
Lors de la création de l’institut Lumière à Lyon en 1982, Bertrand Tavernier expliquait la raison d’être de l’institut par ces mots : « Nous sommes entrés dans le temps des diffuseurs, des débiteurs d’images (comme on parle des débits de boisson). Tout spectateur éventuel est confronté à un lot de programmes, assailli par une inondation audiovisuelle. Il m’arrive parfois de penser à l’époque où voir un film représentait un effort physique, parfois des voyages, où l’on traquait le nanar en Angleterre, en Belgique, dans les catalogues des maisons de production. Maintenant, nul effort, si ce n’est de choisir. Un choix souvent faussement éclectique. Plus les méthodes de diffusion se multiplient, plus l’actualité immédiate entre en ligne de compte. La variété et la facilité d’accès des programmes font qu’ils s’effacent les uns les autres. On veut tellement coller au présent qu’on finit par perdre jusqu’à la notion d’œuvre, de continuité, de progression. La vie d’un film rejoint celle des éphémères. »
Ces mots ont été prononcés il y a plus de 40 ans et pourtant ils semblent plus que jamais d’actualité à l’heure où bon nombre de personnes ne font plus preuve d’une réelle curiosité dans leurs découvertes cinématographiques, préférant confier leur temps aux bons vieux algorithmes Netflix, Disney+ ou encore Prime Vidéo. L’heure est aux contenus omniprésents, à ce qui nous tombe sous les yeux sans effort et nous cédons parfois nous-mêmes à ces sirènes en se laissant surprendre par un film suggéré par Netflix qui nous fait passer un bon moment mais que l’on oublie deux semaines plus tard. Replacer le terme d’œuvre et de film demeure primordial lorsque bon nombre de studios pensent en termes de produits, de contenus et de profits, la preuve avec le discours récent de David Zaslav, PDG de Warner, parlant de « l’énorme valeur actionnariale » de leurs propriétés intellectuelles telles que DC Comics, Harry Potter et Le Seigneur des anneaux. Des propriétés à ‘’exploiter’’ selon lui, confirmant combien tout un pan de l’institution hollywoodienne en est venu à penser à la manière d’actionnaires bedonnants et insipides. Il ne s’agit plus de faire de l’art et de l’argent (comme cela a toujours été le cas, on ne va pas se mentir, le cinéma entretenant le paradoxe d’être un art ainsi qu’une industrie), il s’agit seulement de faire de l’argent. Dans quel triste monde nous vivons…
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