
Du côté cour demeure Quentin : une bonne dizaine de longs métrages tous plus absurdes et non-sensiques les uns que les autres, allant des prétentiards et très (trop) conceptuels Nonfilm et Rubber aux plus aboutis Wrong et Réalité en passant par les plus récents programmes que sont les potaches Mandibules et Fumer fait tousser ou encore l’ubuesque Incroyable mais vrai sorti l’année dernière ; autant de films réalisés sous le signe de la bonne idée que Dupieux as know as Mr. Oizo semble parfois perpétuer jusqu’à épuisement, in situ d’un récit jalonné de personnages hénaurmes et typiquement improbables ; des récits semblant involuer sur eux-mêmes, à l’image de la narration tortueuse du brillant Réalité ou encore de la mise en abyme facétieuse du rêche et peu sympathique Rubber, présentant des personnages en forme de figures cocasses à l’humour souvent collégien, de plus en plus populaire au fil du temps et des métrages tournés par ledit Quentin. Personnages aussi divers et variés que le réalisateur obsédé par son accoutrement campé par Jean Dujardin dans l’excellent et angoissant Le Daim, le binôme d’idiots un rien dépareillé s’évertuant à dresser une mouche géante dans le saugrenu Mandibules ou le flic procédurier du génial Au Poste ! interprété par un Benoît Poelvoorde au meilleur de sa forme…

Et côté gradin Raphaël, Quenard de son patronyme : authentique comédien un peu survenu de nulle part, qui détient à son actif quelques apparitions cinématographiques aussi brèves que mémorables dans des films aussi différents que le très bon Fragile, l’anxiogène Novembre ou encore le remarquable Je verrai toujours vos visages découvert cette année. Également révélé il y a quelques semaines dans le cultissime Chien de la Casse (premier long métrage très prometteur de Jean-Baptiste Durand narrant l’amitié fusionnelle entre deux jeunes désœuvrés de la région occitane, ndlr) Raphaël Quenard est de ces jeunes acteurs à l’allure étrange, à la fois désinvolte et reconnaissable entre mille, sorte de grand dadais au timbre de voix immédiatement identifiable mais inimitable dans le même mouvement de nonchalance comique, vrai personnage de théâtre et de Septième Art à lui seul s’exprimant dans une verve mêlée de vocabulaire pointu et de disgrâce syntaxique des plus désopilantes…

Onzième long métrage réalisé par le premier et porté en très large partie par la présence (et la prestance) du second Yannick est le film de leur rencontre, comédie de courte durée à l’écriture savoureuse doublée d’un argument scénaristique somme toute assez génial : en un peu moins de 70 minutes Quentin propose une farce portant en abyme le rapport entretenu par les spectateurs à l’encontre d’une pièce de théâtre au demeurant assez médiocre, éventuel vaudeville de pacotille interprété par trois comédiens de troisième zone eux-mêmes interprétés par les acteurs très bankables que sont Pio Marmaï, Blanche Gardin et Sébastien Chassagne ; commençant sans médiations par la pièce de boulevard en elle-même Yannick est un film s’inscrivant sans surprise mais avec pertinence dans l’Oeuvre fourmillante d’inventivité de Quentin Dupieux, dynamitant d’emblée tous les rouages usés jusqu’à la corde du théâtre dit « populaire » et prétendument « fédérateur » ; mari trompé, épouse adultère et amant calfeutré dans les water closet : autant de gimmicks astucieusement tournés en ridicule par le cinéaste en un peu moins d’une dizaine de minutes…
C’est alors qu’un spectateur intervient au beau coeur de la représentation, interrompant littéralement à brûle-pourpoint le spectacle pour mieux nous faire comprendre son insatisfaction générée par l’ennui intrinsèque au programme sus-cité. Il s’appelle Yannick, est gardien de parking et semble s’être investi corps et âme pour assister à ladite pièce, allant jusqu’à poser une journée de congé rien que pour cette entreprise aux allures de calvaire, entreprise à laquelle l’ajout de 45 minutes de transports en commun et 15 minutes de marche à pied n’arrange rien à l’affaire ; le récit dudit Dupieux mettra un point d’honneur par la suite (et admirablement, de fait) à retranscrire le déroulement d’une soirée au coeur de laquelle ce modeste spectateur finira par vampiriser toute notre attention, au détriment des comédiens campés entre autres choses par un Pio Marmaï filmé comme « à bout de nerfs » et une Blanche Gardin un tantinet timorée.

Nous ne dévoilerons pas davantage d’informations en ce qui concerne le sommet de drôlerie que constitue l’inénarrable Yannick, préférant vous inviter à vous rendre sans délibérer plus que de raison dans une salle obscure afin de vous délecter de la dernière proposition d’un réalisateur décidément criblé d’idées de cinéma et d’humour savamment fabriqué… Et si le rythme et l’écriture dudit métrage figurent parmi les grandes réussites de l’auteur de Au Poste ! et de Mandibules le véritable phénomène Quenard participe énormément au capital sympathie d’un film au coeur duquel le jeune comédien crève littéralement l’écran : un futur Meilleur espoir masculin en puissance pour la prochaine cérémonie des Césars, rien de moins, même si l’on espère voir cette authentique révélation annuelle varier les registres à l’avenir, de peur qu’il ne s’enferme dans un emploi dramatique singulier, certes, mais aussi forcément limité…
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