
Nous nous confions régulièrement à vous lorsqu’il s’agit d’évoquer notre propre parcours cinéphile. Nos critiques sont toujours constituées d’éléments personnels qui ont fait la personne que nous sommes aujourd’hui. Une critique, même si nous la voulons la plus objective possible, sera toujours subjective, quoi qu’on en dise. Par essence, il s’agit de l’avis de l’auteur de ladite chronique envers une œuvre, il s’agit de la manière dont il a reçu les informations et de comment il les a perçus. De fait, notre séance Shadowz du jour nous ramène vers une époque particulière de notre vie. Nous sommes au lycée et nous nous découvrons une passion chevronnée pour le cinéma sud-coréen et japonais. Déjà adepte des grands noms de la scène hong-kongaise (de Jackie Chan à John Woo en passant par Johnnie To ou encore Tsui Hark), notre soif de cinéma asiatique était alors insatiable. Vient le moment où nous découvrons ce qui sera l’un de nos plus gros chocs cinématographiques de ce parcours lycéen : Old Boy de Park Chan-Wook. On ne va pas refaire la chronique, vous avez toutes et tous probablement déjà vu le film, et si tel n’est pas le cas, foncez dessus sans vous renseigner à son égard : tsunami traumatique garanti ! En parallèle, nous nous passionnons pour un réalisateur nippon, Takashi Miike, que nous trouvons aussi fascinant que fou. C’est à cette époque que nous enchaînons certaines de ses œuvres majeures (parmi celles disponibles par chez nous) comme Ichi The Killer, Audition, Dead or Alive ou encore Visitor Q. Pourquoi autant de name dropping et quel rapport avec le film du jour vous nous direz ? Tout simplement parce qu’en 2004 sort le film 3…Extrêmes et que ce film est un regroupement de trois petites histoires issues d’une collaboration entre trois réalisateurs asiatiques. Trois visions d’une horreur dite « extrême » venues de Hong-Kong, de la Corée du Sud et du Japon. Tout un programme sur lequel nous avions accouru à l’époque et que nous avons eu le plaisir de redécouvrir cette semaine après son entrée au sein du catalogue Shadowz.

Nouvelle Cuisine de Fruit Chan
Désireuse de reconquérir son infidèle mari, Mme Lee tente activement de retrouver sa jeunesse passée. Elle achète à cette fin les services d’une mystérieuse chinoise : Tante Mei. Cette dernière prétend pouvoir faire renaître une jeunesse oubliée, pour ensuite la faire perdurer. Elle propose alors à Mme Lee de goûter sa recette secrète : des raviolis dont elle achète les ingrédients auprès de services pratiquant l’avortement.
Si, de votre point de vue, l’avortement constitue un crime et que cela vous rebute à l’idée de voir des fœtus se faire hacher menu…passez clairement votre chemin. Fruit Chan flirte délicieusement avec les fameux films de la Catégorie III qui ont fait la renommée du cinéma bis hong-kongais. Mais au-delà d’imprimer les rétines d’images fortes, Fruit Chan fait l’amer constat d’une société qui n’évolue guère. Pessimiste dans le discours, il dépeint une haute bourgeoisie prête à tous les crimes sordides pour se donner un semblant d’existence tandis que les classes moyennes et/ou pauvres continuent de mourir dans un misérabilisme exécrable. Au-delà des effets chocs qui constituent son segment (le travail minutieux sur le son est à vous couper l’appétit, la vision des fœtus morts qu’on découpe, la scène d’avortement clandestine…), Nouvelle Cuisine met en exergue une cruauté plus pernicieuse et vieille comme le monde : la destruction des Hommes par eux-mêmes. M. Lee trompe sa femme avec des filles bien plus jeunes parce qu’il n’assume pas que cette dernière vieillisse. Il achète son silence en permanence parce qu’il n’a pas le courage de la quitter. Toujours amoureuse, Mme Lee deviendra la caricature des souvenirs que son mari croit avoir sur elle : ceux d’une belle femme, une enveloppe charnelle parfaite. Quid de la valeur humaine, des devoirs accomplis, des projets aboutis en commun ? Rien ! Fruit Chan critique une superficialité de la bourgeoisie à en donner la nausée. Clairement une histoire qui prouve qu’elle a de la suite dans les idées et qui donnera d’ailleurs naissance à un long-métrage éponyme sorti la même année et disponible également sur Shadowz…si toutefois vous avez l’estomac bien accroché.

Coupez ! de Park Chan-Wook
Un cinéaste réputé et son épouse se retrouvent séquestrés par un maniaque. Celui-ci se propose de couper un doigt de la main de la jeune femme toutes les cinq minutes si le taciturne réalisateur ne se plie pas à toutes ses exigences.
Ce segment est à replacer dans le contexte de la filmographie de son cinéaste. Alors au cœur de sa trilogie sur la vengeance (il avait sorti Old Boy l’année d’avant), il n’est pas étonnant de le retrouver à mettre en scène une histoire de vengeance bien tordue. Car, oui, chez Park Chan-Wook personne n’est ni tout blanc ni tout noir et le réalisateur aime triturer cette nuance entre le bien et le mal qui cohabite en chacun de ses personnages. Ce qui saute aux yeux, c’est la maestria de sa réalisation. Comme pour se faire témoin omniscient de son huis-clos, la caméra virevolte dans tous les sens et explore chaque recoin de la pièce afin de témoigner des potentielles issues à son piège maléfique. Autre fait qui ne manque pas de panache, outre la réalisation virtuose : les dialogues. Ces derniers sont ciselés à la virgule prête, on n’en perd pas une miette. Park Chan-Wook joue sur la tension qui empoigne les protagonistes et offre à sa victime des tunnels de dialogues fascinants afin que cette dernière puisse trouver un moyen de stopper sa course contre la montre. Tout comme chez Fruit Chan, l’adultère et la maltraitance seront des partis pris assumés pour nourrir l’aspect horrifique du segment, mais ce qui intéresse Park Chan-Wook est surtout de brosser une critique acerbe sur la profession de réalisateur. Comme une auto-critique virulente, le cinéaste imagine la rançon de la gloire comme une succube destructrice qui annihile tout ce qu’il y a de bon chez un homme. L’argent, la gloire et la reconnaissance sont des pourfendeurs à ses yeux et font oublier tout ce qui anime de bons réalisateurs à leur début : la passion et l’humilité. Ainsi, il ne s’agit plus de savoir qui va survivre ou non à cette séance de torture-porn tout droit sorti d’un Saw, mais de savoir si le cinéaste saura reconnaître qu’il n’est plus cet homme bon qu’il pensait avoir toujours été. Un segment bien ficelé, à la tension permanente et qui confirmait, à sa sortie, que Park Chan-Wook était une valeur sûre du cinéma sud-coréen moderne.

La Boîte de Takashi Miike
Kyoko se souvient de sa sœur, Shoko. Morte il y a longtemps, la petite contorsionniste lui réapparaît pourtant, parfois, avec un visage inquiétant. Se sentant directement responsable de la mort de sa sœur, la jeune Kyoko multiplie les rêves et les songes étranges : elle y est tour à tour asphyxiée, enterrée vivante et aimée.
Cas d’école ce dernier segment. Pour quiconque connaît les habitudes cinématographiques de Takashi Miike, le retrouver derrière une histoire de fantôme a de quoi séduire. Seulement, le cinéaste semble tiraillé entre l’envie de proposer une histoire typique de fantôme japonais et une envie de moderniser le concept avec ses propres codes. Le résultat est brinquebalant et nous perd très rapidement. Probablement trop élitiste pour parler aux occidentaux, La Boîte ne convainc guère en dépit d’une actrice sublime qui se donne corps et âme dans le projet et d’une mise en scène léchée. Possible que cette histoire ne colle pas non plus au rythme effréné que les deux autres segments ont mis en place. Les réalisateurs ont eu quartier libre, mais nous aurions préféré retrouver un Miike qui sait parfaitement où il va. Le fait qu’il offre un segment plus posé en termes de rythme n’est pas une mauvaise chose (Audition est un film très lancinant mais qui sait parfaitement quoi raconter), c’est surtout que son histoire ne sait pas trop où elle veut aller qui pose problème. On ne peut pas blâmer Miike qui est un réalisateur plus que prolifique (avec une moyenne de 3-4 films par an, il faut pouvoir tenir la cadence), c’est un vrai boulimique de la réalisation. Seulement, on ne peut pas frôler l’excellence avec un calendrier aussi surchargé et son segment en est la parfaite preuve. La Boîte pourra plaire aux amateurs de songes fantastiques typiquement japonais…mais il est clairement bien en-dessous du niveau des deux films précédents.

Ainsi 3…Extrêmes est un film qui tient presque toutes ses promesses. Il offre certaines images chocs, aborde des sujets douloureux voire tendancieux, mais il reste cohérant dans l’idée d’apporter une chronique vorace en sous-texte. Le cinéma est délibérément politique, et encore plus le film de genre qui exploite souvent les tréfonds de l’âme humaine afin de nous ramener à notre propre condition. Vous ressortirez probablement déboussolés de 3…Extrêmes, mais non sans la furieuse envie de creuser encore plus la filmographie de trois réalisateurs qui ont, à leur actif, de sacrés uppercuts à vous délivrer.
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Article réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la plateforme Shadowz.
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