Joyland : Rêves de liberté (provisoire)

Sorti en salles en fin d’année dans une période où l’on est souvent plus occupés à manger de la dinde en famille qu’à aller au cinéma, Joyland, auréolé d’une bonne réputation critique (il a eu la Queer Palm et le prix du jury Un Certain Regard à Cannes en 2022 et on l’a notamment vu dans la sélection du festival Chéries-Chéris), a pu enfin être découvert grâce à sa sortie vidéo en avril dernier chez Condor Entertainment. Premier long métrage du réalisateur pakistanais Saim Sadiq, Joyland aborde des sujets forts et audacieux encore tabous dans la société pakistanaise, ayant d’autant plus de mérite que tout y est traité avec beaucoup de délicatesse.

Haider et son épouse Mumtaz habitent ensemble dans la famille du frère d’Haider. Soumis au regard des autres et notamment de son père, Haider ne travaille pas, laissant Mumtaz avoir un emploi. La situation ne déplaît pas à Mumtaz qui aime travailler et ne veut pas d’enfants, se rêvant indépendante dans une société profondément patriarcale. Mais sous la pression familiale, Haider finit par trouver un emploi dans un cabaret. Là, il rencontre Biba, danseuse magnétique et transgenre dont il tombe sous le charme. Tiraillé entre les injonctions qui pèsent sur lui et son désir de liberté, Haider va se retrouver débordé par la situation…

S’il a parfois la main lourde sur les symboles pour mieux illustrer son propos (à l’image d’une de ces premières séquences où Haider, incapable de tuer un animal, se voit aidé par sa femme, annonçant déjà la psychologie des personnages), Joyland a pour lui l’immense qualité d’être délicat en permanence, ne faisant jamais grand étalage des émotions s’emparant des personnages autrement que par un travail de mise en scène soigné. Avec acuité et sans jamais délaisser un personnage plus que l’autre (Haider, Biba et Mumtaz ont la même importance dans le récit, chacun avec sa trajectoire), Saim Sadiq brosse à travers son film le portrait d’une société patriarcale où le désir, l’émancipation et le bonheur sont soumis à des injonctions aussi brutales qu’insidieuses ne pouvant mener qu’à des drames ou à de profondes solitudes. Certains font avec leur situation comme Nucchi, la belle-sœur femme au foyer dont Mumtaz apprend les ambitions refoulées mais Mumtaz et Haider rêvent de mieux, eux qui ont été mariés sans se connaître mais qui se retrouvent dans leur envie d’émancipation. Difficile hélas de se comprendre (même Biba finira par rejeter le désir d’Haider dans une scène exemplaire) et de toucher au bonheur à moins de parvenir à s’enfuir…

Avec son titre en forme d’ironie, Joyland s’avère étonnant dans sa grande sensibilité et s’il puise dans les ficelles du drame, il sait les utiliser de façon intelligente pour mieux nous surprendre, notamment dans un dénouement déroutant faisant presque virer le récit en film de fantômes avant que nous ne reprenions nos esprits et raccrochions les wagons de la narration. Beau dans sa simplicité (le moment où Haider s’assoit dans le métro à côté de Biba, à qui l’on demande de s’asseoir avec les hommes), émouvant dans son interprétation (tout le casting est fabuleux) et implacable dans ce qu’il raconte de son pays, Joyland est une superbe ode au désir et à la liberté dont les séquences s’insinuent dans notre cœur pour ne plus le quitter.

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