Barbie : Surface réfléchissante (ou pas)

« I’m a Barbie girl, in a Barbie world
Life in plastic, it’s fantastic !
You can brush my hair, undress me everywhere
Imagination, life is your creation
. »

Souvenez-vous : c’était l’été 1997 (celui de nos dix ans, ndr), et le groupe Aqua lançait son tube so dance laconiquement nommé Barbie Girl ; le genre de rengaine tour à tour insipide et (in)dé(lé)bile que le commun des mortels s’amusait à fredonner sur les plages ensoleillées d’une Côte d’Azur (d’usure ?) surpeuplée de mecs bodybuildés et de nanas en petites tenues en ces années désormais révolues. Un tube ancré dans l’air des temps de jadis, mélange d’insouciance et de goût synthétique que le petit minot que j’étais se plaisait à écouter en boucle, alors ignorant de la mythologie intrinsèque à la célèbre poupée créée par la société Mattel à la fin des années 1950…

L’accointance de l’auteur de ces lignes avec l’univers Barbie s’arrêtait là jusqu’à peu – à peine deux ou trois tripotages de poupées miniatures, quatre ou cinq grands écarts de jambes longilignes ou alors pas plus d’une petite dizaine de dévissages de têtes coiffées de cheveux blonds platines lors de sa prime jeunesse, bref : minimum syndical oblige et quota d’instinct maternel de rigueur. Il fallait bien un film pour se faire une idée plus large du monde de Barbie et de sa prétendue richesse, ce que l’actrice Greta Gerwig et les comédiens Margot Robbie et Ryan Gosling ont tout récemment tenté de mettre en pratique avec le long métrage éponyme sorti mercredi dernier dans nos salles obscures, le tout sous la houlette de la Warner Brothers avec un budget des plus conséquents.

Barbie, donc. Précédé d’une promotion et/ou d’une réputation pour le moins retentissante(s) le film érige ses sujets (Barbie et Ken, respectivement joués par Margot Robbie et Ryan Gosling, de fait) au rang d’êtres doués de raison et qui – sous des dehors superficiels et sans réelles aspérités – couvent en réalité une formidable intelligence doublée d’une humanité insoupçonnée. Avec ses airs finauds voire carrément prétentieux Barbie version cinéma avait de quoi nous rebuter en amont de son visionnage, drapé dans une légèreté ne s’assumant qu’à-moitié tout en plaçant son fusil contre l’épaule des nouvelles mouvances féministes notoires car désespérément vengeresses ; en résulte – après un peu moins de deux heures visuellement indigestes mais de conduction narrative plus que correcte – le sentiment d’un objet à la fois sacrément antipathique (car très, trop conscient de ses limites mais néanmoins désireux de niveler vers le haut l’apanage d’une médiocrité rédhibitoire), formellement hideux et moralement déprimant mais aussi pas forcément totalement bas-du-front en fin de compte, laissant sur une impression de mitigation presque davantage embarrassante que n’aurait pu l’être un authentique rejet critique.

Bon. Déjà le film réalisé par Greta Gerwig commence excessivement mal, au détour d’une parodie du 2001 : L’odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick aussi inutile qu’indécente, remplaçant les primates du film de 1968 par une tribu de petites filles prenant un malin plaisir à détériorer leurs poupées à renfort de slow motion et sur fond de Thus Spoke Zarathoustra de Richard Strauss, le tout accompagné de la voix off de Helen Mirren semblant avoir été écrite à l’emporte-pièce ; on comprend rapidement que l’éventuel monolithe extra-terrestre du métrage à venir sera surtout (uniquement ?) Barbie façon stéréotype interprétée dans la plus parfaite des froideurs par une Margot Robbie visiblement idoine pour ledit rôle. Récit de Barbie menant des jours paisibles à Barbie Land en compagnie de ses nombreux homologues féminins puis finalement amenée à découvrir le monde réel qui – quant à lui – se trouve exclusivement régi par des hommes n’assumant qu’à-moitié (encore une fois !) leur patriarcat potentiel Barbie selon Gerwig montre un peu complaisamment une horde de poupées capables d’exercer des métiers dits « valorisants » : avocates, juges, médecins et même prix Nobel de littérature…

Mais on le savait déjà depuis la Loana de Loft Story premier du nom : les bimbos à priori écervelées peuvent elles aussi compulser Le Quid et se connecter les méninges… A tel point qu’à partir du moment où la réalisatrice et son co-scénariste Noah Baumbach font de cette « brillance intellectuelle » ignorée de toutes (et surtout de tous, visiblement…) une nouvelle découverte aussi révolutionnaire que l’eau chaude en plein mois de décembre on a bien du mal à ne pas déceler une certaine forme de cynisme (ou de mépris, sinon) dans la démarche sus-citée. Pendant près d’une bonne heure et demi la réalisatrice persiste un peu vainement à creuser le fossé séparant la communauté du sexe faible à celle du sexe fort tout en les divisant de séquence en séquence, qui de sa petite vanne misandre, qui de son préjugé sexiste, et patati et patata…

Le sujet était particulièrement audacieux voire casse-gueule dans son appréhension, et pourtant Barbie finit de nous convaincre… mais qu’à-moitié, une fois encore ! Se voulant sans doutes progressiste et fatalement en accord avec les pensées de notre modernité non-genrée tout en mettant un point d’honneur à ne froisser personne (la figure emblématique de Ken, playboy machiste et arborant l’apparence du mâle protecteur et dominant, dévoile toute sa vulnérabilité dans le dernier quart d’heure, ndlr) le long métrage de Greta Gerwig pose la question des limites de son consensus final. Plus il avance et moins le film prend de risques formels et fondamentaux, s’assagissant pour mieux nous laisser sur un sentiment d’agacement passablement digeste. Et si l’on fait fi de son esthétique ultra-tapageuse évoquant les films musicaux du tout-venant féministe US (les couleurs saturées, écœurantes, accouplées à la sexualisation outrancière des Barbie font penser, de loin, à certains clips de la rappeuse Cardi B., ndlr) et d’une symétrie parfois maladive discernable dans les arcanes de la société Mattel Barbie est de ces films aux intentions à la fois multiples, certaines mais difficilement identifiables dans le même temps ; une sorte de « caillou dans la chaussure » qui – s’il s’avère loin d’être totalement inepte en dépit de son arrogance mi-figue, mi-raisin – parvient à ne pas se prendre entièrement au sérieux. Pas vraiment affligeant, mais totalement déconcertant.

4 Rétroliens / Pings

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