F for Fake : L’art du mensonge

Passionnante et inégale, la carrière de cinéaste d’Orson Welles s’est toujours mesurée autant sur ses films achevés qu’inachevés, chacune de ses réalisations se mesurant elles-mêmes à la stature de génie qu’il s’est bâtie dès Citizen Kane et qui a toujours pesé sur ses épaules. Volontiers charmeur, mystificateur et prestidigitateur, Welles nous invite, avec le singulier F for Fake (disponible en blu-ray chez Potemkine depuis mars dernier), dans un étonnant voyage interrogeant les notions d’art, de vérité et de mensonges…

Prenant une malicieuse forme documentaire, F for Fake voit Orson Welles se mettre lui-même en scène et s’adresser à la caméra avant de nous faire découvrir deux personnages qui serviront à illustrer son propos. D’un côté le faussaire Elmyr de Hory, peintre de génie capable de faire un faux Modigliani en une heure et dont les faux tableaux ont inondé le marché d’art au fil du temps. De l’autre, Clifford Irving, biographe d’Elmyr essentiellement connu pour avoir mystifié tout le monde en faisant croire qu’il avait l’autorisation d’Howard Hughes pour écrire sa biographie. Welles ne peut que se reconnaître dans ces portraits de faussaires, reconnaissant volontiers que l’art, comme le disait Aragon sert à ‘’mentir-vrai’’, c’est-à-dire tricher avec le réel pour mieux révéler sa nature profonde.

F for Fake pose dès lors de passionnantes questions autour du mensonge et de l’escroquerie. Un faussaire peut-il être considéré comme un artiste ? (‘’La distinction importante à faire, lorsqu’on parle de l’authenticité d’une peinture, n’est pas de savoir si elle est vraie ou fausse. C’est de savoir si c’est un bon ou un mauvais faux.’’ dira Clifford Irving.) Si les faux tableaux inondent le marché de l’art, doit-on blâmer les faussaires ou les experts incapables de reconnaître un faux d’un vrai ? Peut-on en vouloir à Elmyr de Hory d’avoir, alors que ses propres peintures ne se vendaient pas, entrepris de devenir faussaire ? (Le parallèle avec Welles est ici intéressant, le cinéaste ayant souvent enchaîné les rôles à l’écran afin d’essayer de financer ses propres films, dont Hollywood ne voulait pas.)

Digressant volontiers, se perdant presque dans les nombreux sujets qu’il aborde, prompt à nous mystifier comme à nous lancer des pistes inachevées, F for Fake tient là ses limites, incapable de s’en tenir à une construction claire et logique. C’est pourtant également de là, de cet aspect volontairement décousu, qu’il tient son charme et qu’il parvient à fasciner, s’attardant sur cette crédulité, il est vrai étonnante, que le spectateur peut avoir face à une œuvre d’art, capable de lui faire ressentir de vraies émotions quand bien même tout y est artificiel. Il y a donc bel et bien de la vérité dans le faux et il fallait bien un grand faussaire et magicien comme Welles pour nous le dire avec autant de panache.

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