
Son nom, ou son visage, vous diront certainement quelque chose. Léonor Serraille, cette jeune réalisatrice française vous est peut-être familière car elle l’est pour l’un des plus grands festivals de cinéma : le Festival de Cannes. Léonor Serraille en est devenue une habituée, elle qui a reçu la Caméra d’or pour Jeune Femme en 2017, et a aussi vu paraitre son dernier film en date Un petit frère en compétition en 2022. À l’occasion de la sortie DVD récente de son dernier long métrage, nous avons pensé qu’il était bon de s’attarder avec plaisir sur une réalisatrice qui met en lumière les discrets, les oubliés et les timides, tout en leur insufflant une fougue sans pareille.
Léonor Serraille est maintenant (en tout cas pour nous) une figure du cinéma français qu’il est bon de connaitre. Soyons francs, il y a encore trop peu de réalisatrices reconnues et applaudies sur le devant de la scène qu’est celle du monde du cinéma. Bien que nous soyons en 2023 et que les femmes prennent à raison plus de place dans le cinéma mondial et français (en témoigne cette année sept femmes en compétition pour la palme d’or, sur 21 cinéastes), il y a toujours du chemin à parcourir. Ce qui est sûr, c’est que Léonor Serraille s’inscrit avec son nouveau long métrage Un petit frère dans la mémoire des spectateurs : c’est une réalisatrice qui ne cessera de faire parler d’elle, et c’est déjà ce que le public pressentait à la sortie de Jeune femme en 2017, film qui proposait déjà toutes les qualités qui sont celles de la réalisatrice. Ne perdons pas plus de temps, et découvrons cette jeune cinéaste qui, à n’en pas douter, nous ravira encore à l’avenir.

Léonor Serraille est une réalisatrice discrète, dont on ne sait que peu de choses. Nous savons tout de même qu’elle a une certaine aspiration à dépeindre des vies, de dépeindre les désirs de vivre de ses personnages. Il réside dans son cinéma une manière de raconter des histoires et des vies sans juger les personnages, mais plutôt en veillant sur eux. Les dialogues de ses trois films ainsi que les trames narratives sont à la fois pleines de simplicité et totalement captivantes, et peut-être est-ce grâce à cette volonté de capturer le réel, et à cette littérarité propre à la réalisatrice. Si cette certaine littérarité s’inscrit dans ses œuvres, ce n’est pas sans raison. Léonor Serraille a été étudiante à la Sorbonne, et a décroché un Master en littérature générale et comparée. Son cursus universitaire s’est conclu par quelques années à la FEMIS, école dans laquelle elle sort diplômée du département scénario, avec les félicitations du jury. De ses années d’études restent des souvenirs dans la capitale qu’elle utilisera et intégrera dans ses scénarios, mais aussi une collaboration avec l’une de ses professeures, qui la guidera d’ailleurs pour réaliser son premier film et moyen métrage, Body.
D’ores et déjà avec ce premier film, la réalisatrice française posait les bases de ce qu’elle voulait que son cinéma soit. Elle veut intégrer au monde de l’audiovisuel des histoires peu racontées sur le grand écran, y intégrer des personnages parfois oubliés dans la société, presque transparents, bien que réellement présents. Léonor Serraille réalise pour les « figurants » de la vie, et surtout ceux de la vie parisienne. Au premier plan de sa caméra, la jeune réalisatrice capture les parcours de vie des femmes, et ce dans ses trois œuvres. Qu’il s’agisse de Cathy dans Body, de l’exubérante Paula dans Jeune Femme ou encore de Rose dans Un petit frère, Léonor Serraille dresse trois portraits forts, authentiques de femmes qui font parfois face aux complications que la société leur impose en raison de leur sexe, couleur ou apparence. Ces personnages sont femmes de ménage, infirmières ou même au chômage, fausse étudiantes, vendeuses en sous-vêtements. Ils sont les personnes que l’on croise au détour d’une rue et auxquels on ne fait pas attention ne serait-ce qu’une seule seconde. Léonor Serraille nous donne le temps et l’opportunité de les découvrir, d’entrer dans leur quotidien.

Nous les suivons d’un œil bienveillant, et ce grâce aux choix filmiques faits par la jeune réalisatrice. La caméra de Léonor Serraille est le plus souvent immobile, proche du visage des personnages. Leurs expressions priment et permettent cette empathie certaine, bien que leurs choix ne soient pas forcément les nôtres. Évidemment, cela fonctionne grâce aux acteurs choisis par la réalisatrice, toujours avec goût. L’efficacité des dialogues et de la narration permet de ne jamais s’ennuyer, et de se laisser porter par le courant, tout comme les personnages. Cathy dans Body n’est ni remarquée ni considérée, en témoigne la scène dans laquelle elle vole le bébé. La caméra qui la suit tout du long de son parcours souligne cet instant qui semble avoir arrêté le temps. Pourtant, personne ne la voit ni ne l’arrête. Somme toute, tout peut se produire en une seule journée. Même une épopée.
Ce sont justement les épopées même les plus banales qui nourrissent sincèrement le cinéma de Léonor Serraille, désireuse de constituer et reconstituer la vie des autres. Tandis que la vie de Rose et de ses deux enfants s’écoule dans Un petit frère sur deux à trois décennies, la fougueuse Paula de Jeune Femme évolue sur des mois, et le vacillement psychologique de Cathy se fait sur l’espace d’une seule journée, journée fatale. Ici, les films de Léonor Serraille sont présentés dans l’ordre antéchronologique, soit du film le plus ancien, au plus récent. Finalement, notre réalisatrice française a choisi au fil du temps et des réalisations de donner plus d’importance à l’évolution sur un temps long de ses personnages. On peut y voir cette volonté de s’intéresser davantage à la sociologie, fatalement présente dans le quotidien des personnages qui foulent les pavés de la capitale pour espérer un meilleur avenir, une vie plus rythmée et juste.

Pourtant, le déterminisme n’est pas l’un des maitres mots de la réalisatrice, bien qu’il ne disparaisse pas. Disons que la jeune femme donne à ses personnages la capacité de le contourner. À l’écran comme derrière la caméra, Léonor Serraille revendique la force propre au mot qui est liberté. Elle donne à ses personnages principaux une liberté qui leur permet fondamentalement de choisir, de devenir qui ils veulent. C’est surtout le cas pour le personnage de Rose dans Un petit frère. Face aux diktats et coutumes de sa culture, elle ne cède pas et revendique le droit de rester célibataire, de ne pas se marier sous la pression de sa famille, pour « offrir » un père de substitution à ses enfants. Rose revendique tout autant la liberté de ne pas procéder à une assimilation complète. C’est une femme qui se construit, malgré un déterminisme dont elle fait fi pour le meilleur de ses enfants. Il s’agit de na pas céder aux conventions, et le personnage qu’est Jean en fait de même. Peut-être Léonor Serraille s’inspire-t-elle de ces personnages forts et libres. C’est en tout cas ce qu’elle a pu dire faire au Magazine Arty, en s’inspirant de l’incandescente Paula. Celle qui vagabondait a permis à la réalisatrice de vagabonder d’une idée à une autre sur ses tournages, de ne pas se laisser étouffer par les contraintes de tous les types. Si Léonor Serraille prône la liberté, elle l’offre tout autant à ses acteurs, qui participent évidemment en jouant, mais aussi en proposant des idées et en improvisant, ce qui rend le film davantage réel. C’est d’ailleurs dans plusieurs interviews qu’elle précise avoir laissé la possibilité aux enfants qui jouent respectivement Ernest et Jean d’improviser, car il était dur de faire jouer des enfants non acteurs. Finalement, il est naturel pour eux de jouer, et c’est ce que la réalisatrice leur propose de faire : il leur fallait seulement considérer Annabelle Lengronne comme leur mère, et ces scènes donnent de véritables morceaux de vie.

Au fil des trois films, des multiples vies rencontrées, nous découvrons un peu plus la réalisatrice qui propose une part d’elle, une part de son vécu, sans dénaturer les portraits qu’elle propose. La jeune réalisatrice a retranscrit à travers la pétillante Paula cette sensation de se faire avaler par la ville qu’est Paris, pas toujours accueillante ni chaleureuse. Léonor Serraille a elle aussi vécu dans une chambre de bonne, fait face à la solitude dévorante malgré la population omniprésente. L’histoire d’Ernest dans son dernier long métrage, c’est l’histoire de son mari. Pourtant, il ne s’agit pas pour elle de livrer un discours sur les personnes venant vivre en France. Il s’agit de proposer le récit de la construction des personnages, de leur vie, de leur identité et liens entre eux et au monde dans lequel ils évoluent.
Bien qu’elle semble être une réalisatrice discrète tant dans ses prises de parole que dans ses apparitions, Léonor Serraille est de celles qui saisissent et proposent le moindre détail, le moindre recoin de vie d’un personnage fictif qui pourrait s’avérer réel, tant son incarnation comme son écriture sonnent juste. C’est l’une des raisons pour lesquelles il faut découvrir Léonor Serraille et ses trois films saisissants. Si vous acceptez une petite proposition, commencez peut-être par Jeune Femme, qui donne le ton, et qui ne vous laissera pas sans un sourire au coin des lèvres.
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