudes pour les maintenir sous sa coupe. Le plus terrifiant est que cette fiction pourrait aisément devenir réalité, c’est ce qui fait la force de ce film. Nous assistons impuissants à une mise en scène du mécanisme de l’emprise propre aux phénomènes sectaires qui font les gros titres.
Aller voir Club Zero à sa sortie relèverait presque d’un acte de santé publique, tant il martèle avec talent à quel point notre société est malade. Miss Novak fait fausse route avec son alimentation consciente mais Jessica Hausner vise dans le mille avec son cinéma conscient. Alors pensez à ne pas abuser des bonnes choses, évitez de grignoter entre les repas et mangez bien cinq films et légumes par jour.
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