Fata/Morgana : L’avis est un Mirage…

Depuis le 2 mai de cette année demeure à nouveau visible l’intrigante et fascinante première réalisation solo de Vicente Aranda ; disponible en combo Blu-Ray & DVD aux Éditions Artus Films l’objet filmique que constitue Fata/Morgana est de ces longs métrages aussi passionnants que parfaitement inégaux et déconcertants dans leur intérêt cinématographique. Tourné au mitan des années 60 dans une cité barcelonaise débarrassée d’une présence humaine jugée excessive par le cinéaste, Fata/Morgana s’agit d’une expérience de Septième Art à l’argument scénaristique proche de l’élucubration et comme à la croisée des genres et des influences ; oeuvre séminale de ce que certains théoriciens ont appelé L’école de Barcelone Fata/Morgana est un peu la rencontre du cinéma surréaliste de Luis Buñuel et du cinéma éminemment « Nouvelle Vague » de Jean-Luc Godard, annonçant dans le même temps l’esthétique tranchée et pittoresque du giallo italien des années 70 et le chef d’oeuvre Blow Up que Michelangelo Antonioni tournera l’année suivante.

Réalisateur prolifique et certainement prodigieux Vicente Aranda est notamment réputé pour sa collaboration fructueuse avec la comédienne Victoria Abril avec laquelle il travaillera sur près d’une dizaine de films dans les années 80-90 ; responsable de presque trente longs métrages de cinéma ce cinéaste anti-franquiste réalise donc ce Fata/Morgana entre 1965 et 1966 dans une Barcelone savamment désaffectée au coeur de laquelle erre et déambule une poignée de personnages aux intentions troubles et délibérément inexpliquées, avec en point d’orgue la figure énigmatique de la ravissante Teresa Gimpera incarnant pour l’occasion la fascinante Gim, une mannequin « habituée à sourire mais peu encline au rire » de par sa profession mêlée de paraître et de formes attrayantes…

Désorientant et sciemment désorienté, prenant la forme d’un étonnant cadavre exquis narratif et visuel Fata/Morgana est de ces films difficilement résumables et réductibles : tour à tour film de science-fiction post-apocalyptique, fable onirique où les vies intérieures des personnages peuvent éventuellement prendre forme de façon abstraite et incertaine sous nos yeux écarquillés et thriller urbain au coeur duquel les tueurs fétichistes programment à l’avance la mort de leurs victimes ledit métrage avance pas à pas, de minute en minute comme une étrange digression aux couleurs à la fois racées et composites. En brouillant la frontière entre le rêve et la réalité, entre le désir et son accomplissement Vicente Aranda développe un récit littéralement inénarrable pour lequel nous sommes bien mal aisés de rationaliser quelque tenant ou autre aboutissant. Fumeux et sidérant dans le même temps Fata/Morgana est un objet dont la nébulosité confronte entre autres choses un pic à glace poissonneux, des fulgurances picturales trouvant leur origine dans le Pop-Art et le ludisme graphique et onaniste d’un film comme Pierrot Le Fou et des mâles dépréciatifs se travestissant à renfort de bandages immaculés ou de postiches indistinctes…

En d’autres termes Fata/Morgana équivaut à une illusion d’optique rendant proprement le spectateur actif et intrigué par tant de mystère et d’erratisme entièrement assumés par Vicente Aranda. Rien ne semble sûr dans ce polar disparate mais digne de curiosité, film porté par la présence d’une Teresa Gimpera sublime et sublimée agissant comme une véritable figure justement trans-figurée, à la fois victime consentante et consentie et héroïne contrecarrant les plans d’hommes aux intentions à priori criminelles et d’adolescents aux allures de garnement mutiques et iconoclastes. Vicente Aranda joue de ce point de vue admirablement sur la dimension plastique et iconique de son actrice principale, réinventant son imaginaire au détour d’une séquence mémorable d’affiche publicitaire subtilement profanée par un homme lui-même hybride, véritable caméléon planté dans l’immensité d’un parc déserté et halluciné tout à la fois.

« Le monde comme Volonté et comme Représentation » , disait Schopenhauer… Ici la volonté des figures jalonnant ledit film semble prendre forme et déterminisme jusque dans leurs pulsions assassines, témoignant d’une programmatique paradoxalement hasardeuse et forcément absconse. C’est sans doutes dans ce mélange d’affirmations et d’incertitudes que Fata/Morgana séduit d’un bout à l’autre, se clôturant sur la vision abstraite d’une immensité verdoyante parsemée d’une poignée de figures humaines renvoyant – de façon pratiquement prémonitoire – à la coda énigmatique et admirablement ouverte de Blow Up dans laquelle David Hemmings mimera, un peu vainement sans doutes, une partie de tennis en compagnie de fantômes juchés par-delà le hors-champ du plan. Tout ceci, encore une fois, n’est qu’affaire de jeu et de beauté du geste. Fascinant.

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