
Éditeur prolifique dont le travail n’est plus à présenter, Sidonis Calysta a beau avoir fait des genres du western et du film noir ses spécialités, il n’en continue pas moins d’éditer régulièrement de véritables curiosités de l’Histoire du cinéma, en témoigne Le Seigneur de la guerre, disponible en blu-ray depuis le 15 juin dernier. Réalisé par Franklin J. Schaffner et interprété par Charlton Heston, Le Seigneur de la guerre est une œuvre pour le moins singulière, adaptation d’une pièce de théâtre de Leslie Stevens que Heston souhaitait porter à l’écran. Malgré son statut de star, l’acteur aura peine à financer le projet qui ne se fera qu’avec quelques concessions et notamment une deuxième partie plus orientée sur l’action qui ne modifie en rien les qualités d’un film à découvrir d’urgence.
Se déroulant dans la Normandie du XIème siècle, Le Seigneur de la guerre nous conte l’histoire de Chrysagon de la Cruex (oui, c’est vraiment le nom du personnage, aussi invraisemblable soit-il…), chevalier recevant un fief en terre païenne. L’endroit est uniquement composé d’une tour et d’un petit village bordés par des marécages et proche des Frisons qui font régulièrement des raids sur la région. Alors que l’ennui guette, Chrysagon rentre en conflit avec son frère sur sa façon de régner et tombe sous le charme de la belle Bronwyn, promise à un villageois. Chrysagon laisse Bronwyn se marier mais décide sous une pulsion d’exercer son droit de cuissage sur la mariée comme l’exige la tradition. Les villageois acceptent mais Bronwyn devra être rendue à l’aube. Chrysagon refuse et le chef du village va alors trouver les Frisons pour attaquer la tour dans laquelle vit le seigneur et ses hommes…

D’une histoire assez classique, Franklin J. Schaffner tire un film solide, remarquable par sa volonté de réalisme. Contrairement à de nombreuses productions de l’époque, le Moyen-Âge n’est pas du tout romantisé. Ici, le monde dans lequel évolue Chrysagon est sale, violent et dénué de valeurs, celles-ci étant vite abandonnées pour des questions de survie y compris par le prêtre local. En cela, Le Seigneur de la guerre préfigure des films comme le Macbeth de Polanski ou La chair et le sang de Verhoeven qui font également apparaître cette période dans toute sa crasse et sa brutalité. Limité par la censure de l’époque, Schaffner ne pousse aucun curseur trop loin mais son sens du détail et son goût du réalisme historique (jusque dans le décor de la tour, représentation parfaite de la verticalité du pouvoir ou dans les scènes de siège) inscrivent son film dans une belle ambition formelle et lui confèrent une ambiance singulière, notamment par sa façon d’opposer les chevaliers catholiques aux traditions païennes.
La deuxième grande force du film se trouve dans l’interprétation. Entouré par une belle galerie de seconds rôles (Richard Boone, Guy Stockwell, Maurice Evans, James Farentino, Henry Wilcoxon), Charlton Heston est excellent en chevalier tiraillé entre son désir et son devoir. L’acteur, charismatique mais capable de cabotiner quand on lui en laisse l’occasion, trouve en Schaffner un allié de poids, qu’il avait d’ailleurs choisi car leurs collaborations pour la télévision s’étaient très bien passées. Sage décision puisque, peu aidé par un nom de personnage imprononçable et une coupe de cheveux douteuse, Heston offre pourtant une composition mémorable. Qu’il se batte en slip sur un pont-levis (rien que pour cette séquence, le film est à voir) ou qu’il ressente au plus profond de lui les affres du désir, l’acteur est formidable, laissant éclater son talent sans trop en faire, parvenant à trouver le juste équilibre pour exprimer les tiraillements de son personnage.

Et si les oppositions passionnantes esquissées dans la première partie du film (religion catholique / religion païenne, devoir / désir, horizontalité du village / verticalité de la tour) laissent place à une seconde partie plus orientée sur l’action, elle n’en demeure pas moins efficace. Visant toujours le réalisme, Schaffner livre en effet un dernier acte haletant et répond à la fois à la volonté de son acteur et à celle du studio. Cela ne sauva pas le film de l’échec à sa sortie (et impose donc sa découverte) mais n’empêcha pas l’acteur et son réalisateur de se retrouver (Dieu merci) trois ans plus tard pour La planète des singes, un immense succès cette fois…
Soyez le premier à commenter