
Nous aimons beaucoup Wes Anderson mais il nous avait semblé, avec The French Dispatch, que le cinéaste touchait là ses limites et menaçait de basculer dans une sorte de caricature de lui-même, accumulant les automatismes (travelling latéraux, symétrie des plans, casting de stars même pour les rôles les plus insignifiants, décors sortis tout droit de maisons de poupées) en ayant perdu de vue toute la portée émotionnelle qui faisaient également la richesse de ses films. De ce point de vue, Asteroid City vient marquer un nouveau tournant dans la carrière du cinéaste. Wes Anderson semble en effet conscient qu’il a atteint une certaine limite et qu’il doit, sans pour autant se réinventer, au moins s’interroger sur son propre cinéma. Pour la première fois dans sa filmographie, Wes Anderson se confronte à sa peur du vide, à sa quête de sens et à l’artificialité qui compose ses films, tout du moins depuis plusieurs longs métrages.

Pour cela, Asteroid City pratique la mise en abyme. Le récit est celui d’une petite bourgade perdue au milieu du désert dans l’Amérique des années 50. Célèbre pour son cratère dû à l’écrasement d’une météorite, elle y accueille une convention d’astronomie récompensant les inventions de jeunes enfants brillants. Mais la convention est interrompue par la visite inopinée d’un extraterrestre qui pousse le gouvernement à mettre la ville en quarantaine. Personne ne peut quitter Asteroid City… Sauf que toute cette histoire n’est qu’une pièce de théâtre jouée par une troupe d’acteurs et que le récit digresse généralement de sa trame principale (une fiction dans une fiction) pour aller se pencher vers les coulisses de sa création et mettre en lumière les doutes rencontrés par les protagonistes qui trouvent évidemment un écho à leur existence dans la pièce qu’ils sont en train de jouer…
S’amusant donc à passer d’un récit à un autre, digressant volontairement, Wes Anderson pare Asteroid City de plusieurs atours. Il ne s’agit pas seulement d’un film à l’esthétique une fois de plus parfaite, aux décors plus factices que jamais et aux membres d’un casting monumental venus faire coucou même pour des rôles minimes, il s’agit également d’une œuvre profondément mélancolique se demandant ce qu’il est possible de faire quand tout est à l’arrêt et que le futur est incertain (le parallèle avec la pandémie de Covid-19 n’est évidemment pas anodin). Contemplant le vide, le film pousse les personnages à agir, à créer des liens et à s’interroger sur cette existence si fragile qui est la nôtre. Dans un double rôle merveilleux, Jason Schwartzman est ainsi à la fois un père de famille endeuillé par la mort de sa femme et un acteur qui doute du sens de ses actions, ce à quoi son metteur en scène lui répondra qu’il faut continuer à raconter des histoires et poursuivre la pièce quoiqu’il arrive même si l’on ne sait pas où elle va.

On fera difficilement plus explicite comme métaphore de la vie, le film dessinant çà et là d’autres personnages (une actrice en perpétuelle représentation merveilleusement incarnée par Scarlett Johansson dans son premier rôle post-Black Widow, une institutrice angoissée, un ado lançant des paris pour avoir le sentiment d’exister et, dans une très belle scène, une actrice coupée de la pièce mais présente dans le film) pour étoffer son point de vue même si comme toujours depuis Moonrise Kingdom, certains seconds rôles ne sont là que pour amuser la galerie et faire baver les cinéphiles. On se réjouira néanmoins que Wes Anderson embrasse de nouveau la mélancolie faisant le sel de son cinéma et prenne de nouveau le temps d’écrire avec soin ses personnages, grands enfants ayant clairement du mal avec la vie telle qu’elle est – et Dieu sait que nous ne les comprenons que trop bien ! En se confrontant ainsi à ses limites et à la propre artificialité de son cinéma, jouant avec la question de la création et du sens de l’existence, Wes Anderson semble lui donner une nouvelle impulsion. On le craignait cinéaste sclérosé, on le retrouve merveilleusement inspiré. Et si Asteroid City est peut-être son film le plus hermétique, il s’agit également de l’un de ses plus beaux : un cadeau pareil, on ne peut le refuser.
Soyez le premier à commenter