
Plus les années avancent et plus nous perdons les grands cinéastes ayant contribué à notre culture cinématographique. Décédé lundi dernier au bel âge de 87 ans, William Friedkin était un immense réalisateur qui va cruellement nous manquer. Non content d’avoir réalisé des classiques de l’Histoire du Cinéma, Friedkin était un homme généreux et cultivé dès lors qu’il s’agissait de parler de son travail, revenant avec beaucoup de détails sur les tournages à travers livres (sa propre autobiographie ou encore l’excellent Sur le toit du monde de Samuel Blumenfeld) ou documentaires (l’indispensable L’Exorciste selon William Friedkin par Alexandre O. Philippe). Prompt à reconnaître ses erreurs et ses accès de mégalomanie, grand admirateur de Citizen Kane et de Fritz Lang (avec qui il partageait une fascination pour la dualité de l’être humain ainsi qu’un goût pour l’ambiguïté), homme cultivé au caractère bien trempé (il faut le voir envoyer bouler Nicolas Winding Refn dans les bonus de l’édition récente de Sorcerer), William Friedkin était un cinéaste comme on n’en fait plus, ayant débuté dans les années 60 mais ayant véritablement explosé dans les années 70 avec French Connection et L’Exorciste.
En cherchant dans ma mémoire de cinéphile, il m’est impossible de me souvenir lequel de ces deux classiques j’ai découvert en premier. Peut-être French Connection que mon grand-père avait en édition double DVD avec la suite de Frankenheimer et qui m’a laissé en tête quelques scènes (la scène de la course-poursuite forcément) sans pour autant me marquer totalement, sans doute étais-je trop jeune pour réaliser ensuite l’influence énorme du film sur le reste du cinéma d’action contemporain. L’Exorciste a, quant à lui, laissé un souvenir vivace et traumatique, surtout dans son édition spéciale avec ses images subliminales. Un film ensuite revu inlassablement, de préférence en salles pour une expérience arrachant toujours des frissons et des sueurs froides au moment d’aller se coucher. Et puis ponctuellement ce fut la découverte de Police Fédérale Los Angeles (qui reste mon préféré à ce jour et l’un des meilleurs films américains des années 80), Sorcerer (détesté dans un premier temps avant d’y revenir régulièrement, fasciné), Cruising (toujours aussi ambigu) ou encore le très méchant et très noir Killer Joe au festival de Deauville en 2012 qui prouvait qu’à plus de 70 ans, Friedkin en avait encore sous le capot.
Inégale, sa filmographie est dominée par de très grands titres, éclipsant d’autres films plus modestes mais néanmoins intéressants. Si l’on peut volontiers se passer du Coup du siècle, sa comédie avec Chevy Chase ou encore de La Nurse, Les garçons de la bande, Têtes vides cherchent coffres pleins, Le sang du châtiment, Blue Chips (un film de basket avec un Nick Nolte investi) et même Jade, son thriller érotique loupé contiennent suffisamment de choses, d’idées de cinéma et de réflexions sur la nature humaine pour mériter un visionnage. Durant les années 2000, Friedkin sera moins prolifique, signant des thrillers efficaces (L’enfer du devoir, Traqué) mais retrouvant surtout la forme en adaptant deux fois Tracy Letts avec Bug et Killer Joe qui nous fera voir à jamais Matthew McConaughey et les pilons de poulet d’une autre façon…
Cette année, signant son retour à la fiction avec The Caine Mutiny Court-Martial (présenté à Venise le mois prochain) marquera donc également celle de sa disparition après une carrière aussi riche que passionnante. Coïncidence ou non, il s’est éteint avant la sortie du requel de L’Exorciste chapeauté par David Gordon Green dont il avait déjà déclaré ne pas vouloir le voir, ajoutant malicieusement qu’il comptait bien revenir hanter Gordon Green depuis le monde des esprits. Si cela pouvait permettre un bon film, nous sommes preneurs ! En tout cas, merci pour les frissons et les cauchemars monsieur Friedkin, ils continueront à nous accompagner longtemps…
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