À la belle étoile : Biopic alléchant

Yazid a la tête dans les étoiles, et ce depuis tout petit. Yazid rêve d’être un des meilleurs pâtissiers au monde. Tandis que nos parents nous apprenaient les mesures avec un pot de yaourt pour cuisiner un gâteau, l’enfant le cuisinait seul pour sa mère, femme à la dérive qui ne s’occupe ni de lui, ni de son nouveau-né. Des années plus tard, Yazid vit en foyer le jour, pour se rendre dans un restaurant la nuit, restaurant dans lequel il va faire ses preuves. S’il dort parfois à la belle étoile, le jeune homme rêve d’autres étoiles, celles qu’il veut décrocher sur son tablier.

Telle est la promesse savoureuse de Sébastien Tulard, qui nous propose son tout premier film. Ce réalisateur nous fait découvrir à travers ce biopic l’histoire vécue de Yazid Ichemrahen, chef pâtissier, et champion du monde des desserts glacés en 2014, malgré des expériences personnelles mouvementées et peu habituelles pour un chef pâtissier aussi reconnu. 

Sébastien Tulard joue avec la sensorialité pour offrir aux spectateurs une immersion dans l’esprit de Yazid, mais aussi dans sa cuisine : la première séquence du gâteau au yaourt est commune à nombre d’entre nous. C’est la genèse de son amour pour la pâtisserie, et c’est sa madeleine de Proust. Le moment que prend le personnage principal devient une parenthèse dans ce monde mouvementé. Seuls sont entendus les bruits de farine et autres ingrédients, la musique classique, ainsi que les battements de cœur de Yazid. La recette devient une œuvre d’art qu’il effectue avec passion. Le propos est là, mais en tant que spectateurs, il peut nous être assez difficile de ne pas voir ces moments comme des publicités d’une certaine marque de chocolats (Lindt), tant les choix filmiques se rapprochent à l’identique de la marque qui depuis des années occupe les fêtes de Pâques et de Noël à l’écran avec les mêmes caractéristiques filmiques. Le choix de transformer ce qui se trouve autour de Yazid en fond noir ainsi que celui de filmer en gros plan, et au ralenti les actions y contribue grandement. La rupture du son qui émane des alentours aurait peut-être largement suffi.

Ici, la pâtisserie n’est pas que pour Yazid un échappatoire à son quotidien mouvementé ; c’est une extension de lui-même, un moyen de se perfectionner. A vrai dire, Yazid ne peut mettre de côté ses origines, sa mère totalement à coté de la plaque ou encore sa vie au foyer. D’ailleurs, ce sont tous ces « ingrédients » qui ont fait qui il est, et qui ont fait émerger son amour pour la pâtisserie. C’est bien la scène d’ouverture qui le confirme avec l’enfant qui était Yazid, préparant tel un chef pâtissier un gâteau au yaourt, avec une passion et une dextérité rare. Qu’importe que son point de vue soit biaisé et que le résultat soit esthétiquement questionnable, l’enfant le voit déjà comme une œuvre d’art. Du simple gâteau au yaourt, Yazid passera plus tard au dessert trompe l’œil en forme de pomme que peut tout autant représenter la pomme d’Adam et Eve. Nous ne vous parlons pas de la tentation, mais du savoir, car la pomme de la religion chrétienne mangée par les deux premiers êtres contenait tout simplement tout le savoir humain. Ici, Yazid apprend à maitriser ce dessert, pour monter dans la hiérarchie du restaurant, et donc apprendre à cuisiner d’autres pâtisseries.

Malgré cette omniprésence de la hiérarchie, le plus dans ce biopic réside certainement dans cette volonté de mener Yazid à l’équité tout comme à la réussite de ce ses buts. Cela fait déjà un petit bout de temps que le cinéma français nous nourrit de films et de biopics contenant le concept de « white savior ». Si cela ne vous dit strictement rien, vous allez voir que ce concept très simple se retrouve dans un bon nombre de scénarios, à notre plus grand regret. C’est l’idée qu’une personne blanche bien éduquée voire bourgeoise vient sauver une personne racisée ou jeune de banlieue d’une mauvaise situation, ou encore veut lui donner la possibilité de s’élever dans la société. (Le Brio de Yvan Attal, ou Ténor de Claude Zidi Jr par exemple). Alors, que le concept du « sauveur blanc » au cinéma n’apparaisse pas dans cette trajectoire de vie est déjà une bouffée d’air frais. Ce type de scénario permet de fait de jeter des fleurs aux personnages blancs, perçus comme les sauveurs de la situation et d’une vie, qui n’est d’ailleurs pas la leur. Ici, Yazid trace sa route tout en étant conscient de sa position, et ironie du sort : « l’homme blanc friqué » qu’il dit rechercher avec son ami pour le financer est interprété par Pascal Légitimus, un des piliers des Inconnus, soit un personnage non blanc. La position de Yazid n’est pas une faiblesse, bien qu’elle aurait pu l’être. La pâtisserie n’est pas affaire d’origines, mais de goût et de dosages. Finalement, même dans un biopic sympathique, on peut retrouver du politique, car le cinéma peut être et est politique. On ne peut donc que saluer le parcours de vie de l’initial Yazid Ichemrahen, et donc son adaptation par Sébastien Tulard. A l’image de la statue de glace, Yazid prend son envol sans oublier ce qui l’a façonné. Bien qu’il soit en confrontation totale avec sa mère, il la voit apparaitre lors du concours, et c’est bien cela qui lui permet de se perfectionner.  

Justement, le récit que propose le réalisateur alterne entre l’instant présent soit l’épopée gourmande, et les souvenirs d’enfance de Yazid. Ce choix permet un rythme efficace ainsi qu’une meilleure compréhension du personnage principal. Rares sont les histoires au cinéma qui mettent en avant les enfants placés en foyers ou en familles d’accueil. A travers des scènes de vies quotidiennes, les spectateurs peuvent découvrir les travers moins connus de ces lieux dans lesquels les jeunes cherchent et se cherchent continuellement, parfois persuadés de ne pas avoir d’avenir. Il ne s’agit pas de montrer que les jeunes hommes au foyer sont idiots et violents, et que le monde de la pâtisserie est délicatesse et douceur. Non. Yazid se confronte avec des brutes et des ignares au sein même de la cuisine du restaurant de luxe, et la cuisine étant un milieu dans lequel la hiérarchie est importante, il n’est pas possible de tenir tête au tortionnaire. Finalement, la discipline se trouve partout, et c’est bien ce que déjoue Yazid en effectuant une autre statue de glace lors du concours. C’est ce qui précipitera sa victoire.  

À la belle étoile est un film agréable à regarder, sans pour autant nous faire frissonner ou bien même décoller de notre siège. Finalement, et si ce feel-good movie sur la pâtisserie pouvait cacher un propos plus complexe et plus engagé ? C’est à vous, chers spectateurs et lecteurs, de vous faire votre avis, et de choisir.

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*