
Il y a pratiquement un an jour pour jour l’équipe rédactionnelle de Close-Up Magazine découvrait le Festival du Film Francophone d’Angoulême, assistant à quelques-unes des projections des plus beaux films sortis dans nos salles obscures durant les douze derniers mois ; festival de tous les possibles (et d’aucuns savent que l’impossible n’est – de fait – absolument pas français…) le FFA accouchait cette année de sa seizième édition avec plus de 90 films sélectionnés – tous formats confondus – dont 11 présentés en Compétition pour prétendre à la récompense suprême, à savoir le Valois de Diamant (trophée attribué au magnifique Les pires lors de la 15ème édition, ndlr). S’étant déroulé entre le 22 et le 27 août dernier dans la préfecture charentaise le FFA 2023 est de ces petits cadeaux cinéphiles mettant l’humain au-devant des impératifs financiers, privilégiant des œuvres à la fois simples, magnifiques et universelles assumant pleinement leur caractère authentiquement indépendant. Retour sur quelques-unes des découvertes filmiques ayant provoqué en notre âme de spectateur un certain engouement des plus… angoumoisins !
Créateurs de l’évènement Dominique Besnehard et sa partenaire Marie-France Brière ne se sont pas trompés en perpétuant la recette des années précédentes, proposant en sus de la Compétition Officielle une petite poignée d’avant-premières pour des œuvres d’ores et déjà très attendues par la francosphère cinématographique. Ainsi le film d’ouverture nous a permis de découvrir une nouvelle facette de l’insaisissable Guillaume Nicloux, livrant avec La Petite un drame familial dispensable, certes, mais correctement mené par le réalisateur. Offrant le rôle principal à Fabrice Luchini, ledit cinéaste tente un peu vainement de gommer les excentricités du comédien au gré d’un récit semblant avoir été développé sous le signe un peu harassant des bons sentiments lourdauds et inoffensifs ; et si le célèbre acteur ne peut visiblement s’empêcher de luchiniser à tout va sa partenaire Mara Taquin lui vole admirablement la vedette au cœur d’une fable gentillette mais plutôt réussie dans sa conduction.

La rédaction de Close-Up a également pu assister à deux autres des avants-premières proposées cette année par le FFA, à savoir le Anti-Squat de Nicolas Silhol et surtout le fascinant et obsédant Visions du grand et résolument talentueux Yann Gozlan. En effet si le premier film sus-cité nous a pour le moins déconcerté voire partiellement déçu (la faute sans doutes à une Louise Bourgoin trop effacée pour nous convaincre plus que de moitié, et ce malgré un sujet particulièrement dramatique – la location temporaire de résidences à priori inoccupées par une poignée d’habitants issus de la classe populaire, ndlr) le second nous semble logiquement s’inscrire dans la brillance créatrice de l’auteur Burn Out et de Boîte Noire ; véritable immersion dans les tréfonds de la psyché de son héroïne incarnée par la sublime Diane Kruger Visions confirme une fois encore la formidable capacité de Gozlan à citer ses maîtres pour mieux s’approprier leur grammaire et leur musique intrinsèques, lorgnant ici sur les univers anxiogènes et paranoïdes du Cinéma de Roman Polanski (Répulsion et Le Locataire en tête, ndlr) et l’atmosphère sulfureuse et quasi hitchcockienne d’un film tel que le superbe et incontournable Basic Instinct de Paul Verhoeven. Une oeuvre involutive et pleinement introspective demeurant – même plusieurs jours après sa découverte – l’une des plus belles et des plus grandes révélations du FFA 2023.
De son côté la Compétition nous a réservé pléthore de longs métrages augurant de bonnes choses pour les années à venir ; si déjà celle de la 15ème édition nous avait fait l’effet d’une véritable ode aux valeurs d’aujourd’hui et de demain (le passage au crible d’une prostitution pour mineures dans le ravageur Noémie dit Oui, les difficultés d’une adoption des plus illicites dans Le Sixième enfant, et cetera…) celle de ces derniers jours s’est quant à elle attelée à proclamer un hymne essentiel à la différence, sous toutes ses formes : différence entre le désir amoureux et l’éducation familiale au travers du beau et lyrique Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré (lauréat cette année du Valois de Diamant, doublé de celui du meilleur acteur pour le jeune trentenaire Vincent Lacoste, ndlr), différence sensible sublimée par le regard docu-fictif pour le moins acéré de la brillante Delphine Deloget et son bouleversant Rien à Perdre, différence et/ou excentricité pleinement assumée des personnages et du décor polymorphe du bien-nommé et très québécois Bungalow de Lawrence Côté-Collins, différence artistique de belle envergure en la forme du Plongeur réalisé par un Francis Leclerc dans le plus pur des atavismes scorsesiens ou encore différence du regard porté sur d’éventuelles relations sans lendemain dans le drôle et très efficace Iris et les Hommes interprété par une Laure Calamy entièrement fidèle à elle-même…

Une différence trouvant certainement son apothéose dans le beau mais un rien ennuyeux Rosalie de Stéphanie Di Giusto, récit d’une femme à barbe tenant lieu dans une région agreste en proie aux marasmes idéologiques d’un XIXème Siècle semblant avoir été filmé par une Jane Campion hautement inspirée : en deux heures à peine la réalisatrice dirige la jeune Nadia Tereszkiewicz dans un classicisme formel habilement dénué d’esbroufe, mettant sur le devant de la scène une demoiselle atteinte d’hirsutisme et promise à un tenancier rustre et chagrin incarné par un Benoît Magimel encore et toujours redécouvert. Visuellement caressant Rosalie pourrait être la consécration définitive de la prometteuse Nadia Tereszkiewicz, l’actrice des Amandiers remportant cette année le Valois de la meilleure actrice pour son rôle de composition pour le moins étonnant…
Au gré des tendances et de l’air d’un temps désireux d’insuffler un véritable vent de modernisme en notre Septième Art adoré (ici l’altérité faisant face à l’adversité, là les mères-courages et les jeunes femmes mettant un point d’honneur à disposer de leurs droits, quels qu’ils soient…) le FFA 2023 n’en a pas pour autant oublié d’organiser quelques projections de films issus du patrimoine francophone, allant jusqu’à convier les helvètes Jean-Luc Godard et Alain Tanner à titre posthume en tant qu’invités d’honneur de cette 16ème édition. Si nous avons – à notre grand regret – manqué les projections uniques de La Salamandre et du très composite Détective de JLG nous nous sommes heureusement rabattus sur deux films aux qualités certaines, à savoir d’une part le justement très godardien Merci la vie de Bertrand Blier et d’autre part le beau et troublant J’ai épousé une ombre de Robin Davis, éventuelle variation du Profession : Reporter de Michelangelo Antonioni habitée par la faussement vulnérable et réellement intrigante Nathalie Baye alors au sommet de sa beauté ; deux films réalisés dans le plus pur esprit cinéphile, Merci la Vie ramassant une quantité non négligeable de fulgurances visuelles à renfort de montage joliment soucieux et de provocation propre à son auteur et célèbre dialoguiste lorsque le drame ambigu de Robin Davis s’amuse à détourner les codes du polar chabrolien avec une virtuosité difficilement discutable.

Au sortir de cette prestigieuse 16ème édition du FFA perdure enfin le souvenir de la découverte du magnifique documentaire consacré à l’irremplaçable Patrick Dewaere et réalisé par Alexandre Moix voilà un an désormais ; 90 minutes d’hommage et/ou d’élégie à la gloire du célèbre comédien commentées par sa fille Lola et à travers lesquelles le documentariste retrace la destinée tragique de l’acteur de Coup de Tête et de Série Noire avec une émotion sans égale. Patrick Dewaere, mon héros fait donc l’effet du portrait édifiant d’un authentique écorché vif doublé d’un objet définitivement incontournable pour tout bon cinéphile qui se respecte, à voir et à revoir inlassablement au fil des années à venir…
Près de quinze films vus en fin de compte, quinze films parmi près d’une centaine alors proposée par Dominique Besnehard et Marie-France Brière en cette édition du FFA 2023. En résulte une impression de nouveauté particulièrement appréciable faisant la part belle aux femmes de tout bord et aux tous jeunes talents (saluons au passage la prouesse technique et dramatique que constitue le Toni, en famille du jeune et prodigieux Nathan Ambrosioni, également coup de coeur personnel du créateur dudit festival, ndlr), ode à la différence et à l’altérité prouvant que le Cinéma et ses charmes angoumoisins gardent en réserve de biens beaux jours devant eux… On se dit à l’an prochain !
Palmarès du Festival -16ème édition :
Valois de diamant : Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré
Valois du public : La vie de ma mère de Julien Carpentier
Valois de la mise en scène : Augure de Baloji
Valois de l’acteur : Vincent Lacoste pour Le Temps d’aimer
Valois de l’actrice : Nadia Tereszkiewicz pour Rosalie
Valois du scénario : Yolande et Frédérique Moreau pour La fiancée du poète
Valois de la musique : Hania Rani pour Rosalie
Valois des étudiants francophones : Rien à perdre de Delphine Deloget
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