Severance : Séminaire mortel en Hongrie

Nous avons déjà eu l’occasion de vous évoquer la période que les critiques ont surnommé la French Horror. Cette période au début des années 2000 qui a vu éclore une génération de réalisateurs français qui a osé proposer des films de genre dont on se souvient encore aujourd’hui. Ce dont on parle beaucoup moins, c’est qu’à la même époque, en Grande-Bretagne, le cinéma horrifique connaissait un tout nouvel essor également. Difficile de ne pas penser à 28 Jours Plus Tard de Danny Boyle qui a suscité un vif intérêt chez les aficionados. Déjà bien installé dans le paysage britannique, Boyle a ouvert la voie à des réalisateurs qui ont permis de construire une nouvelle vague communément appelée Modern British Horror. De The Descent à The Children en passant par Eden Lake, Wilderness ou encore Dog Soldiers, le Royaume-Uni nous a sévèrement gâté au début des années 2000. Malgré notre appétence particulière pour les films de Neil Marshall, on ne peut décemment pas nier avoir chouchouté les débuts d’un réalisateur qu’on trouvait prometteur : Christopher Smith. Fort d’un premier long métrage, Creep, absolument prodigieux, nous faisons partis des rares 151 346 spectateurs français à avoir accouru en salle lors de la sortie de son deuxième film : Severance. Échec cuisant au box-office (il a rapporté un peu plus de 5 millions de dollars dans le monde pour un budget de 10 millions) en dépit d’un bon accueil critique et plusieurs prix remportés dans divers festivals, Severance tente de s’offrir une nouvelle jeunesse sous la houlette de Shadowz, et il ne pouvait en être autrement que de vous en parler au sein de nos colonnes.

Sept commerciaux britanniques se rendent dans les montagnes Matra de Hongrie pour un week-end organisé par leur entreprise, une firme d’équipement militaire, ayant pour but de renforcer leur esprit d’équipe. L’ambiance n’est pas au beau fixe. Leur bus s’arrête devant un arbre tombé en travers de la route et le chauffeur laisse le groupe terminer le chemin à pied. Le gîte réservé pour leur week-end est délabré et désert, mais Richard, le supérieur hiérarchique du groupe, les persuade de rester. Très vite, ils découvrent qu’ils sont devenus la proie de soldats d’élite. Dès lors, ils vont devoir se battre pour leur survie et l’expression répandue dans leur business « tuer ou être tué » va prendre tout son sens.

Christopher Smith est un réalisateur que nous admirions énormément pour ses trois premiers longs métrages que nous vous invitons à (re)voir absolument. Creep est une leçon de mise en scène, un film qui capte l’attention du spectateur pour le mettre en état de stress permanent, l’angoisse y atteint son paroxysme, c’est une vraie réussite. Son troisième film, Triangle, a commencé à diviser ses admirateurs. En ce qui nous concerne, nous le trouvons diablement bien dosé. Smith parvient à utiliser une histoire de boucle temporelle au cœur d’un slasher très efficace sans altérer les codes qu’il met en place afin de nous servir un twist à la hauteur de nos espérances. Après Triangle, Smith a été beaucoup moins distribué par chez nous. Il faut dire que les films qu’il a sorti durant les années 2010 étaient sacrément oubliables. Il y a eu la sortie de Banishing il y a trois ans dans nos bacs vidéos, mais nous ne nous pencherons guère d’avantage sur son cas (nous vous invitons à aller lire notre critique à son sujet). Revenons à ce qui nous intéresse, la meilleure période de son réalisateur. Severance répond à une demande de l’époque qui consistait à exhumer certains classiques des années 70. S’inspirant allégrement du Délivrance de John Boorman, Smith n’entend pas proposer qu’un simple hommage. Il a une idée bien précise en tête. Il choisit d’emplir son scénario d’un humour noir corrosif afin d’y amener une satire du monde de l’entreprise. Dans la veine de ses confrères Ricky Gervais et Stephen Merchant pour leur série The Office, Smith ne se montre vraiment pas tendre avec les commerciaux qu’il met en scène. Bien évidemment, il n’évite pas les poncifs pour mieux déconstruire les codes. Ainsi, nous avons droit à un supérieur hiérarchique colérique mais pas autoritaire pour un sou, le parfait lèche-botte qui acquiesce chacune de ses décisions ou encore les deux marginaux dont on se demande encore ce qui a pu les motiver à travailler dans une telle entreprise.

Les marginaux, c’est justement ce que préfère Smith. Outre Steve (Danny Dyer est en roue-libre comme jamais) qui est clairement le ressort comique du film, c’est bien le personnage de Maggie (superbe Laura Harris) qui motive notre réalisateur. Elle est plus que la simple employée qui ne veut pas faire de vague, elle représente le regard d’autrui, l’avis que se fait quiconque observe cette drôle d’équipe. Elle n’est jamais dans le jugement et son altruisme lui vaut d’être un personnage bien plus complexe et fort qu’il n’y paraît. Il ne pouvait en être autrement quand on voit comment Smith aimait offrir des rôles de femmes fortes dans ses trois premiers films…quel dommage qu’il ait perdu son « mojo » par la suite. Severance a tout pour plaire autant aux amateurs de comédies satiriques qu’aux férus de films gores. Le film prend le temps d’installer ses personnages. Il nous acclimate avec les personnalités de tous pour ainsi replacer tout le monde sur le même piédestal lorsque la décimation survient. Et en matière d’idées inventives pour les mises à mort, Christopher Smith sait particulièrement comment nous régaler. Non pas que les mises à mort soient spectaculaires dans leur inventivité, mais la mise en scène du réalisateur fait toute la différence. Les choix de cadre ou de mise en abîme (comme cette fameuse décapitation à la première personne) offrent une implication jouissive. On se surprend à s’amuser et à rire de l’absurdité des situations tant les personnages sont antipathiques et « méritent » leur triste sort. Ainsi, la délivrance de les voir être confrontés à leur propre bêtise, non sans un certain sens du slapstick, confère à Severance cet aspect jubilatoire qui lui sied si bien.

Comment expliquer un tel désastre au box-office quand le film possède autant d’atouts ? Probablement que le film n’est pas sorti à la bonne époque ? Les gens étaient-ils las d’un slapstick directement hérité des Monty Python et autres Rowan Atkinson ? On pourrait se poser mille questions que ça ne referait pas l’histoire. Seulement, on ne peut pas enlever à Christopher Smith un talent d’écriture et de mise en scène indéniables et nous soutiendrons à jamais ses trois premiers longs métrages que nous ne nous lasserons jamais de revoir. Severance n’est pas loin de la parfaite série B : son scénario est solide et a des choses à dire, ses scènes horrifiques sont efficaces et son casting s’en donne à cœur joie. Le film est la preuve que même quand toutes les étoiles semblent alignées pour offrir du qualitatif, seul le couperet du public compte. Et même si nous pensons qu’il s’est diablement trompé d’être passé à côté, nous sommes ravis qu’une petite plateforme comme Shadowz résiste encore et toujours à l’envahisseur afin de réhabiliter des œuvres qui le méritent.

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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.

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