The Idol : Grandeur et décadence d’une pop-star

Nous nourrissons des sentiments ambivalents à l’égard de Sam Levinson. D’un côté, il a créé avec Euphoria une série magnifique et choc, portrait sans fards de toute une génération. De l’autre, il n’a jamais vraiment fait preuve d’une grande subtilité, notamment dans ses films et il nourrit parfois un discours ambivalent, aimant la provoc pour la provoc sans toujours construire son propos derrière. The Idol ne viendra pas plaider en sa faveur puisque la série, co-créée avec Abel ‘’The Weeknd’’ Tesfaye est un beau plantage, de long en large et en travers. Auréolée d’une réputation sulfureuse, The Idol a vu une partie de son équipe créative quitter le projet alors que près de 80% de la série était dans la boîte. Les témoignages indiquent des différends créatifs, Sam Levinson reprenant les rênes et la réalisation de la série avec The Weeknd pour apparemment diminuer la perspective féminine de la série et rajouter de nombreuses scènes à caractère sexuel. The Idol passe même des six épisodes prévus à cinq alors qu’elle est en cours de diffusion, laissant augurer un revirement artistique catastrophique…

Et c’est effectivement le cas tant la série est d’une vacuité redoutablement abyssale, reposant sur des séquences si douteuses qu’on ne pensait vraiment ne plus voir ça en 2023. L’idée originale de The Idol est pourtant géniale : confronter Jocelyn, pop-star en pleine crise, à ses démons et la montrer aux prises avec une industrie de la musique féroce tandis qu’elle lutte pour redevenir la reine de la pop qu’elle veut être. Une thématique dont les bribes se ressentent encore dans les premières parties des épisodes 1 et 2. En une séquence de shooting photo où couve une nouvelle crise à gérer concernant l’image de Jocelyn et en une interminable séquence de clip particulièrement douloureux à tourner, The Idol laisse entrevoir la géniale série qu’elle aurait pu être : corrosive et cynique, dénonçant les pratiques toxiques d’une industrie musicale composée de charognards, personnes faussement bienveillantes envers Jocelyn ne protégeant finalement que leur investissement mais prête à la donner en pâture aux vautours si ça peut leur rapporter de l’argent, surexploitant son image, la vendant comme une icône pop et sexuelle dépossédée de son âme.

Malheureusement tout le projet est parasité par la présence de The Weeknd qui s’octroie le rôle de Tedros, gérant d’une boîte de nuit, gourou à ses heures perdues, décidant de s’immiscer dans la vie de Jocelyn et de la manipuler pour se faire une place dans ce milieu. La potentielle critique au vitriol de l’industrie de la musique vire alors au soft porn, Jocelyn tombant pour on ne sait quelle raison sous le charme de ce mec ridicule et sans charisme (impressionnant de constater la différence entre le talent scénique de The Weeknd et son absence totale d’acting tenant un tant soit peu la route). S’enchaînent ensuite les scènes sexuelles et explicites à un rythme d’autant plus éreintant (et qu’on se lèche dans le lit, sur la banquette arrière de la voiture et au bord de la piscine…) qu’elles n’apportent strictement rien au récit et sont bardées de dialogues confinant au ridicule, assénées par un The Weeknd bien plus gênant qu’autre chose (‘’fucking stretch that tiny, little pussy’’ – même dans un porno avec Adriana Chechik on n’ose plus de telles répliques). Le personnage de Tedros est un parasite détestable que le chanteur incarne avec une conviction embarrassante et The Idol se transforme ainsi en histoire d’amour toxique dont on n’a toujours pas réellement compris l’intérêt.

Il sera d’ailleurs bien compliqué d’ignorer la misogynie latente du projet qui multiplie les séquences douteuses dont on ne sait pas si elles sont teintées d’ironie (comme ce coordinateur d’intimité enfermé dans les toilettes en début de série) ou simplement gratuites (comme ces nombreux plans sur les fesses de Jocelyn). Utilisant l’imagerie de la pornographie pour dépeindre une industrie qui en abuse, The Idol brouille les pistes sur ce qu’elle a réellement à dire, ne se positionnant jamais vraiment sur ce qu’elle cautionne ou non mais l’enchaînement de scènes sexuelles sans intérêt narratif ne vient finalement que pointer l’immense vacuité d’un projet tournant à vide. On ne pourra cependant pas reprocher à Lily-Rose Depp de briller et d’assumer depuis le début de la promo son rôle et la façon dont il est écrit et dépeint dans la série. De fait, l’actrice est investie à fond et incarne Jocelyn avec autant de force que de fragilité, effectuant les nombreuses scènes explicites sans rougir, s’en servant sans cesse pour incarner Jocelyn et la défendre de bout en bout. Elle est parfaitement castée pour le rôle même si The Idol a préféré dévier de sa note d’intention originale pour se transformer en un projet étrange dont on fantasme bizarrement un jour un ouvrage relatant tous les coulisses d’une production pour le moins houleuse.

Seul rayon de soleil d’une série à qui l’on doit tout de même reconnaître ses qualités de réalisation (mais au service du néant hélas), Lily-Rose Depp est cependant un argument assez faible pour justifier que l’on s’inflige les cinq heures que durent le show qui dénonce la binarité de ce monde sans jamais faire preuve de plus de subtilité, nous laissant franchement le cul dans l’eau face à son final déconcertant (et écrit au forceps). Vide de sens, se tirant en permanence des balles dans le pied en pratiquant dans sa mise en scène ce qu’elle semble dénoncer dans son propos, The Idol se rêvait en conte subversif héritier de Showgirls, elle ne sera finalement qu’un long et douloureux clip vulgaire dont on aimerait oublier certaines séquences…

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