
Humblement et difficilement le Cinéma africain tente depuis plusieurs décades de franchir les frontières culturelles et géographiques de notre belle planète cinéphile, parvenant rarement à toucher le plus grand nombre d’hommes et de femmes férus de pellicules en tout genre… Hélas encore trop méconnu du public le plus large en nos contrées européennes ce Cinéma néanmoins précieux a pu toutefois proposer – de manière somme toute très sporadique, ndlr – certaines pépites de Septième Art comptant parmi les plus étonnantes du Siècle dernier : ainsi quelques-unes et quelques-uns d’entre nous ont eu la chance de re-découvrir l’Oeuvre-monstre du mauritanien Med Hondo ces dernières années, cinéaste engagé ayant accouché de véritables monuments filmiques dans les années 1970-1980 tels que l’extraordinaire et très brechtien West Indies ou encore le magnifique et proprement épique Sarraounia quelques temps plus tard ; un réalisateur tel que le sénégalais Ousmane Sembène s’avère non moins essentiel que son homologue sus-cité, auteur entre autres choses du prodigieux Camp de Thiaroye à la fin des années 80, fresque politique post-coloniale revenant sur les évènements du massacre de Thiaroye ayant eu lieu au sortir de la Seconde Guerre Mondiale sur le continent africain…

Si l’on excepte le très médiatisé Timbuktu en 2014 ou plus récemment le beau mais dispensable Atlantique de Mati Diop rares sont les films originaires d’Afrique à avoir eu l’opportunité de bénéficier d’une réelle et franche distribution en terre hexagonale ces vingt dernières années… C’est pourquoi la rédaction de Close-Up Magazine s’est empressée de parfaire sa curiosité à l’aune de la sortie du premier long métrage de Ramata-Toulaye Sy en cette fin d’été 2023, profitant de sa projection en avant-première lors de la 76ème Édition du Festival de Cannes en mai dernier : Banel et Adama, éventuel conte primitif aux allures d’idylle amoureuse contrariée et contrariante tenant lieu dans un village reculé du Sénégal à une époque peu ou prou indéterminée, fable simple mais aucunement simpliste dans le même geste d’humilité amère et douce, agréable et fatale tout à la fois.
Sur un argument narratif assez voisin du resplendissant Touki Bouki sorti en salles voilà désormais cinquante ans (ce petit chef d’oeuvre du cinéma africain réalisé par Djibril Diop Mambéty dépeignant l’amour impossible, quasiment shakespearien, liant deux jeunes sénégalais désireux de quitter leur pays natal pour un avenir meilleur, ndlr) Banel et Adama frappe par l’évidence de son apparat formel et par l’universalité de son propos ; encore tout jeunes adultes Banel et Adama s’aiment d’un amour profond, vivant dans un repli quasi autarcique dans un village peul du Nord du Sénégal. Souhaitant plus ou moins prendre leurs distances avec la communauté pour profiter au mieux d’une histoire aux allures de romance inconditionnelle Banel (Khady Mane) et Adama (Mamadou Diallo) devront faire face à la pression que les ancêtres exercent sur eux, la première devant fatalement assumer sa fonction de mère au foyer lorsque le second semble tout destiné à la position hautement responsable de chef du village, position impliquant la continuité d’une lignée atavique à priori indiscutable. Tenant tête à la désapprobation générale de leur famille respective les deux jeunes amoureux finiront par quitter les lieux, jusqu’à ce qu’une étrange imprécation vienne s’abattre sur ce microcosme agreste et moralement cruel…

Sans jamais s’embarrasser d’artifices ou d’éléments dramatiques superflus le premier long métrage de Ramata-Toulaye Sy trouve une assez belle grâce à nos yeux de spectateurs expatriés – le temps d’un film – dans l’arrière-pays sénégalais. De durée moyenne mais plutôt conséquente Banel et Adama captive de ce point de vue par le soin accordé à la lumière et aux cadrages, se permettant de temps à autre quelques fulgurances visuelles et sonores aux résonances fantastiques. Et si en outre le propos dudit métrage s’inscrit plus que jamais dans l’air de son temps (la réalisatrice place sur la sellette le patriarcat inhérent à la communauté, avec ce qu’il implique en termes de succession et de liens du sang mais aussi de domination masculine et de servitude maternelle, nldr) il n’en demeure pas moins intemporel voire uchronique, probable conte antédiluvien passant au crible l’iniquité d’une société, quelle qu’elle soit. Arborant sa superbe photographie un tantinet chatoyante et son atmosphère animiste baignant dans une étrangeté en demi-teinte Banel et Adama prouve une fois encore que le mythe de Romeo & Juliette n’en finit pas de traverser les âges et les horizons de tout bord, joli conte primitif qui – sans payer de mine – figure parmi les belles découvertes de la dernière édition cannoise.
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