
Il aura fallu attendre six films et une vingtaine d’années de collaboration entre Christopher Nolan et Cillian Murphy pour enfin voir ce dernier en tête d’affiche de la nouvelle œuvre de l’un des réalisateurs qui aura le plus marqué son art. En effet, l’acteur irlandais occupait des rôles secondaires dans la filmographie du cinéaste britannique, que ce soit à travers sa prestation percutante de l’Épouvantail dans la trilogie Dark Knight, ou celle d’un soldat déserteur britannique traumatisé par les blessures de la guerre dans Dunkerque. Christopher Nolan va donc enfin lui donner son premier rôle tant attendu et plus que mérité dans son prochain film : Oppenheimer. Un biopic qu’il va enfin réaliser après son projet avorté autour de la fascinante histoire du réalisateur Howard Hugues, œuvre qui verra finalement le jour non pas à travers la vision du réalisateur de Interstellar, mais par celle d’un certain Martin Scorsese dans Aviator. Christopher Nolan optera donc pour l’histoire de Robert J. Oppenheimer, le créateur de la bombe nucléaire.

Cette œuvre va tout d’abord parfaitement convenir à la personnalité du réalisateur, ainsi qu’à l’une de ses obsessions : se servir de la physique afin d’engendrer des théories capables de sauver (changer) le monde. En effet, le film va se vouloir très théorique, ultra explicatif comme dans le processus du voyage dans un rêve exploité dans Inception, ou bien dans la cohabitation de deux temporalités contraires dans Tenet. Cette fois, dans Oppenheimer les lignes d’explications seront vouées aux recherches d’une réaction chimique et physique capable de créer la fameuse arme. Nous aurons des enjeux fondamentaux et impactants qui seront portés autour de la fin de la Seconde Guerre Mondiale. L’axe prédominant sera bien sûr le personnage incarné par Cillian Murphy : Robert J. Oppenheimer. Un personnage hanté par son obsession, destructeur et auto-destructeur, doté d’une grande froideur tout en restant humain, ce qui fera de lui une entité complexe. Ce genre de personnage rentre tout-à-fait dans le cinéma de Nolan, à savoir iconiser ses protagonistes principaux sombre et torturé que nous avons eu le plaisir de découvrir tout le long de sa filmographie. Une froideur que l’on retrouve donc dans Oppenheimer qui va prendre le contrepied – par son genre – de la narration de Dunkerque. En effet, nous sommes face à une importante quantité de dialogues dans Oppenheimer, tandis que dans Dunkerque les regards ainsi que l’atmosphère étaient privilégiés au détriment de la parole. Ces trois heures de dialogues quasi-continus vont donc confirmer le travail colossal de Nolan en tant que scénariste, toujours sans son frère Jonathan.
L’une des forces du film est la fascination de la physique transmise à travers l’obsession du personnage d’Oppenheimer, qui est en quelque sorte le miroir de Christopher Nolan. Le résultat est crédible et percutant, accompagné par des acteurs brillants tels que Robert Downey Jr., Matt Damon, Emily Blunt, Florence Pugh… Le métrage se permet même d’avoir des troisièmes rôles oscarisés tels que Casey Affleck, Rami Malek ou encore Gary Oldman…

La première partie du film sera donc consacrée à la conception de la bombe nucléaire, ses enjeux, tout en présentant les différents protagonistes concernés par cette nouvelle arme destructrice. Son utilisation sera un grand paradoxe, car son utilité permettra de sauver des vies en bombardant les îles japonaises… Ce paradoxe prend donc la forme d’un dilemme majeur, qui comme pour Interstellar, portera atteinte à l’humanité. Le film va nous immerger dans ce cours magistral sur les atomes et la physique quantique, étayé par un montage dynamique ainsi qu’une musique quasi omniprésente faisant partie de la personnalité des films de Nolan. D’ailleurs, malgré la fin de collaboration entre Hans Zimmer et Christopher Nolan, Ludwig Göransson va réussir à reproduire le style musical du compositeur allemand depuis Tenet de manière très convaincante.
Le film bascule ensuite dans une sphère judiciaire autour du procès d’Oppenheimer contrôlé par Lewis Strauss incarné par Robert Downey Jr., acteur glaçant et saisissant qui nous prouve qu’il ne sait pas que jouer les personnages affublés d’une armure volante. Ce procès douteux va mettre en lumière les liens d’Oppenheimer avec le parti communiste. Une partie très verbale qui sera fascinante dans sa manière de concevoir la sphère du pouvoir tout en condamnant le fait qu’un homme ne devrait pas en avoir autant. Un dernier acte qui va nous renvoyer à la dualité autour du pouvoir et à la domination exposée auparavant dans un autre chef-d’œuvre de Nolan : Le Prestige. Dans Oppenheimer l’opposition se fera entre Robert et cet homme qui va plus ou moins réussir à piéger son vis-à-vis dans une tension palpitante à l’aube de la guerre froide.

La narration de Nolan sera divisée en plusieurs axes : le présent et le futur. Il fallait bien que le réalisateur incorpore sa thématique principale : le temps. Le futur sera notamment porté par Lewis Strauss qui représentera la partie juridique du film tandis que le présent va notamment nous raconter pourquoi ce procès a eu lieu. La maîtrise de la temporalité de Christopher Nolan va également permettre de nous offrir une scène viscérale et d’une tension rarissime autour de l’essai de la bombe nucléaire dans le désert. La dilatation du décompte de la séquence nous inflige une oppression palpable jusqu’à la gestion du temps de la déflagration suspendu dans le temps. Cette scène qui sera sans doute l’une des plus marquantes va aller au-delà de la froideur et de la tension, car elle va même réussir à tendre vers l’horrifique.
Il est plus que probable que Oppenheimer va – tout comme Tenet – diviser au sein du public, notamment en raison de sa durée et ses (trop) nombreux dialogues qui servent à la construction de la narration et à l’écriture des personnages. La représentation de la dimension politique est également lourde. Ce film est peu accessible, loin des films de la trilogie Dark Knight, mais il reste néanmoins un chef-d’œuvre en son genre par la puissance de réalisation et d’écriture proposée par Christopher Nolan et porté par un Cillian Murphy grandiose.
3 Rétroliens / Pings