Visions : Cirque aux involutions…

Est-il encore besoin de présenter en ces lignes le talentueux Mr Gozlan, déjà auteur de quatre longs métrages clairement inscrits dans des genres aux ressorts à priori usés jusqu’à la moelle mais que notre Grand Homme est toujours parvenu à rendre personnels et dramatiquement passionnants ? Qu’il s’agisse de son inaugural Captifs sorti en salles au tout début des années 2010 et qui mettait en scène une Zoé Félix se débattant dans les ténèbres d’un torture-porn malin et très efficace, de Un Homme idéal qui revisitait le thriller psychologique avec brillance tout en magnifiant un Pierre Niney en proie aux déboires de l’usurpation et de l’imposture littéraire ou encore du très anxiogène Burn Out qui réinventait le polar nocturne, urbain et interlope en offrant à François Civil l’un de ses plus beaux rôles le Cinéma de Yann Gozlan est celui des affres et des angoisses de ses (anti)héros, partageant avec celui de son partenaire d’écriture Thomas Kruithof le goût pour les intrigues aux frontières du kafkaïsme (en témoignent les deux longs métrages que sont La Mécanique de l’ombre et Les Promesses, films posant leur regard mêlé de sociologisme et d’inquiétude sur des systèmes bureaucratiques aux allures de cauchemar éveillé, ndlr).

Sera donc visible dès ce mercredi 6 septembre le nouveau film dudit Yann Gozlan, l’énigmatique et saisissant Visions qui fut présenté en avant-première lors de la 16ème édition du Festival du Film Francophone d’Angoulême il y a près de deux semaines désormais. Étrange poème visuel et sonore semblant tout droit sorti de la psyché tortueuse de son héroïne Visions demeure et restera une oeuvre proche de l’expérience sensorielle et extra-sensorielle, faisant fi de toute logique narrative préconçue pour mieux involuer sur elle-même d’un bout à l’autre d’un métrage typiquement fantasmatique ; s’ouvrant sur l’image d’une pupille entourée d’une iris azurée au coeur de laquelle des formes aqueuses et curieusement magmatiques semblent à même de nous captiver à la manière d’un tourbillon hallucinatoire Visions dévoilera ses motifs narratifs avec une singulière parcimonie, comme d’éventuels bribes que le spectateur pourra – ou non – imbriquer à sa guise comme autant de pièces d’un puzzle délibérément abstrait.

On comprend, on rationalise moins que l’on éprouve et rêve ce cinquième long métrage typiquement gozlanien ; on comprend stricto sensu que l’on suit les pensées – toutes formes confondues – du personnage d’Estelle, pilote de ligne de haut niveau passant le plus clair de son temps à étayer ses capacités professionnelles au détour de tests d’aptitudes exécutés à distance dans l’intimité de sa résidence balnéaire située aux abords de Martigues. Mariée à Guillaume (un médecin aux agissements troubles et curieusement définis, ndlr) Estelle recroise un jour le chemin de la belle et vénéneuse Ana, son ancienne compagne perdue de vue vingt années auparavant et bien déterminée à renouer les liens d’un passé qu’on imagine pour le moins passionnel et fusionnel ; sur le point de repartir pour le Japon afin d’assurer le vernissage d’une exposition de photographies mettant en scène une série d’abandons érotiques essentiellement féminins Ana deviendra, dans la seconde partie du métrage, la redoutable monomanie de la belle et magnétique Estelle, remplaçant son hygiène professionnelle par la quête obsessionnelle de son amour perdu puis retrouvé…

Comme toujours avec Yann Gozlan le film dont il est ici question s’avère brillant sur bien des points, digérant ses multiples références pour mieux les incorporer à une Oeuvre de genres purs et durs. Après l’horreur graphique de Captifs et les trois thrillers psychologiques que constituent les excellents Un homme idéal, Burn Out et Boîte Noire le cinéaste français perpétue au son et à l’image ses angoisses filmiques à des fins communicatives, accouchant avec Visions d’un objet hautement introspectif difficilement identifiable ; entre les vertiges d’un suspense rondement mené, les fulgurances mentales aux résonances quasiment fantastiques de son héroïne et les vicissitudes d’une narration savamment éclatée Visions dépasse la notion de genre pour mieux s’imposer, à son humble mesure, comme un trip cinématographique tout à fait maîtrisé, impeccablement interprété par une Diane Kruger idéale en protagoniste tiraillée entre désir inassouvi et névrose vampirique et une Marta Nieto fascinante en figure intrusive et diablement toxique ; Mathieu Kassovitz livre quant à lui une composition entièrement honorable en la forme du personnage de Guillaume, médecin ambigu et impénétrable à l’image d’un film semblant avoir été conçu sous le signe du mystère et de la cérébralité tortueuse ; on notera également l’apparition étrange mais mémorable de la belle et classieuse Amira Casar au gré d’une séquence nocturne filmée dans le tumulte d’une soirée tokyoïte des plus dérangeantes, embryon filmique perdu parmi des dizaines d’autres dans la boîte crânienne de la forte et vulnérable Estelle…

Les références du cinéaste sont limpides et nombreuses dans le même mouvement de brillance : on songe énormément aux premières armes de Roman Polanski (Répulsion, principalement…) mais également à un chef d’oeuvre anxiogène tel que Le Locataire pour la dimension névrotique ; un incontournable de la trempe du sulfureux Basic Instinct de Paul Verhoeven peut éventuellement venir à l’esprit au regard de la relation destructrice liant et opposant Estelle à la très aguichante Ana, alors que la grammaire et les motifs scénaristiques dudit métrage renvoient immanquablement au Cinéma d’Alfred Hitchcock (Psychose et Sueurs Froides forcément, mais aussi La Maison du Docteur Edwardes, ndlr). Epaulé d’une équipe technique particulièrement compétente (le travail musical de Philippe Rombi et celui – entre autres – du chef opérateur Antoine Sanier sont en tout point remarquables…) Yann Gozlan propose avec Visions une oeuvre hallucinatoire teintée d’onirisme et de projections mentales tour à tour terrifiantes et sidérantes, rehaussant son Cinéma à un point d’aboutissement tout à fait inédit. C’est – de fait – résolument efficace et mémorablement prégnant.

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  1. Édito – Semaine 37 -

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