
Roger Corman est un homme multiple. C’est, entre autres, le pape de la Série B, le découvreur de talents et le producteur aux 500 films… Mais au-delà de son apport essentiel à l’industrie pure (en chiffres et en statistiques record), il a également mené quelques petites révolutions artistiques avec la casquette de réalisateur. La petite boutique des horreurs, film au budget riquiqui écrit en deux semaines et tourné en deux jours est une de ces petites révolutions, sans laquelle bons nombres de films n’auraient jamais existé.
Dans le quartier malfamé de Skid Row, Gravis Mushnick (joué par le génial Mel Welles) est un fleuriste sanguin et ruiné qui désespère de faire un jour fortune avec son magasin. Sous ses ordres, deux employés : Audrey (Jackie Joseph) une éternelle optimiste et Seymour (Jonathan Haze) un gentil benêt gaffeur. Passionné par la botanique, ce dernier ramène un jour une plante un peu spéciale à la boutique, qui ne grandit que si elle se nourrit de sang frais. Commence alors une succession de fâcheux événements plus ou moins volontaires pour nourrir ce qui va devenir la nouvelle attraction du magasin. Gloire et fortune deviennent possibles pour Mushnick, mais à quel prix… Réalisé en 1960, La petite boutique des horreurs a donné lieu à un remake en 1986 réalisé par Franck Oz (l’homme derrière la création de Yoda). Roger Corman a construit son film en fonction des énormes contraintes matérielles, ce qui transforme le résultat en une joyeuse pièce de théâtre filmée. Décors limités, dialogues mitraillés et gags burlesques constituent le corps de ce qui est aujourd’hui un film culte.

S’il est découvert sans contexte, le film pourrait souffrir de son âge, servant à la limite de leçons de débrouillardises pour les étudiants en cinéma. Néanmoins, pris à la lumière de ce qui lui a succédé, nous nous rendons compte que Roger Corman a inventé la première comédie horrifique de l’histoire du cinéma. Sans lui, pas de Rocky Horror Pictures Show, ni de Scary Movie. L’absurdité de certains gags, si bien écrits qu’ils sont encore très drôles 63 ans plus tard, rend bien compte de l’avance que Corman possède sur son temps. Le personnage de Mouch (Dick Miller) en est le parfait exemple. Sa seule et unique fonction : rappeler à qui veut l’entendre qu’il mange les fleurs plutôt que les offrir en bouquet. Le gag est décliné et n’est surtout pas essoré à tout prix, prenant uniquement la forme de punchlines très efficaces du personnage lorsqu’il juge une fleur uniquement d’un point de vue culinaire : “De toute façon elle est indigeste” ; “Ma femme cuisine des gardénias ce soir”. Vous avez compris le principe.
En plus de ce personnage très marqué par un comique qui sera celui du trio Zucker-Abraham-Zucker (à qui l’on doit Y-at il un pilote dans l’avion ? et la franchise Scary Movie), il y a un duo de flics censés enquêter sur les disparitions du quartier. Eux-aussi sont également la représentation parfaite d’un comique absurde et indémodable irriguant tout un pan de la comédie américaine. Nous pourrions nous attarder sur chaque personnage, tant ils sont tous plus drôles les uns que les autres. Mention spéciale tout de même à la première apparition au cinéma de Jack Nicholson, qui interprète un masochiste qui adore se faire détruire la dentition chez le dentiste (un brouillon de son futur Joker peut-être ?). Seymour est peut-être l’exception sur ce point. Son rôle d’idiot maladroit prouve que tous les ressorts comiques n’ont pas forcément bien vieillis. Dans son cas, point de punchlines comme Mouch, point de ridicule grandiloquent à la Mushnick mais simplement un air démesurément bête et une faculté à tomber qui rendrait jaloux Gaston Lagaffe. Il en faut pour tous les goûts.

Bien évidemment il serait hypocrite de notre part de reprocher l’artisanat modeste des décors et des effets spéciaux, puisque tout le charme du film réside dans le fait qu’il soit fauché. Ce que Corman a rendu possible, c’est de fabriquer du divertissement à taille humaine et rappeler qu’au bout du compte, le cinéma, c’est avant tout une joyeuse bouffonnerie. Si nous changeons de perspective, il est même plutôt miraculeux de se rendre compte qu’un film qui avait tout pour tomber dans l’oubli a finalement continué de vivre en inspirant des générations de cinéastes. Comme quoi, même si Seymour n’est plus aussi drôle, il a le mérite de planter correctement ses graines. A consommer sans plus attendre sur Shadowz.
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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.
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