Les Filles d’Olfa : Sœurs déchirées

Annoncé comme l’un des films évènements de la Sélection Officielle de la dernière édition cannoise le nouveau long métrage de la tunisienne Kaouther Ben Hania sortira donc le mercredi 5 juillet de cette année, soit une petite poignée de semaines après sa première projection presse dans la salle Debussy consacrée au Festival sus-cité. Dans la lignée de son précédent La Belle et la Meute sorti en 2017 (un film que l’auteur de ces lignes avait en partie apprécié, en dépit d’un usage redondant du plan-séquence par toujours forcément pertinent et surtout un peu vain compte tenu de son propos, ndlr) Les Filles d’Olfa s’agit de ce que d’aucuns nommeront à raison un authentique « film à charge », éventuelle reconstitution de la déconstruction délibérée d’une famille de cinq femmes (quatre soeurs et leur mère) par l’État tunisien à l’aune de Daech et de ses innombrables endoctrinements.

Cinq femmes donc, à savoir une mère de famille octroyant son nom au film de la cinéaste (Olfa Hamrouni, interprétant ici son propre rôle devant la caméra) et ses quatre filles incluant deux soeurs aînées (Rahma et Ghofrane) et deux soeurs cadettes (Eya et Tassin) rejouant et remettant en scène l’une des pages les plus sombres de leur histoire familiale, celle-ci relatant la radicalisation de Rahma et de Ghofrane se terminant par leur départ pour la Libye au mitan des années 2010… Et si Rahma et Ghofrane seront par la force des choses « incarnées » par deux actrices professionnelles les figures de Olfa, Eya et Tassin seront « jouées » par elles-mêmes, dans un dispositif scénique annihilant la frontière entre fiction et réalité, mise en scène et vérité.

Autrement dit Les Filles d’Olfa permet à Kaouther Ben Hania de prendre le parfait contre-pied du précédent La Belle et la Meute, remplaçant le caractère voulu immersif et un rien sensationnaliste du film pré-cité (soit une dizaine de plans-séquence mêlant virtuosité et théâtralité dans un souci certainement émotionnel et percutant, ndlr) par un système de mise en scène pur et dur éminemment docu-fictif ; ainsi la famille Chikhaoui empruntera une attitude de complicité tour à tour austère et empathique envers la caméra de Kaouther Ben Hania, avec en point d’orgue une Olfa Hamrouni évidemment meurtri par le passage à l’acte de ses filles aînées (ce dernier prenant de plus en plus d’importance au fil du film, jusqu’à occuper toute la place du métrage de la réalisatrice durant le dernier quart d’heure, ndlr). En outre la cinéaste tunisienne adopte une fois encore la position d’artiste-moraliste en la forme de cette étude jamais loin du film conceptuel, y allant de son petit commentaire sur le patriarcat contemporain et la censure politique, rejoignant à sa façon les préoccupations d’un réalisateur tel que le marocain Nabil Ayouch ; en authentique témoin de son époque elle met sur la sellette des hommes incapables de voir leur femme et/ou leurs filles s’émanciper socialement voire politiquement (comme le suggère de ce point de vue le tee-shirt punk qu’arbore l’une des filles cadettes de la figure d’Olfa, véritable oripeau culturel sciemment mon(s)tré par la réalisatrice à dessein révolutionnaire…) de la même façon que son homologue marocain (la condition féminine vécue à double tranchant du très bon Razzia, la liberté d’expression muselée du beau Haut et Fort présenté lors de la 74ème Édition du Festival de Cannes…).

Les Filles d’Olfa fait montre d’une mise en abyme redoutablement étudiée de la part de son autrice, évoquant étrangement un film tel que le remarquable Les pires qui – lui aussi – s’amusait avec sérieux et jusqu’au-boutisme à brouiller nos repères entre le réel et l’imaginaire des figures filmées et re-présentées devant l’objectif des réalisatrices. Allant jusqu’à mettre sur un pied d’égalité son propre film et l’incontournable Titanic de James Cameron par l’entremise d’un flash-back au coeur duquel Olfa se retrouve comparée au personnage emblématique de Rose DeWitt-Bukater Kaouther Ben Hania déjoue nos attentes tout en déconstruisant les mythes de l’hégémonie hollywoodienne à la manière d’une iconoclaste idéologiquement très avertie. Forcément concernée par la question du deuxième sexe et par sa légitimité potentielle la cinéaste tunisienne met en avant une, des femmes de prime abord opprimée(s) puis authentiquement sur-vivante(s), dans un décorum scénique au coeur duquel les hommes n’ont qu’une place que très secondaire, manière pour Olfa et sa famille déchirée de s’adonner à une catharsis de haute tenue.

Pourtant – malgré les qualités objectives dudit film et ses très louables intentions – Kaouther Ben Hania semble avoir eu bien du mal à se départir d’une certaine cérébralité empêchant par là même toute forme d’émotion et de sensation filmiques, livrant avec Les Filles d’Olfa une oeuvre sèche, aride et comme enfermée dans son propre concept. Peu avenant – et ne cherchant certainement pas à l’être ni à le devenir – le nouveau long métrage de Kaouther Ben Hania fut néanmoins plutôt bien accueilli lors de la 76ème édition cannoise, ayant pour notre part trop peu d’attraits pour susciter autre chose qu’une indifférente admiration intellectuelle. Nous demeurons en fin de compte fortement déçus par notre découverte de ces Filles d’Olfa, tout en gardant dans un coin de notre tête une petite place pour le bénéfice du doute. Car voir un film nécessite de la rigueur et de l’exigence, amenant souvent le spectateur et le cinéphile à réviser ses jugements et son ressenti parfois faussés par la surabondance de propositions cinématographiques peu ou prou ambitieuses et quelquefois très, trop soutenues. En espérant peut-être revoir le film de Kaouther Ben Hania dans quelques temps nous restons sur un sentiment plus que mitigé à son égard, sensation hybride d’ennui et de respect en demi-teintes…

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