
Vous est-il arrivé de vous sentir seul, isolé malgré la présence de votre entourage ? Ce sentiment si particulier est certainement un des fléaux de notre nature humaine. Nous sommes accompagnés, et seuls, seuls et accompagnés à la fois. Mais accrochez-vous bien, ce temps est fini, révolu ! Plongez dans l’univers futuriste du Grand Londres, époque future dans laquelle nous ne serons plus jamais seuls, nous ne ressentirons plus jamais de tristesse, de haine ! Attrayant, n’est-ce pas ? Alors, bienvenue dans Brave New World.

Série dystopique adaptée du roman Le Meilleur des mondes de Aldous Huxley, Brave New world est sortie en 2020 aux Etats-Unis, et annulée après une première saison. Elle est maintenant disponible en France en coffret Blu-Ray et DVD. Mais alors, pourquoi vous dire que Brave New World est une dystopie et non une utopie si ce monde futuriste semble si parfait ? C’est une des questions philosophiques les plus intéressantes, et les plus retorses. Voyez-vous, La Grande Londres ne connait plus de pauvreté ni de guerre. Les humains consomment très régulièrement du soma, drogue qui supprime toutes émotions négatives. Par extension, la monogamie est interdite pour supprimer jalousie, appartenance et procréation. Toutes les fêtes sont des orgies, et les humains sont créés dans un laboratoire. Ils sont « conditionnés » dès leur tendre enfance : la société fonctionne en castes, et le haut du panier se voit tout octroyé grâce au travail des autres, conditionnés à tout leur devoir. C’est leur conditionnement, leur nature. Dans ce monde, Bernard Marx et Lénina Crowne vont se rendre dans la « réserve aux sauvages », vestige de notre époque dans lequel les humains vivent tout simplement comme nous. Ils sont devenus des spectacles, des « sauvages ».
Attention spoiler : si vous êtes des mordus du roman d’Aldous Huxley, ne vous attendez pas à une adaptation fidèle, mais plutôt à une adaptation fidèle à notre époque, à nos problématiques, choix fait par le scénariste Grant Morrison (Le Meilleur des mondes est paru en 1932). Si à première vue la Grande Londres s’avère être le lieu des libertés et de tous les fantasmes, c’est une dictature, un totalitarisme déguisé, quel qu’il soit. Ici, on impose le partage permanent des corps et des pensées. C’est une dystopie, mais une dystopie sexy et pop par son esthétisme novateur. Et justement, visuellement, la série opère un total sans faute. C’est tout simplement un bonheur pour les yeux – qui change des dystopies aux gris de tous types, liés à ce qu’on imagine du communisme moderne. On a envie de découvrir la Grande Londres, de participer aux soirées colorées et chorégraphiées par la musique envoutante. Brave New World nous offre un monde à la fois attractif et répulsif. Plus de contraintes, pensez-vous ? Les quelques premières minutes du premier épisode répondent à cette question. Nous découvrons en même temps la protagoniste féminine (Lénina Crowne) ainsi que la Grande Londres lors de son trajet vers le bureau du régulateur, Bernard Marx. Si elle est heureuse, Bernard la rappelle à l’ordre : la monogamie est interdite, et la lentille qu’il a dans l’œil lui permet de voir n’importe qui coucher avec n’importe qui, n’importe quand. C’est un ordre ; Lénina doit coucher avec d’autres hommes pour le respect de l’équilibre du corps social. L’intimité est une tare, une interdiction impérieuse.

Le format de la série permet d’intégrer efficacement des questionnements existentiels et philosophiques – sans étouffer les spectateurs de grandes tirades difficilement compréhensibles. Durant ces neuf épisodes, on se demande qui est le plus conditionné. Si John a grandi normalement, il est conditionné à être un être humain, et une bête de foire auprès auprès des Alphas et Bêtas, tandis que ceux qui sont conditionnés, sont conditionnés à l’être et à ne rien remettre en question. Brave New World est certainement une satire de tous les plus grands extrêmes : celui qui revendique la liberté pour tous devient le meneur d’une révolution sanglante, tandis que ceux qui regardaient les « sauvages » dévaliser les magasins avec amusement ne sont que des faibles créatures se jetant sur les dernières pastilles de soma lors de pénuries. Impossible donc, de ne pas souligner l’humour totalement décalé que propose la série : les habitants de la Grande Londres passent le plus clair de leur temps à déglutir à la pensée d’avoir des parents, d’avoir une relation amoureuse, ou même d’enfanter. Le cliquetis des distributeurs de soma se fait entendre dès le moindre désagrément. Durant leur road trip, Lénina et Bernard découvrent des « pavillons », soit des petits spectacles que les « sauvages » sont obligés de jouer, mettant en scène des éléments de la culture humaine (mariage par exemple) qui doivent se terminer dans une effusion de sang, pour rassurer les Alphas et bêtas sur leur refus d’appartenir à cette civilisation. De manière totalement stupide et peu joyeuse, les humains s’exécutent pour donner un spectacle sans pareille, avant de se révolter et de tuer nombre des habitants de la Grande Londres lors d’une représentation.
Dès le deuxième épisode, nous sommes tout comme les deux protagonistes, propulsés dans la réserve aux sauvages et sa rébellion sanglante. Et pourtant, il n’y a pas de baisse de régime en ce qui concerne les épisodes suivants, l’action se déroulant dans la Grande Londres. L’assimilation de John tout comme la rébellion naissante des Gamma et la remise en cause de tout le système par Lénina nous tient en haleine jusqu’au dernier épisode, et plus encore. Et justement, c’est de là que provient notre frustration… La première et ultime saison se clôt par des cliffhangers et ouvertures dont nous n’aurons jamais la réponse. Pourquoi un Bernard qui s’opposait avec ferveur au mode de vie des « sauvages » veut-il vivre avec eux, et que contient la boite que la femme de la réserve ouvre ? Pourquoi John et Lénina ne vivent-ils pas véritablement ensemble et que va faire Lénina à la Grande Londres, maintenant dévastée ? Toutes ces questions auraient pu déboucher sur une seconde et ultime saison, sans une de plus. Une fois la Grande Londres détruite, la trame se serait essoufflée rapidement. Surtout que celle concernant l’une des créatrice de Indra était vraiment intéressante, mais assez incompréhensible … Nous restons donc sur notre faim.

On peut rapidement croire que la série est une volonté de mettre toutes les cinq minutes des scènes d’orgies mais quitte à se faire l’avocat du diable, ces orgies deviennent moins récurrentes à mesure que les consciences évoluent. On peut rapidement croire que la série a un point de vue politique assez fort. Critique du totalitarisme, mais aussi critique des trop grandes libertés liées aux plaisirs… C’est finalement plutôt un jeu avec le curseur : à quel moment peut-on définir la tyrannie, ou le progrès social ? Est-ce que la liberté vaut tous les sacrifices ? Les trois personnages principaux tout comme les spectateurs s’y confrontent au fil de ces neufs épisodes, qui auraient bien mérité une deuxième et dernière saison. Comme une pilule de Soma, Brave New World se regarde sans mal voire très facilement, tout en étant un véritable plaisir pour les yeux. Vous vous attacherez sans peine aux trois personnages principaux bien que très différents, brillamment interprétés par Harry Lloyd (feu Viserys Targaryen dans Game of Thrones), Jessica Brown Findlay et Alden Ehrenreich.
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