
Ce qui est appréciable avec Roger Corman comme producteur, c’est qu’il a permis à bon nombre de réalisateurs de faire des films que de plus grands studios auraient refusé. Sa devise était : « tourner vite et pas cher », la plupart de ses productions étaient réalisées en deux semaines et avec un budget ne dépassant pas les cinq cent mille dollars. Ce désir de produire, plus par amour du cinéma que par désir d’être rentable, même si l’argent gagné permet de faire d’autres films, a vu naître des films qui sont devenus des classiques incontournables du cinéma de genre des années 60, La petite boutique des horreurs et La chute de la maison Usher, pour n’en citer que deux, et parmi les quatre cent films qu’il a produit, il y en a d’autres dont l’intérêt est beaucoup plus discutable.

C’est le cas de Cockfighter, film réalisé en 1974 par Monte Hellman et adapté du livre éponyme de Charles Willeford publié en 1962. Dans cette histoire, le personnage principal, Frank Mansfield, est un entraineur de coqs de combat ainsi qu’un parieur fou. Par-là s’entend un homme capable de parier père et mère pour une dernière chance, un joueur capable de tout perdre pour remporter un pari. A cette passion destructrice s’ajoute un défaut de caractère : Frank a une grande gueule. Un soir, après avoir vanté les talents de son coq et les siens, il perd un pari qui le contraint au silence jusqu’à sa prochaine victoire. Commence alors une pénible quête dans les états poisseux du Sud-est des États-Unis pour remporter un tournoi et obtenir la médaille du meilleur entraineur de coq de combat, mettant fin à son mutisme.
Sur le papier, l’histoire semble intéressante, sinon pourquoi le livre de Charles Willeford aurait suscité l’envie de le porter à l’écran ? C’est ce qu’il y a de fabuleux avec la littérature et le cinéma, c’est qu’ils peuvent nous faire découvrir des choses qui nous étaient inconnues ou qui n’étaient que des rumeurs. C’est le cas des combats de coqs, ces oiseaux fiers et beaux qui sont instinctivement programmés pour se sauter au bec lorsqu’ils se rencontrent, et que les hommes emploient pour leur propre satisfaction. Hélas, l’intérêt du film s’arrête là et passé le premier tiers, plus rien ne nous surprend. Il faut supposer que le livre s’intéressait aux pensées de son personnage mutique en exprimant la lutte qu’il menait contre ses démons. La littérature peut plus facilement exprimer ce qui se cache à l’œil et c’est aussi ce qui peut rendre certaines adaptations difficiles, même lorsque l’auteur du livre est à l’origine du scénario.

Warren Oates, qui incarne le personnage de Frank Mansfield, tient parfaitement son rôle d’homme silencieux. Ses mimiques, ses attitudes et ses regards expressifs arrivent à transmettre des émotions, au moins nous le comprenons, mais malgré ses efforts nous n’effleurons que la surface de son personnage et alors il devient facile de se désintéresser de son parcours. A cela s’ajoute une ribambelle de personnages mous et inexpressifs qui ternissent la performance de Warren Oates, seul véritable éclat du film. En résulte une narration molle qui ne trouve jamais son rythme et qui peine à nous captiver.
Parlons volaille puisque nous le pouvons, les séquences de combat sont d’une crudité et d’une violence! Les coqs se piquent, se déchiquètent, cherchent à casser le cou de leur adversaire ou le tuer d’épuisement, bien aidé par des techniques sournoises créées par l’homme. Les images, mêlant prises de vues réelles et effets spéciaux, sont sidérantes. La Nature, même en basse-cour, est d’une violence insoupçonnée ! Ces séquences, aux allures presque documentaires, sont à la fois fascinantes et dérangeantes. Passée la stupeur des premières minutes et après quelques cadrages originaux pour rendre les combats palpitants, l’attention retombe. Les images se répètent, les coqs crient, les plumes volent et le temps passe lentement.

Dans cette longue ballade, un rayon de soleil parfois apparait et la caméra de Nestor Almendros réussit à le saisir. Chef opérateur de Terrence Malik pour Les moissons du ciel, il réussit à restituer la lumière et l’atmosphère étouffante et poisseuse de cette région si particulière des États-Unis, qui a même donné naissance à un style littéraire et visuel, le « Southern Gothic ».
Cockfighter est un film étrange dans la mesure où, même en voulant le détester, il s’y trouve quelque chose qui empêche de le ranger au rayon des films oubliables. Sans doute est-ce lié au flair de Roger Corman et à sa faculté de réunir des acteurs et techniciens talentueux autour d’un projet, aussi quelconque soit-il, et le réaliser.
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