
La torpeur et la moiteur d’un été sans saveur accompagnent les déambulations de jeunes adultes, qui trainent pour passer le temps, au rythme de la musique techno et des criquets. Dans la campagne espagnole, on se prépare à une énième inondation, à des destructions de grande ampleur. C’est avant la tempête que Ana et José tombent amoureux l’un de l’autre. Tandis qu’ils créent leurs rêves de fuite et d’avenir meilleur, monte le danger du fleuve qui, selon les dires et croyances des abuelas, avale en son sein à chaque crue la plus belle femme du village, si celle-ci s’éprend d’un homme. Ana sent le danger la guetter, tel une vague qui déferle en elle, jusqu’à la posséder.
Le retour de la chaleur et pour certains de l’ennui résultant de l’impossibilité de finir la journée les doigts de pieds en éventail face à la mer nous pousse facilement à pencher vers films et séries, qui parfois sauvent nos journées. En bref, la période parfaite pour regarder un film espagnol sur des jeunes adultes qui passent le temps pendant leur grandes vacances dans leur village.

El Agua (disponible en DVD chez Blaq Out depuis le 18 juillet dernier) est ce que l’on peut voir comme un film hybride : Elena Lopez Riera en fait une œuvre entre le drame, le documentaire, le film romantique, tout ça chapeauté par croyances et traditions, très empruntes dans la culture espagnole, et surtout dans les campagnes plus ou moins reculées. Tandis que la relation entre Ana et José prend forme à l’écran, les abuelas et femmes d’âges mûr passent devant la caméra et témoignent ou bien racontent la fameuse légende qui lie les femmes à l’eau. Ce mélange des genres peut être un peu, voire assez déroutant. Pourtant, la force du premier film de Elena Lopez Riera réside dans cette capacité à nous avoir offert un drame naturaliste, un film fantastique doté d’un réalisme mystique. La potentielle magie ou les croyances ne sont dangereuses que parce qu’elles n’apparaissent pas à l’écran. Les dires des femmes répétés de bouches en bouches et de générations en générations s’implantent dans les esprits de tous, comme des mauvaises graines, qui ont bien germé. La crue est un danger, tout comme la relation entre les deux jeunes gens, selon les dires de leurs parents. La mère d’Ana craint une potentielle rupture pour sa fille, tandis que le père de José veut que son fils soit concentré au travail, celui de ramasser les récoltes saisonnières. Cerise sur le gâteau, Ana, sa mère et sa grand-mère sont, selon l’entièreté du village, maudites. Peut-être est-ce à cause de leur beauté. Ce sont évidemment les femmes plus âgées qui colportent ces croyances, et pourtant, Ana commence à y croire. Face au désenchantement de son monde, face au vide qui règne dans sa vie, elle se met à croire aux légendes morbides, comme des excuses pour fuir son village déprimant.
El Agua n’est donc pas un simple film sur une amourette d’été ou encore sur des croyances stupides sans queues ni têtes. C’est une métaphore de la liberté des femmes, associées directement aux torrents d’eau. Ana et ses amies sont jeunes et libres : elles fréquentent, fument et discutent des heures durant sous le soleil ; écrasant, illuminant le fleuve à l’odeur de souffre, comme les paysages industriels. La mère de la jeune femme dirige son bar sans l’aide d’un homme, tandis que la grand-mère paraît plus fragile, mais dévoile à sa petite-fille le sentiment de liberté qu’elle a ressenti suite à la mort de son mari. Les femmes se soutiennent partagent leurs souvenirs de générations en générations. Leurs relations sont tout simplement touchantes et belles malgré l’opprobre jetée sur la famille. La simplicité des choix filmiques suffit pour se concentrer sur les discussions entre les personnages, et surtout entre Ana et sa grand-mère dans la salle de bain. En quelques minutes défilent des années de vies de la grand-mère, victime et femme vibrante.

Reste tout de même un questionnement qui nous taraude l’esprit : pourquoi tant opposer les femmes et les hommes ? Bien qu’Ana, sa mère et sa grand-mère vivent joyeusement ensemble, José ne vit qu’avec son père et semble socialiser avec des hommes tous plus sexistes les uns que les autres ; dans ce film, les deux sexes n’apparaissent jamais ensemble, sauf lorsque vient le temps des reproches et des altercations. Est-ce la vision de la réalisatrice qui serait quelque peu simpliste, ou tout simplement la manière dont la vie se déroule dans certaines campagnes espagnoles, ce qui témoigne d’un sacré sexisme malgré l’évolution des mentalités ?
Ce réalisme déroutant couplé à la légende fantastique nous emmène durant une heure quarante dans un univers particulier, tout en nous faisant part d’une autre culture, d’une autre vision. Pourtant, si on ne s’ennuie pas grâces aux compositions de plans poétiques et à la menace pesante de l’eau, on est rapidement rattrapés par la déception qui émane de la fin. Elle est belle, mais incompréhensible. D’accord, Ana n’est pas morte, mais que doit-on comprendre ? La croyance n’est que chimère ? Ana est plus forte que toutes les autres femmes? Bref, le caractère résolument envoutant du film sauve l’aspect bien trop cryptique de la fin, bien qu’elle soit poétique.

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