Quand les vagues se retirent : Decision to Kill

On présente à nouveau en ces lignes – le temps d’un article aux allures de profession de foi – le Cinéma dantesque du philippin Lav Diaz, Oeuvre-monstre constituée d’un certain nombre de très longs métrages régulièrement hantés par les préoccupations politiques contemporaines au cinéaste ; après vous avoir préconisé le superbe Norte, la fin de l’Histoire voilà près de deux ans l’équipe rédactionnelle de Close-Up Magazine réitère son éloge à l’encontre d’un réalisateur débarrassé de tout compromis artistique et idéologique, réalisateur revenant sur le devant de la scène en ce mercredi 16 août 2023 avec son nouveau long métrage élégamment et poétiquement intitulé Quand les vagues se retirent, scène se limitant néanmoins à une petite poignée de salles obscures seulement sur le territoire hexagonal ; évènement remarquable et remarqué du Festival de Locarno de cet été Quand les vagues se retirent est de ces oeuvres confidentielles méritant davantage de popularité, qui bénéficiera certainement d’un réel (et du reste entièrement justifié) succès d’estime auprès des cinéphiles déjà habitués au Cinéma de Lav Diaz mais désespérément mal distribué en fin de compte, le condamnant presque inéluctablement à ne satisfaire que les niches de passionnés pointus ou simplement avertis.

Telle pourrait être la volonté de Close-Up Magazine et son équipe aux goûts délibérément épars et diversifiés d’un rédacteur à l’autre : familiariser ses lecteurs à des cinémas à priori élitistes et littéralement conçus hors des sentiers battus, qu’il s’agisse d’œuvres arides et/ou lourdement théoriques ou de longues promenades contemplatives telles que celle proposée par Quand les vagues se retirent, bloc filmique de trois heures empruntant les voies du polar trouble aux résonances fantastiques. Succédant au somptueux Halte dans la filmographie du maître philippin (épopée d’anticipation baignant dans une nuit permanente et noire de jais, éventuelle évocation post-apocalyptique du régime dictatorial instauré par l’ancien président Rodrigo Duterte dès l’année 2016, ndlr) Quand les vagues se retirent perpétue les inquiétudes politiques et sociétales propres au Cinéma de Lav Diaz : récit symbolique à peine déguisé de la « guerre de la drogue » entreprise par Duterte durant son sixtennat ledit métrage nous présente deux figures de l’intérieur répressif de la république des Philippines, à savoir un brigadier barbare et sanguinaire répondant au nom de Primo Macabantay et le lieutenant Hermes Papauran, policier ambigu et tourmenté ravagé par une indécrottable psoriasis (une maladie cutanée générée par un stress intense et permanent, ndlr).

En montrant la trajectoire de ces deux personnages solidement complémentaires (l’inconscience et la violence illuminée du premier côtoie la colère et l’inconfort moral du second) au gré d’un montage parallèle les séparant puis d’une ou deux séquences les rapprochant pour une confrontation en tout point fratricide Lav Diaz rend compte d’un pays gangréné de toutes parts, moins par une simple corruption policière que par une dégénérescence éthique devenue totale, et totalitaire. Sur ces entrefaites il poursuit son travail de macération visuelle et auditive d’un long plan-séquence au suivant, rendant considérablement tanniques et hypnotiques ses images jamais loin de la phosphorescence quasiment sidérante : on dirait, pour ainsi dire, de la magie projetée 24 fois par seconde sur la toile de nos nuits blanches, formidable poème voilé de textures granuleuses doublé d’une politique-fiction passionnante à contempler…

Film lourd mais limpide dans le même temps savamment dilaté, s’ouvrant sur le cours d’une école de police aux luttes à la fois internes et externes Quand les vagues se retirent est une Oeuvre lucide et constructive réfutant toute forme de racolage, à l’image de ce reporter-photographe étrangement détaché de ses travaux à visée sensationnaliste que le jeune Hermes rencontre dans la première partie du métrage. Une Oeuvre si rare et si précieuse que nous ne pouvions que vous inviter à la découvrir dès à présent dans une salle obscure, morceau de cinéma dense et plastiquement splendide et rémanent. Unique.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*