
Nos désirs sont tout autant des obstacles que des moyens de faire des choix tout au fil de notre vie. Désir inavoué et jugé immoral, désir associé à l’ambition et à la réussite, le désir est une notion versatile, maintes fois pensée par les philosophes, et la société. Il faudrait écouter ses désirs avec parcimonie, afin de ne pas tomber dans l’immoralité. A mon seul désir est l’histoire de Manon, étudiante fauchée et sans histoires, qui rêve de quitter sa coloc parisienne. Pour cela, elle se laisse guider par ses désirs, et décide de travailler dans un strip-club.
C’est un lever de rideau sur la scène qu’est celle du monde du strip-tease. Les vêtements disparaissent, les femmes et les spectateurs se dévoilent durant l’espace de deux heures de spectacle. Malgré une mise en scène aussi travaillée que celles des strip-teaseuses, le film ne nous permet pas de comprendre Aurore, de saisir ses choix. Le personnage ne ment pas sur ses intentions, mais ne nous dévoile rien. Il est assez compliqué de comprendre ses décisions, comme celle de se diriger vers la prostitution. Ce manque de développement psychologique peut être de prime abord difficilement compréhensible. A mon seul désir devient un film fait de saynètes, vécues par Aurore, presque dénuées de violence, même quand elles le sont psychologiquement pour les spectateurs (c’est le cas pour l’agression sexuelle dès la première danse privée qu’elle effectue pour son premier client). La jeune femme ne semble pas atteinte psychologiquement sur la durée en tout cas par les agressions vécues sur ses lieux de travail, ni par sa relation avec Mia. Bien qu’elle ait l’air d’un électron libre, coupé de cette notion de « moralité », si chère à la société (bien qu’elle soit plus ouverte d’esprits sur les métiers comme le strip-tease, certes), le film a tendance à nous laisser dans ce nuage d’incompréhension, entre ces différentes scènes de strip-tease, à la fois jouissives, bien que certainement trop nombreuses. Pourtant, la scène d’ouverture qui nous fait présenter une des futures collègues d’Aurore nous prévient ; elle va nous raconter l’histoire de cette jeune femme. Et l’œuvre de Lucie Borleteau semble tout de même fonctionner. Tout comme la jeune femme, nous nous laissons porter au gré de ces scénettes, qui sont agréables à regarder.

Pourquoi ? Etes-vous, vous spectateurs, dérangés par l’idée d’avoir aimé visionné un film sur le strip-tease ? Cette satisfaction provient finalement du caractère presque onirique que présente A mon seul désir. Pas de développement psychologique, ni grandes émotions, soit. Si ça marche, c’est que le film est pensé, en tout cas pour votre auteure, comme un conte. C’est un conte que vit Aurore ; toutes ses expériences ne sont que des phases, ni sublimées ni pointées du doigt par une réalisatrice moralisatrice. Il ne s’agit pas de faire du personnage principal une victime permanente, ni finalement une femme insensible aux problématiques que rencontre la gente féminine, notamment lorsqu’il est question de strip-tease ou de travail du sexe. Sous ses faux airs de film sur le strip-tease fait pour le plaisir des yeux, c’est un film qui se veut doux, onirique et entrainant pour des femmes qui n’écoutent pas toujours leurs propres désirs dans ce monde. A la manière d’une mise en garde ou plutôt d’une introduction à ce doux monde parfois amer, la strip-teaseuse de la séquence d’ouverture brise le quatrième mur après avoir entamé une danse enivrante. Les gros plans sur ses talons hauts sertis de diamants, accompagnés par une musique onirique nous envoie tout droit dans un conte de fées : celui des strip-teaseuses du club A mon seul désir. Pas étonnant que Manon choisisse dès le début le prénom Aurore, celui de la belle au bois dormant. C’est à partir de ce postulat, celui de conte, que le long métrage de Lucie Borleteau s’écoule harmonieusement pendant deux heures. C’est alors que tous les choix de mise en scène, de montage et autres affaires cinématographiques prennent du sens.
Nous regardons un film, certainement pensé comme un conte, vu par les yeux d’une femme qui se laisse guider par son propre désir. Aurore balaye d’un revers de la main ces codes de moralité, qui la pointeraient du doigt. Si elle veut faire du strip, elle le fait. Si elle veut se prostituer, elle le fait. Si elle tombe sous le charme de Mia, elle ne nie pas ses sentiments. Elle est heureuse pour les réussites et joies de sa partenaire, sans une once de jalousie. Pourtant, ce conte n’omet pas les dangers auxquels la jeune femme se frotte ; agression sexuelle lors de la première danse privée, tentative d’expérience violente par un client lorsque Aurore se prostitue avec sa collègue, ou encore peine de cœur lorsqu’elle intègre finalement que le petit ami de Mia est bien celui qui est à ses côtés, et non elle, collègue de strip. Ces incidents sont traités comme passagers, pas marquants, seulement marqueurs des dangers de métiers qu’exerce Aurore, métiers non légalisés ou jugés immoraux.

On pourrait finalement reprocher à la réalisatrice un optimisme exagéré quant à la situation de ces femmes, un optimisme qui aborde de très loin les dangers, qui les gommerait presque. Rappelons qu’il s’agit, de notre point de vue, d’un conte. C’est un embellissement des danses sensuelles, une ode au corps de la femme. Ce sont des femmes qui désirent montrer leurs corps, sans obligation. On découvre (malheureusement seulement en surface) les autres femmes du club, pétillantes et pleines d’ambition, qui s’épanouissent sur scène, qu’il soit question de se faire de l’argent, ou de répondre à son propre désir.
A mon seul désir n’est pas un de ces films qui se voit, dont on tire une morale pour en être satisfait. C’est une œuvre qui ne nous dit pas « le strip-tease et la prostitution sont émancipateurs » ou « attention, c’est mal », c’est une question de désir. Tandis que Aurore n’a qu’une seule ambition, celle de suivre son désir, Mia désire monter sur scène, qu’elle soit celle de l’effeuillage ou de celle du théâtre, quitte à mentir. Mia vit dans un jeu de dupes permanent, et l’immoralité pour les spectateurs peut être tant celle du mensonge de Mia envers son compagnon que le choix de Aurore de se prostituer, de manière peu sécurisée. Si vous, spectateurs et lecteurs, cherchez une morale à ce film, vous ne serez pas satisfaits. Nous aimons à penser que A mon seul désir est avant tout une ode à la liberté de la femme, de quelle nature qu’elle soit. C’est l’art de se moquer de ce qui doit être défini comme moral, ou non. Aurore refuse les injonctions de la société, comme celles de sa bien-aimée. A mon seul désir redéfinit tout autant les limites imposées aux femmes que celles imposées aux réalisatrices et réalisateurs. Un film sur le strip-tease est possible, sans pour autant étouffer les spectateurs de séquences vulgaires, dénuées de quelconque sens et utilité pour l’œuvre.
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